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mardi 1 avril 2014

"La Fabrique du Monde" de Sophie Van der Linden

"C'est notre grande spécialité à nous les filles, le mal au ventre". Cette phrase du livre m'a décidé à l'acheter. C'est terrible le mal au ventre ! Celui provoqué par la peur et la souffrance !

Mei, 17 ans, travaille dans une de ces gigantesques usines textiles chinoises qui inondent le marché mondial de vêtements de toutes sortes. La besogne est harassante dans un environnement bruyant de machines-à-coudre. Les corps se disloquent dans la douleur de gestes toujours répétés. Les contremaîtres sont là pour accélérer les cadences et sanctionner les ouvrières en baisse de productivité. On mange sur place. Souvent des nouilles. On dort aussi sur place dans des dortoirs. Deux fois par an les employées peuvent aller voir leurs familles.

Le Nouvel An Chinois approche. Mais pour Mei, il n'y aura pas de voyage car son salaire sera supprimé par le directeur suite à un reproche fait par un de ces contremaîtres sadiques. Pas d'argent, pas de train pour partir.
Elle restera donc dans cette usine pendant que toutes iront retrouver leur famille respective.

Seule ? Elle le croyait ! Il y a quelqu'un d'autre dans l'usine qui, comme elle, reste pendant la période du Nouvel An: Cheng. Il est orphelin et n'a personne chez qui aller.

Se noue alors dans cette usine vide et silencieuse une histoire d'amour entre Mei et Cheng.

Le récit est joliment tourné. L'intrigue est bien ficelée. L'écriture de l'auteure est belle et fluide, mais on sent à la façon de construire la phrase et à l'expression des personnages que ce livre pourrait être un conte. Un conte cruel.  Pour enfants ? Car Sophie Van der Linden écrit principalement des ouvrages pour les enfants.

L'univers abominable de l'industrie textile chinoise est décrite avec un grand réalisme. L'auteure est-elle allée en Chine ou bien a-t'elle puisé dans les innombrables récits de voyageurs et de sociologues qui tous s'accordent sur certaines conditions de travail en Chine dignes de l'époque de la Révolution Industrielle en Angleterre au XIXème siècle ?

Egalement, la psychologie des personnages est bien vue. A 17 ans, les jeunes filles sont-elles si romantiques et "fleur bleue" ? Chez nous pas forcément. Par contre en Chine, oui, et elles le restent pendant longtemps au cours de leur existence. Les gestes, le regard, les pensées, les rêves sont bien chinois chez Mei. Tout comme ces quelques pages colorées, musicales,sensuelles, rêveuses et poétiques, traduction en français d'idéogrammes ou pictogrammes chinois: "Tout voir. Les algues en caresses. Reposer jusqu'au fond. Galets polis, ronds, accueillants. Se détendre toute. Soulevée un peu, déplacée. Doucement, le courant. Voir au dessus. Les arbres. un pont. Un rocher".

Mei est cette jeune fille !

Et la caresse de Cheng sur son cou sera d'autant plus voluptueuse que sa vie lui apparait abrutissante et sans lendemain. Sa sensualité se découvre pas à pas, lui permettant de s'échapper hors des murs gris et des ordres brutaux des contremaîtres.

Que dire de Cheng ? Est-il réellement  amoureux ou n'a-t'il fait que saisir une simple opportunité de "sortir" avec Mei. Pour tuer le temps dans cette usine vide ? Où est la frontière ? Car il y a en une: Cheng est contremaître. A ce titre, il est du côté du pouvoir ! Sortir avec une ouvrière, et qui plus est, une ouvrière du textile ce qui la range dans le "lumpenprolétariat" de l'industrie chinoise, est une grave erreur. Et aux yeux de la Société, si l'idylle est dévoilée, c'est une faute.

Il y aurait aussi à discuter d'une autre composante, celle de la liberté ! Qu'est-ce que la liberté en Chine ? Peu de chose. On ne peut critiquer le gouvernement. Tout le monde le sait. Sous peine de mort. Mais il y a aussi le poids de traditions, des us et coutumes, les interdits de toutes sortes, les lois de l'industrie, les mauvaises conditions de travail, qui plombent cette liberté et tétanisent les comportements sociaux. 5000 ans de civilisation !
Alors, peut-on aimer "librement" dans ce cadre de vie ? Mei, privée de liberté, s'est évadée dans l'amour se donnant totalement, pensant atteindre enfin ce nuage bleu qui illumine sans doute les pages de ces livres qu'elle lit le soir à ses compagnes de dortoir. 

Sa chute dans la réalité sera violente 

Un très beau petit livre (155 pages) qui se lit d'un trait. C'est le premier roman de Sophie Van der Linden. Auteure à suivre !

1 commentaire:

  1. merci pour le prêt.
    ps: sur la version mobile des blog bogspots, il y a "ajouter un commentaire", contrairement à la version "classique"

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