Comment ajouter un commentaire

mercredi 26 février 2014

"Sigmaringen" de Pierre Assouline

Vichy-sur-Danube ou la tragi-comédie bouffone de l'Etat français à Sigmaringen

Sud de l'Allemagne, Sigmaringen, le château des Hohenzollern où échoue en sept 1944 la caravane des damnées. Contraints par les nazis, arrivent dans ce château le Maréchal Pétain, chef de l'Etat français, Laval, de Brinon, le general Bridoux, Marion, le Dr Menetrel, Luchaire. Il y a les ministres "actifs" et les ministres "passifs" qui traînent à leur suite une cohorte de collaborateurs, miliciens, LVF, escrocs, putains, proxénètes, trafiquants, faussaires, illusionnistes, femmes fatales, paumés, dandys, gigolos, pauvres gens, gens simples, croyants, curés...

Morne tragédie où les comédiens fous de la France de Vichy agitent vainement leurs petits bras. Heureusement, il y a le Dr Destouches alias Louis Ferdinand Céline, écrivain-poète (et sa femme Lucette, danseuse + son ancienne maîtresse Lucienne Delforge, pianiste et chanteuse).. Au moins lui ne croyait en rien avant, continua à Sigmarigen à ne pas croire, et ne croira pas plus pendant  son exil au Danemark, et après à son retour en France !
Je me promets de lire "D'un château, l'autre".


Dans ses livres précédents, Pierre Assouline m'avait habitué à des textes mieux ficelés. Malgré le grand bonheur que j'ai toujours trouvé à le lire, avec "Sigmaringen" j'ai cherché l'auteur que j'aime. Cet auteur qui a de l'affection pour ses personnages, qui les décrit et les suit avec une grande délicatesse. 
Peut-être les êtres de "Sigmaringen" étant si détestables, lui ont-ils fait rater son livre ?

Il a certes lu beaucoup d'ouvrages relatifs à cette période, mais sans doute en a-t'il trop avalé car ce qui est sorti du shaker n'est pas un bon cocktail.

Son intrigue, il l'a fait jouer, côté allemand, par Julius Stein, majordome de profession, et, côté français, par Mrs Wolfermann, intendante. Ces 2 personnages principaux sont un copié-collé des 2 protagonistes, Mr Steven, butler, et Mrs Kenton, gouvernante, du livre "Vestiges du Jour" écrit par Kazuo Ishiguro. Si encore il les avait remixé, why not ! Mais malheureusement, il fait penser et évoluer ses personnages tels qu'ils sont dans "Vestiges du Jour". Et là ça ne fonctionne absolument plus car je me suis senti troublé et embrouillé par ce couple que je retrouve dans "Sigmaringen" et j'en oublie les autres personnages, qui sont, eux, historiques et qui justifient l'existence de ce livre. Je me suis donc retrouvé avec 2 histoires parallèles qui n'interagissent pas.

Il a même reproduit cette scène magnifique dans le film Vestiges du Jour lorsque Mrs Kenton surprend Steven en train de lire un roman. Elle le force à lui montrer son bouquin qu'il presse contre lui pour ne pas dévoiler que son roman sent "l'eau de rose". De même quand Mlle Wolfermann force Stein à dévoiler, en fouillant dans sa poche, le contenu des fiches sur lesquelles ce même Stein notait depuis l'avénement de Hitler tous les interprètes et compositeurs juifs interdits de musique en Allemagne et souvent obligés de s'exiler pour échapper à la mort nazie. Improbable, ridicule ! Grotesque coïncidence ! Stein n'est qu'un simple majordome qui travaille chez les Hollenzollern, famille qui n'est pas connue pour être sémitophile.
Ce casting n'était pas nécessaire. Pierre Assouline aurait du se concentrer sur les personnages historiques.

A l'époque, chez les peuples du monde entier,  le problème juif n'était pas monté jusqu'à la conscience compassionnelle que nous connaissons aujourd'hui. Il était enfoui, mis sous terre, nié, voire beaucoup ont été complices, certes non-actifs, de la mise à l'écart de cette communauté.


Dans "Lutetia", livre brillant, Pierre Assouline avait bien souligné cette situation d'ignorance ou de désintérêt pour le problème spécifique juif dans la conscience populaire en 1945 quand les seuls juifs qui ont survécu sont rentrés des camps.

Dès lors que les nazis les déménagent de France vers Sigmaringen, ces hommes et femmes politiques et les autres qui les accompagnent, ne sont plus rien. Ils jouent dans un théâtre d'ombre, tournent sur eux-mêmes et parlent seuls comme dans un dans un asile, crient et bavent dans ce nid de coucous (pour reprendre le titre  d'un film) . Il leurs manque l'entonnoir sur la tête. Leurs cerveaux tournent à vide. Leurs pensées, démentes. Ils vivent sur une planète qui n'est plus dans l'orbite de l'histoire, cette histoire qui marche chaussée des bottes de 7 lieux

Passou (c'est le surnom donné par les blogueurs dans le blog de Pierre Assouline "La République de Livres") a fait un livre "normal" alors qu'il aurait du écrire une oeuvre déjanté et absurde.

Ce qui aurait été intéressant à travailler, c'est cette Cour de Miracle, cette nef aux fous, ce drame  shakespearien, cette bande de Mangeclous à la dérive dans l'espace-temps historique.

A part l'intrigue qui ne passe pas, l'écriture est belle et harmonieuse avec ce ton de d'intimité qui est la marque de l'auteur. Mais aie ! il a utilisé ce verbe que je déteste issu du langage journalistique : tutoyer qq chose.

Pourvu qu'un réalisateur n'ait pas l'idée de tourner un film à partir d'un tel scénario !

Pierre Assouline, auteur connu, très médiatisé, n'a pas d'inquiétude à avoir. Son livre n'est pas bon mais son seul nom le fera vendre.

Maintenant, j'ai envie de rire. Avec un Tom Sharpe ou un Wodehouse, peut-être ? Samedi après-midi, j'irai chez Mollat.

lundi 24 février 2014

"Ida" de Pawel Pawlikowski VO



Et puis Ida vint, et j'ai suivi ses pas dans la neige ! 

Anna, orpheline, novice dans un couvent quelque part dans la Pologne des années 60, peint le visage de ce Christ  qu'elle aime et qu'elle ira ensuite installer sur une stèle dans le jardin. 
La mère supérieure lui révèle qu'elle a une tante, Wanda, qu'elle souhaite que la jeune fille rencontre avant que celle-çi prononce ces voeux. 
Elle apprend de sa tante qu'elle est juive - "nonne juive !" s'amuse Wanda" -, que son vrai prénom est Ida, son nom Lebenstein, et que ses parents ont disparus. Morts dans la folie exterminatrice de la Shoa.Toutes deux vont partir à la recherche des ces père et mère. 
Le road movie commence.
C'est dans un déroulement de photos en blanc et noir d'une beauté bouleversante, au cadrage parfait, qu'Ida marchera, les yeux grands ouverts, vers ce monde polonais post-stalinien brute et sale, dans l'épais brouillard des non-dits sur les relations polonais-juifs pendant et après la guerre.

La scène se situe dans ce Yiddishland, zone qui comprenait, avant 1939, une partie de la Pologne, le Belarus, l'Ukraine, la Lituanie et la Hongrie, dans laquelle se masseront 12 millions de juifs, pour la plupart dans un dénuement et une pauvreté extrême, souvent chassés par les pogroms russes. C'est ce croissant ashkénase de Vilnius à Budapest, où les juifs parlent leur propre langue, le yiddish, une sorte d'allemand avec des apports hébreux et slaves, appliquent leurs propres lois, vivent séparés des goyims dans leurs shtetls et attendent avec impatience le jour du shabbat pour célébrer et supplier Adonaï clôturant leurs prières par le" Lashanah habaah birouschalaïm " - "l'année prochaine à Jérusalem".

En Pologne, dans le Yiddishland, juifs et polonais sont mélangés. Juifs et Catholiques.

La tragédie peut commencer.

De l'autre côté de la Vistule, vers l'est,  la limite de tolérance a créé cette haine de l'autre, du Juif. La pauvreté, la guerre, la propagande nazie ont fini par briser les fragiles équilibres et entraîner des actes terribles. 
Mais personne ne parlera, personne n'expiera, la terre recouvrira les morts et les disparus. L'herbe et les arbres ont poussé dessus.

Peuple polonais massacré, peuple juif exterminé.
Peuples en haillons, grattant, fouillant la terre, à quatre pattes, cherchant des souvenirs, un morceau d'étoffe, des ossements, un ustensile, quelque chose, mordant dans le même pain, se dévorant entre eux, sur cette terre maintes fois retournée et détruite par des hordes sanguinaires.

Plus rien !

Qui condamner ? Y-a t'il assez de lois humaines pour juger l'inconcevable ?

Aucun jugement ne sortira de ce film. 

Un cimetière de stèles juives, penchées, abandonnées, disséminées dans une forêt sans doute proche de Kazimierz Dolny au dessus de cette Vistule qui s'étire langoureusement au bas de la colline. C'est là qu'Ida avec Wanda enterrera les ossements de ses parents, le crâne enveloppée dans un châle. Comme on porte un bébé. Délicatement. Bien serré contre soi.

Wanda, pur produit de ce sionisme né dans les faubourgs miséreux de Bialystok. Du Bund, 1ère manifestation communiste, pour sortir ce peuple de cette destinée misérable pour laquelle la religion juive était tenue responsable. Ce magnifique élan sociologique et économique, d'où naîtra plus tard le kibboutz israëlien, sera brisé par Lénine et Staline dans la sauvagerie destructrice du bolchevisme.  Wanda la Rouge, procureur au tribunal punissant sans pitié les déviants au communisme, ne pouvant plus résoudre ses propres contradictions entre cette nouvelle foi et sa culture juive, disparaitra en écoutant Mozart. La photo est belle, la lumière aveuglante. Wanda se sauvera pour ne pas se trahir davantage.

Wanda sera étonnée du désir d'Ida. De ces grands yeux qui ne scillent pas, Ida s'avance sans peur vers ce monde physique, s'initiera au désir charnel. La notion de péché semble lui être étrangère. N'est-il pas bon à goûter, ce monde ? Elle y goûtera ! Volupteusement ? L'histoire ne le révèlera pas
"Nous nous marierons" lui dit Lis, le saxophoniste." "Et après ?" Lui répond-elle " "nous aurons une grande maison" lui répond Lis . "Et après ?" "nous aurons beaucoup d'enfants" "Et après ?" ...plus de réponse. 
Monde triste, gris, apeuré, étriqué, conventionnel, agnostique, sans imagination, sans élévation, sans don de soi !

Enfin ce Prélude de Bach. Ida trouve sa réponse !

Ce film est blanc,
Ce film est noir,
Ce film est nu,
Ce film est absolu.

J'ai cherché le son d'une complainte mélancolique klezmer. J'ai tendu tous mes sens à la recherche des vibratos doux et sensuels de la clarinette. 
En vain !
Elle s'est tue depuis longtemps dans l'assourdissant silence de la désolation.
Je me suis consolé avec le saxo de John Coltrane

Ce film est un immense chant poétique au refus du néant

Relire "le Magicien de Lublin" de Isaac Bashevis Singer et en général ses autres bouquins pour les mondes d'hier !


"Gloria" de Sebastián Lelio VO

"Estas separado o no estas separado ?" Cette question de Gloria à Rodolfo est centrale dans le film.

Belle claque au machisme chilien. L'ex-mari de Gloria est une lavette. Rodolfo, son amant, est embrouillé, lâche, souvent essouflé, le rendant peu performant dans certains exercices.
Par contre Gloria est dans toute la plénitude de son avant soixantaine ! Elle est libre, Gloria ! Qui aime chanter des chansons d'amour au volant de sa voiture. Ce qu'elle n'aime pas: le chat sans poil de son voisin débile et gueulard.
Paulina Garcia, sorte de Carmen Maura chilienne maîtrise admirablement son rôle. A la fois drôle et pathétique, elle aime. Vraiment, intensément. Son corps qui désire ! Beau ! Mais elle a peur de naviguer seule dans cette transat amoureuse.

Les couleurs du Chili sont bien rendues. Pour une fois, Santiago ne disparait pas sous son brouillard permanent et Viña de Mar au bord de cet océan Pacifique gris et froid, diffuse toujours cette lumière éblouissante.

Ce film montre un société encore coincée et conventionnelle, même si apparement elle se lâche avec alcool, marijuana et discothèque. Il y a un côté vieille Espagne, fin du franquisme. Le Chili, pays de pauvre culture, admirateur baveux des USA, apparait toujours aussi ennuyeux. 
Dommage, le pays est magnifique ! 
Bon, j'admets qu'il y a Francisco Coloane, Isabel Allende et Pablo Neruda... Et maintenant avec Sebastián Lelio, je vais peut-être changer mon opinion !
 
Le réalisateur fait circuler une manif. pour bien marquer  la part socialiste dans l'âme de la population chilienne.
Un squelette-marionnette dans une courte séquence du film: c'est la Mort, toujours présente, obsédante. 
La vie n'est pas toujours aimée. Nous sommes bien en Amérique du Sud.

Du très bon cinéma !

samedi 15 février 2014

Concerto pour piano et barricades

Le concierge de l'hôtel Opera me confirme que ce jeudi 13 février, l'Académie Nationale de Musique Tchaïkovski fête ses 100 ans en offrant au public un concert Franz Liszt avec au programme les oeuvres suivantes:
Préludes (inspirés par A. de Lamartine);
Concerto pour Piano et Orchestre N° 1 en Mi bémol;
Tasso, Lamento e Trionfo (inspiré par Lord Byron);
Concerto pour Piano et Orchestre N° 2 en La majeur.

Je craignais, en raison des événements, que ce lieu soit fermé car le bâtiment se situe précisément sur la place Maidan, centre de la contestation ukrainienne. Depuis 2 mois, les rencontres entre contestataires et policiers ont été d'une violence rageuse et sanglante. 
Qu'en sera-t'il ce soir ? La police pourrait-elle débouler dans une attaque surprise ? Ou bien des agitateurs à la solde de Ianoukovitch s'introduire tels des microbes mortels semant discorde et doute, allumant des feux, posant des bombes?
Que faire ? Choisir entre prendre un risque pour un beau programme ou rester au chaud devant la télé ? La règle dans la Sté où je travaille est de ne pas aller dans des zones de danger et surtout de ne pas exposer des collaborateurs. Léna est assistante dans le service Marketing Opérationnel que je dirige. Elle est ukrainienne. Mais elle est aussi pianiste. Sa jeunesse la protège du sentiment de danger. Ecouter Liszt et sa virtuosité pianistique est un argument plus fort que la peur. C'est, après tout, de son peuple dont il s'agit et qui se bat pour sortir du carcan qui lui serre le cou l'empêchant de construire un pays fort, juste et prospère. Elle m'avouera plus tard après le concert que si nous n'y étions pas allés, elle serait quant même, à mon insu, partie voir SA REVOLUTION. Cette fille s'est plongée dans une marmite d'acier en fusion. 
Ce qui me fait décider d'aller au concert est l'ultimatum lancé aux révolutionnaires par le pouvoir de dégager la place le 17 février en échange d'une amnistie pour tout le monde et de quelques mesures de liberté. Mesurettes diront la majorité contestataire. Le temps de l'ultimatum est généralement un temps d'attente et de négociation. Les armes sont rangées.

En principe donc ce soir sera calme.

A 18h30, le taxi nous dépose, Léna et moi-même, à quelques pas de la barricade de l'avenue centrale. Elle est impressionnante: haute de 4 m., large de 3 m à sa base, faite de vieille neige tassée, de sacs, de bidons remplis de sable, d'éléments en bois, briques, parpaings... Nous passons le check-point gardé par des jeunes garçons athlétiques en tenue léopard, cagoule sur la tête ne laissant voir que les yeux et la bouche, matraque ou batte de base-ball sur le côté. Les guerilleros de l'Est. Parfois on devine un pistolet. Interdiction de faire des photos de visages. Nous pourrions être de la police malgré nos airs de touriste. 4 ou 5 ont payé de leur vie pour que d'autres réalisent le rêve ukrainien de démocratie vraie. Beaucoup sont emprisonnés et torturés. D'autres disparaitront ou reviendront, retrouvés cabossés et amnésiques dans une forêt loin de Kiev.
Ce que nous voyons alors nous stupéfait: un immense espace coupé de rues et d'avenues, couvert de centaines de tentes bricolées mais spacieuses, pouvant contenir 20 personnes, avec lits de camp et poële à bois. Il y a des cuisines, des zones de latrines. Il y a des dispensaires avec docteurs et infirmières. Il y a des points Info, des magasins où on trouve tous les objets de survie et ceux qui servent au combat. Il y a des points-café et des points-soupe. Il y a les réserves de bois, d'eau, de carburant. 
Il y a ceux qui organisent, ceux qui écrivent les tracs et journaux, ceux qui préparent les discours, ceux qui parlent, ceux qui cuisinent, ceux qui nettoient, ceux qui font des navettes entre la ville et le camp pour les approvisionnements en nourriture et autre. Il y a ceux qui préparent les armes, les cocktails-molotov. Des femmes et des hommes, jeunes, très jeunes parfois et vieux, avec ou sans casque, circulent, discutent, portent, installent, construisent, colmatent,... 

Les visages sont tendus mais fiers et résolus.
Mes yeux ont voulu pleurer. Ils se sont gonflés. La cornée s'est tendue sur l'oeil. Ça a fait mal un très court instant. Un sanglot m'a secoué. Mais les larmes n'ont pas coulé. Un homme, ça ne pleure pas, hein ? M'a-t'on appris. Si j'avais regardé  le visage de Léna, peut-être que...

Immense fourmilière qui bruisse et s'agite dans un ordre militaire. Préparation d'un siège pour la prise de Kiev ou camp Vietminh dans l'épaisse forêt de hautes constructions qui entourent la place. La Commune de Paris et 1848 m'apparaissent en fond d'écran. Relire "L'Insurgé" de Vallès.
Tous les immeubles publics donnant sur Maidan sont envahis. Ça s'agite dedans. Tout le monde surveille tout le monde. On y fait des réunions. De là partent les négociations avec le gouvernement. Les entrées sont fortement gardées. Armes pour tuer. Laisser-passer ou carte d'identité obligatoire.

Qu'ont à perdre toutes ces femmes, tous ces hommes ? Rien ! Quand une infirmière est payée 100 €, que l'inflation gagne, que la Russie coupe le gaz dans 11 provinces d'Ukraine, que la corruption gangrène les plus hautes sphères de l'Etat, que le pays est ruiné, que l'on s'exile pour seulement manger, que les désespérés se noient dans la vodka frelatée, que l'on paie en liquide un flic, un fonctionnaire, un professeur, pour avoir un petit avantage. La liste des malheurs et des méfaits est trop longue. Elle épuiserait le lecteur.

Ils sont venus souvent de loin. Ils ont tout laissé et sont partis vers cette place Maïdan.
Malgré le froid - il a fait jusqu'à -20° C -
Ils sont là pour longtemps.
Demain ou après demain, on prévoit 70 000 personnes.

Nous longeons une immense scène où des popes célébrent une messe. Elle est retransmise sur un écran géant qui envoie des éclairs au dessus du camp. Ferveur de centaine de gens qui murmurent et psalmodient, qui s'agenouillent les mains jointes.  Combien de messes faudra-t'il célébrer pour changer le cours de l'histoire, comme cela s'est passé pour la révolution polonaise ?
Et puis, dans une zone sombre, nous tombons sur une troupe à l'entrainement. Boucliers, matraques, gourdins, pieux. On simule des affrontements avec gaz lacrimogène et pétards pour s'habiter,p à la fumée, aux yeux qui piquent, à l'éclatement des tympans. Les guerriers sont sur une ligne. L'ordre est impeccable. Bruit des boucliers métalliques lancés en avant, martellement des rangers sur la chaussée., cri de guerre, sorte d'haka ukrainien, affreux, sortant des poitrines brûlantes. Un homme tape sur un bidon, donnant la cadence. Créer de la peur, de la terreur, du désarrois, montrer que l'on peut blesser, grièvement, ou tuer. Troupe de zoulous ou bien soldats grecs à la bataille des Thermopyles. Un guerrier tombe, un autre prend sa place. La ligne avance et repousse. Elle ne pliera pas ! On connait malheureusement l'issue de ce combat.

J'espère toujours que ce soir il n'y ait pas de bataille !

19h00, nous sommes assis au 2ème rang dans la salle de concert de l'Académie. La salle est pleine. Au 3éme coup, le chef d'orchestre entre. Il sera aussi le pianiste des ces célèbres Concerti N° 1 et N° 2. Le concert commence. La révolution s'éloigne. Notes profondes et impressionnistes du Prélude qui finit dans l'éclatement des cymbales et des cuivres. 
Virtuosité de l'oeuvre retransmise par notre chef d'orchestre-pianiste qui, quand il ne plaque pas ses octaves, dirige son orchestre, assis.
Ensuite est interpreté le très connu Concerto N° 1. Le thème principal est dévoilé dès le début. Pam...pampam- pam - pampampam !  4 mouvements. C'est bien construit. Romantisme net et puissant. Pas de surprise ? Si, une, un triangle tinte, frêle au fond de l'orchestre, comme géné de se trouver là,  qui répond au piano. Vision fulgurante de Liszt qui annonce Prokofiev ou Stravinsky qui l'utiliseront sans complexe. 
20 minutes de perfection. 
Ce concerto pourrait être joué en haut des barricades pendant les assauts. Rostropovitch a bien joué pendant que derrière lui tombait le Mur de Berlin.

Ensuite vient cette oeuvre, très originale, Tasso, Lamento e Trionfo (inspiré par Lord Byron);

Enfin, une merveille que ce Concerto pour piano et Orchestre N° 2 en La majeur. Là j'ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé. Plus subtil que le N° 1, moins impressionnant. Le thème annoncé dès le début, mais pas aussi marqué que dans le premier Concerto. Désordre apparent, ordre caché. 1 mouvement en 6 parties. 20 minutes aussi. C'est élégant ! Variété des tableaux. Il y a de la digression, c'est bon, l'esprit s'échappe. Et puis ce violoncelle solo qui répond au piano: inattendu !

Instant de grâce. Les yeux se ferment et l'âme de chacun cherche refuge dans un univers calme et pur, bleu du ciel et jaune des blés mûrs. Ce sont les couleurs du drapeau ukrainien. Mais ce drapeau,  aujourd'hui, est sale et déchiré .

Entre les 2 parties (il n'y a pas eu d'entracte), nous avons eu droit a un intermezzo romantique. Une femme, seule sur scène, le rideau tiré derrière elle, dans une robe-fourreau noire, nous conte d'une voix chaude, mouillée, émue, slave donc, cette voix dont on use pour déclamer un poème de Boris Pasternak ou du grand Ossip Mandelstam, comment Liszt a été inspiré à Kiev par la princesse Carolyna de Sayn-Wittgenstein, sa maîtresse du moment. 
Une voix qui roule, tourbillonne, tumultueuse comme comme les eaux du Dniepr le fleuve qui sépare et protège Kiev des invasions Tatars ou mongoles, fleuve qui sépare la communauté pro-européenne de l'autre russophone.

Une heure et demi après, Le concert se termine. Traverser à nouveau Maïdan des tentes et des braseros. Sur scène, la messe a laissée la place a un orchestre pop. La chanteuse interprète "Venus" des Shocking Blues. C'est pas mal !

"She's got it yeah, Baby, she's got it
Well, I'm your Venus, I'm your fire
At your desire
Well, I'm your Venus, I'm your fire
At your desire
"

Il y a moins de monde maintenant. Les tensions se relâchent. Les gens regagnent leurs logis de toiles et s'apprêtent à s'emmitoufler dans leur rêves.

Les patrouilles veillent. Nous passons le check-point. Il y a un feu qui brûle dans un bidon. La garde a été relevée.

Le calme règne sous les étoiles de Kiev.

dimanche 9 février 2014

"Un beau Dimanche" de Nicole Garcia

La caméra a bien saisi Le soleil et la luminosité aveuglante du Languedoc en été. Mais le reste... ? Il est vrai que souvent, Nicole Garcia, quand elle parle, démarre bien le sujet, mais s'enlise dans une suite confuse. Alors en réalisatrice... ?

Ce film est sauvé par l'interprétation impeccable de Louise Bourgoin. Elle s'empare totalement du rôle de Sandra, brisée par une vie de merde et l'esprit emmêlé dans des rêves impossibles.


Elle m'a tellement scotché à l'écran tout au long du film, que j'en ai  oublié les autres acteurs. Sauf peut-être Dominique Sanda et ses yeux couleur de secret  qui m'avait tant fasciné en Micól dans "le Jardin des Finzi-Contini" de Vittorio de Sica et surtout en Lou Andreas-Salomé égérie de Freidrich Nietzsche  dans " Au delà du Bien et du Mal" de Liliana Cavani. Quant à Pierre Rochefort, il a certes de beaux yeux, un beau profil mais quelques chose d'artificiel et de forcé se dégage dans sa manière de jouer le rôle de Baptiste. Il ne joue pas, il pose !

 
Si l'univers des paillotes sur les plages, des patrons de bistrots avec chaîne en or, et des petits malfrats combinards est assez réaliste. Par contre chez les "riches", c'est totalement caricatural. Les dialogues, les situations et l'interprétation sont nazes. Ça fait série "Châteauvallon" de l'année 1985.  Et les scènes à la propriété sont bien trop longues et ennuyeuses.

Pour la somme, modeste pour cette famille, de 50 000 €, une séquence au "château" de 10 minutes aurait suffi.

Il y avait pourtant  matière  à tourner un bon film car l'intrigue est intéressante. Nicole Garcia aurait du profiter de l'intelligence du jeu de Louise Bourgoin pour la rendre co-scénariste et co-réalisatrice du film et ainsi entraîner Baptiste dans des séquence plus longues et intenses dans la construction de ce bel amour. Vers le Barcelone du Barrio Gotico et la plage de Villassar de Mar, entre écoles communales et paillotes, entre Arles, La Grande-Motte, Valras-Plage et Montpellier.  Avec la vieille Mercedes, bien sûr ! Sans doute aurait-elle sauvé le jeu de Pierre Rochefort.

A quand Louise Bourgoin dans le rôle d'Esmeralda ?

vendredi 7 février 2014

"Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal

Ce roman se forme, se déroule et déferle comme une vague. Une vague sur laquelle vont surfer tous les protagonistes du livres. Comme le surfeur qui attend patiemment le moment de La VAGUE, les héros se positionnent dans l’attente. Ils rament. Ils angoissent et fatiguent . Toujours être vigilant. Sentir le moindre signe, le plus petit indice, l’opportunité, tous les flux et reflux. Intuition fulgurante. Ne pas louper l’instant. Soudain il est là. Le moment est bref. Alors décider vite. La mission démarre. La vague se forme, ils montent sur son épaule et déroulent leur action à une vitesse vertigineuse.
La vague du livre est une vague de Point Break. C’est la plus agréable à surfer car elle a de belles épaules et se déroule sur de longues distances. Pour cet instant de pur bonheur, le surfeur quitte tout.
Un matin tôt Simon Limbres quittera ce lit chaud qu’il partage avec Juliette. Il va surfer avec ses copains sur la côte près du Havre. L’eau est très froide. Les vagues sont bonnes. Bonheur et moment d'éternité. Sur la route du retour, ils s’endorment dans le van. C’est l’accident. Simon percute le pare-brise. Ambulance. Hôpital. Coma qui deviendra coma dépassé. Puis état de mort encéphalique déclaré.

Et la mission en 24 heures chrono - moins 1 minute - démarre.

Montent sur la vague Marianne et Sean Limbres qui ont du mal à accepter à la mort de leur fils. La société rejette la mort très loin, n’est-ce-pas ? Puis Cordelia, le Dr Révol et Thomas Rémige et ses chardonnerets. Puis les Harfang, médecins de père en fils, Virgilio le lauréat ! Et enfin Claire.
Mais je ne vous dirai pas pourquoi et comment ils surfent car certains (es) vont m’accuser de spoiler.

L’auteur court avec les mots, allonge la phrase pour aller jusqu’au bout du détail afin que la description soit la plus juste possible et ainsi atteindre la parfaite maîtrise du réel. Ces phrases qui se déroulent comme des vagues, d’abord douces, puis accélération, aller de plus en plus vite, des mots, plus de mots, encore plus précis. Et puis silence, Cordelia Owl peut enfin s’occuper de son téléphone portable et Thomas Rémige écouter chanter ses chardonnerets.

Ce livre est un chant d’amour. L'auteur met une extrême délicatesse à orchestrer ses personnages dans un ballet à l'esthétique parfaite.
Elle aura puisé dans le dialogue du Platonov de Tchekhov "Que faire Nicolas ? - Enterrer les morts et réparer les vivants". Elle a bien fait: puissance du sentiment russe qui se concentre sur le point d'ébulition du coeur et des corps. Et je mettrai Tchaïkovski en maître de ballet.

Maylis de Kerangal a signé là un livre ma-gni-fi-que ! Il se lit d’une traite. On sort de ces pages, de l’eau, un peu épuisé mais rempli de bonheur ! " Naissance d’un pont " était brillant ! Avec " Réparer les vivants " elle s’est surpassée.

Merci Groody pour ce beau cadeau que tu nous as fait ! J’ai couru chez Mollat pour commander "Tangente vers l’Est "



mardi 4 février 2014

"Dans les forêts de Sibérie" par Sylvain Tesson


-30°C, en février, une cabane de 3 m x 3 m, un poële à bois, au bord du lac Baïkal (700 km de long, 80 km de large, 1500 m de profondeur) à 150 km du premier village.

Sylvain Tesson réalise un vieux rêve de Robinson pendant 6 mois de février à juillet dans cette cabane au bord du lac. Ce n'est par un ermite qui, immobile et économe, serait indifférent au monde, mais un homme qui veut faire cette expérience de la solitude pour exercer jusqu'à l'exacerbation ses sens que le monde moderne a atrophié. Couper du bois, c'est retourner à une fonction primitive du corps. Bivouaquer, c'est pénétrer dans l'intimité de la terre.  Pêcher, c'est imaginer mille ruses pour subsister.  Parfois Sylvain sort de sa retraite et s'en va visiter Volodia ou Serguei dans d'autres cabanes. On parle peu, les mouvements des yeux sont le langage. On bois beaucoup. Vodka. C'est le rite obligé, le sésame russe pour l'amitié. 

Vivre totalement l'instant. Demain n'est pas un mot sibérien. 

Une fois, il a pensé que "son être aimé" pourrait venir le rejoindre, mais elle le quitte, à distance, en lui laissant un message bref sur son portable-satellite. Elle l'avait déjà quitté dans son coeur avant qu'il parte. L'avait-il compris ? Il ne l'écrit pas. Il aime comme un homme, naïf et brut. Pénélope n'a jamais existé et Ulysse, le superman que tout homme rêverait d'être, non plus. Alors il boit, encore et encore avec ses amis russes, avec ses amis français venus le visiter. Il devient russe. Il n'est pas un héros ! C'est ce qui le rend si attachant !

Dans ce journal qui sera plus tard ce livre, Sylvain Tesson écrit  "l'homme libre possède le temps" Voilà sa grande affaire, ce pour quoi il est venu vivre dans cette cabane: tourner lui-même la roue du temps, égrener les minutes du chapelet des heures, regarder, assis, à travers la fenêtre au delà des montagnes jusqu'à la Bouriatie, longtemps, comme sont capables les russes après avoir fait une révolution, maîtriser le jour,  se lover dans la nature pour suivre son lent déploiement. Mais il peine et le temps se moque de lui et fuit inexorablement. La phrase est courte. Le style parfois saccadé, essoufflé comme si l'auteur courait. Attraper le temps, l'arrêter ne serait ce qu'un court instant. Quand il y parvient, c'est l'apaisement.

Est-il heureux de cette expérience ? Il le prétend ! 

Fin juillet. Retour dans la communauté des humains. Courir à nouveau, oublier le temps ! "La hâte croissante est transmutation du monde en chiffres" Jünger 

Parfois en fin d'après-midi, Natalia et moi, nous parlons du Baïkal. Elle est bouriate. Ses pommettes sont hautes et cirées.Elle attend un enfant. C'est un marqueur du temps !

dimanche 2 février 2014

"Dallas Buyers Club" de Jean-Marc Vallée





That's a fucking good movie !"

C'est l'histoire d'un mec, a bloody texan, électricien de métier, amateur de rodéo,  d'alcool, de coke et de clubs de bitches. Moustache et Ray-ban. Stetson sur la tête  et santiagues.  Il vit dans une caravane.  Et il se découvre séropositif. Insupportable maladie pour lui ! il n'est pas une tapette, il le crie à ceux qui l'étiquette ainsi. Mais en 1985, le sida concerne d'abord la seule communauté homosexuelle. Il se fait soigner à l'hôpital mais il pense vite que la médecine se paie sa tête. On lui donne 30 jours à vivre. Il durera 7 ans et mourra en 1992.

Il prend sa destinée en main, se renseigne dans des bouquins, court le monde à la recherche de thérapies valables, puis s'occupera des autres malades à travers son Dallas Buyers Club.

Ce mec, Ron Woodroof, c'est Matthew McConaughey qui joue le rôle.  Admirable de sincérité ! Est-il maigre ? Non, plutôt sec et noueux ! Mais rien à voir avec sa séropositivité ! C'est sa nature et pour le rôle, c'est mieux ainsi ! Epoustouflant duo avec Rayon/Raymond joué par Jared Leto. Quand à la jolie Dr Eve Saks joué par Jennifer Garner, vous la trouvez mélo ! Non, elle est américaine, c'est tout !

Alors film américain, un bonne série B, dites-vous, comme je l'ai entendu, sur un ton péjoratif ? Un peu invraisemblable ? Avec des bons et des méchants ! Point du tout ! Le film montre un trait de caractère très yankee qui est celui de lutteur, de fighter contre l'adversité. Ron contre la médecine, les labos et la FDA. Beaucoup d'américains combattent pour des causes variées. C'est très typique et ils vont jusqu'au bout.  Ron monte un business ! Rien que de plus normal  aux US! Pas amoral ! L'américain est biberonné au dollar dès sa plus tendre enfance. Il y a aussi cette séquence au tribunal où le juge critique, sans ménager ses mots, l'attitude de la FDA. C'est là la grandeur du système judiciaire US qui ne recule jamais, aussi important soit le personnage ou la Sté accusés. C'est cela la démocratie en Amérique !

Il y a aussi beaucoup d'amour et de tendresse qui se dévoilent petit à petit tout au long de ce film. Et avec une infinie finesse dans les gestes et les regards.


L'histoire est vraie, parait-il !