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dimanche 31 juillet 2016

"Winter is coming" de Garry Kasparov

Kasparov n'aime pas Poutine. Mais il ne l'aime pas comme le ferait un politique , un journaliste ou un universitaire, par une étude argumentée du personnage et de son système.
Il ne l'aime pas comme on aime pas la merde. Une sorte de dégoût pour ce Président de Russie dont les pensées et actions puent.
Il n'aime pas non plus Medvedev qui a eu la bonne idée d'être plus petit que Poutine avec cette teinte de libéralisme naïf dont se moquerait celui-çi en secret.
Il n'aime pas non plus Elsine qui a raté sa révolution démocratique.
Même sentiment à l'égard de Gorbatchev et sa perestroika manquée.

Qui Kasparov aime-t'il ? Nemtsov, Politkovskaja et Navalny ! Les 2 premiers ont été assassinés après qu'ils eurent condamné pour l'un l'agression de Poutine en Ukraine, pour l'autre la mise au pas brutale et sanglante des Tchétchènes. Quant au courageux Navalny, il est en sursit.

Selon ce champion d'échec, Poutine n'est rien d'autre qu'un chef mafieux sans idéologie ni politique dont toute l'action est tournée vers l'enrichissement de lui-même et de son cercle d'oligarques par confiscation du pouvoir.

Mais tout n'est pas bien clair dans les développements de Kasparov. Déjà la lecture du livre est difficile car écrit dans une langue, l'anglais, qui n'est pas la sienne. La traduction française de l'anglais chaotique employé par l'écrivain rend définitivement méandreuse l'écriture de Kasparov.

A cette difficulté linguistique s'ajoute que la pratique intense des échecs a formé Kasparov à aller et venir en tous sens, choisir une piste, puis l'abandonner pour en prendre une autre, toujours tortueuse voire mystérieuse. Il nous perd, il nous trompe. Puis soudain son jeu apparaît clair pour un court instant. Puis il disparaît à nouveau dans des circonvolutions littéraires compliquées.

Il est épuisant !

Pas de faits nouveaux dans ce livre. Tout ce que nous connaissons déjà sur Poutine y est relaté : l'enfant voyou chef de bande bagarreur, le terne kgibiste en poste en RDA, le zélé administrateur de Saint-Petersbourg, puis sa propulsion vers le pouvoir à Moscou et soudain la graine d'autocrate qui germe en lui dans les tueries en Tchétchénie, dans la brutalité lors de prise d'otages dans un théâtre moscovite et dans une école à Behslam. Enfin, l'autocrate affirmé qui envahie la Géorgie, flingue sournoisement une après l'autre les avancées démocratiques de l'époque Eltsine, se paie les Jeux Olympiques d'hiver les plus cher de l'histoire, s'empare de la Crimée par un simulacre de référendum, soutient militairement les "séparatistes" des républiques autoproclamées de Doneks et de Lougansk.

Quelles intentions poussent l'action de Poutine ? Voudrait-il protéger puis rassembler tous les russes éparpillés dans l'immense ex-URSS ? Voudrait-il ressusciter un morceau de la défunte URSS ? Point de tout cela : seul un immense égoïsme anime Poutine pour la plus grande fortune de lui-même et de sa bande.

Poutine, super Al Capone qui ne connaît que la force pour négocier et qui, plus les responsables politiques internationaux se montrent conciliant avec lui, plus il a le sentiment que ses décisions et actions sont les bonnes.

Kasparov compare Poutine par certains traits à Hitler. Le président de Russie cacherait son jeu, bernant constamment les puissances occidentales par des promesses jamais tenues. Ainsi, au mépris du droit international, il rattache la Crimée à la Russie comme le führer allemand l'a fait avec les Suèdes. 
En Syrie,il bombarde les opposants à Bachar al Assad comme Hitler l'a fait à Guernica en Espagne contre les Républicains opposés à Franco.
Il augmente son potentiel militaire et fait parader ses troupes en toutes occasions, car, dit-il au peuple de Russie, les puissances occidentales menacent le pays.
Il muselle la presse
L'homosexualité est réprimée. Et il n'est pas bon en Russie être noir ou arabe.

Poutine voudrait-il restaurer la splendeur de l'empire russe du passée ? Tout comme Hitler le Reich allemand ?

Alors si Kasparov compare Poutine à Hitler, le Président de Russie n'est plus un simple chef de bande mais un dictateur avec une stratégie au service d'une idéologie comme le laisse entendre Michel Elchaninoff dans son essai "Dans la tête de Vladimir Poutine"
On pourrait avoir peur n'est-ce pas ?

jeudi 28 juillet 2016

"La fin de ma Russie" par Catherine Sayn-Wittgenstein


Catherine Sayn-Wittgenstein commence un journal le 3 août 1914 à Bronitsa, donc 3 jours avant la déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie et le terminera le 7 janvier 1919 à Czernowitz. Deux villes ukrainiennes, deux vies contraires pour Catherine :  la 1ère heureuse et insouciante dans la grande propriété familiale de Bronitsa, la seconde dure et malheureuse dans un pauvre petit appartement de Czernowitz. L'Ukraine ne sera jamais considérée comme telle par Catherine qui la nomme toujours, comme tous les Russes d’ailleurs, ‟la Petite Russie”.

Ecrit en russe, ce journal a été traduit en allemand puis en français. Les traductions successives ont-elles suivi fidèlement l’esprit du texte, tellement certains passages sont d’une compréhension difficile ? Je penche plutôt pour l’idée que Catherine a tenu ce journal pour elle-même ne jugeant ainsi pas nécessaire de travailler la forme pour rendre le texte lisible par un grand nombre de lecteurs.
Toutefois, l’intéressant d’un journal est qu’il transcrit avec spontanéité les faits et les impressions au jour le jour. Il y a une garantie d’authenticité et de véracité que les Mémoires n’apportent pas.

  
Ce journal traverse le conflit russo-germanique et la révolution bolchevique. Pendant 5 années la famille Sayn-Wittgenstein sera,au gré des évènements tragiques, ballotée d’Ukraine à Saint-Petersbourg/Petrograd puis à Moscou, pour retourner enfin en Ukraine. C’est une famille traquée, comme le seront d’ailleurs tous les aristocrates et possédants dont les bolcheviques veulent l’extermination. ‟Pourquoi ces gens-là nous veulent-ils tant de mal ? Que leurs avons-nous fait ?”Se demande Catherine. Fallait-il être sourd et aveugle pour ne pas sentir que l’éruption était proche ?
Ce qui porte un coup terrible à Catherine est l’ordre du jour n° 1 édicté par Lénine le 26 octobre 1917 : ‟Les terres des propriétaires aux paysans, les soldats sont appelés à arrêter leurs officiers, empêcher par la force les soldats d'aller vers le front, conclusion immédiate de la paix, dévolution de la totalité des pouvoirs aux soviets.”. Ce sont tous les symboles de cette aristocratie qui s’écroulent : la perte de la terre et du service aux Armées qui leur donnent nom et identité.
Les nobles pris sont assassinés et leur maison brûlée et rasée. Aux armées les officiers sont destitués voire tués et les soldats deviennent commandants. La paix avec l’Allemagne est l’obsession de Lénine afin de s’occuper pleinement de la Révolution et mettre en place son gouvernement bolchevique.

Sus aux ‟bourjoui” crient les révolutionnaires en nommant les possédants.

Elle espérait que Kerensky réussirait. Mais ce sont Lénine et le ‟Juif” Bronstein alias Trotsky qui vaincront, le ‟Juif” untel comme elle écrit quand elle parle d'une personne d’origine israélite. 


3 mars 1918 - La paix entre les bolcheviques et l'Allemagne est signée à Brest-Litovsk. Tous les soldats russes décampent et retournent chez eux. L'Ukraine sera occupée par les Autrichiens et se séparera de la Russie.
Mais à l’époque, comme c'est la rumeur qui fait l'information, il est pour Catherine difficile de savoir ce qui ce passe réellement. Les Autrichiens s'installent-ils dans cette zone de l'Ukraine, la Podolie, où elle habite ? L'Ukraine va-t'elle exister ? Les Polonais, ennemis jurés des Ukrainiens vont-ils fondre sur ce pays ? Les bolcheviks sont-ils toujours à la manœuvre ? Nous nous imaginons mal ce qu’est l’information par la rumeur, nous qui pouvons en 2016 suivre le moindre fait d’actualité par l’image le son et le texte;
Au sujet de l'idée d'une Ukraine indépendante, Catherine pense que le peuple, trop russophile à cause de la guerre, ne suivra pas.
Peut-être pourrions-nous nous mettre sous la protection des Autrichiens” pense-t’elle ? Le cosmopolitisme des Sayn-Wittgenstein alliée à toutes les familles princières d’Europe favorise ce genre de pensée.


Fin avril 1918, le droit de propriété est rétabli en Ukraine par les Autrichiens qui nomment, avec le concours des Agrariens, un Hetman d'Ukraine, sorte de gouverneur avec pleins pouvoirs d'administrer le pays.
Mais Catherine ne croit pas que ce rétablissement de ses droits et privilèges soit définitifs. Elle a conscience que sa famille a usé de force et de cruauté pour assoir son pouvoir. Elle a conscience que les choses doivent bouger et que l'ordre ancien doit faire la place à un ordre nouveau qu'elle a peine à imaginer. Belle réflexion pour quelqu’un d’un telle position sociale ! Elle rêve de ferme, d’élevage et d’agriculture qu’elle gèrera, elle-même participant à tous les travaux.
Dans la réalité, au cours de cette vie de traquée itinérante, Catherine s'épuisera dans les travaux au jardin potager, livrant ses douces mains blanches à l’agression de la terre. Mais elle pense comme l'écrit Tolstoï ‟qu'est heureux celui qui se fatigue physiquement qu'il en oublie le malheur de son âme ”


Elle et sa famille s’enfuiront hors d’Ukraine. Elle épousera le comte André Razumovski, autrichien et propriétaire d’un grand domaine dans la Silésie autrichienne. Quand ce territoire deviendra tchèque, elle perdra tout une seconde fois et s’installera à Vienne.

"Nous autres slaves ne sommes bons à rien ! Avant, j'étais furieuse quand quelqu'un le disait, mais maintenant, je découvre en moi-même et dans mon entourage ces traits de paresse et d'inconséquence qui existe chez chaque Slave. Nous sommes très capables 
 d'accomplir tout spontanément; dans l'instant nous pouvons tout faire. Mais dès que l'enthousiasme refroidit et que l'énergie tombe, c'est terminé !" Ecrit-elle à la fin du livre.C'est un jugement sévère d'aristocrates d’Ancien Régime sur un peuple qui, inculte et pauvre, ne peut vivre et penser différemment car trop englué dans son destin de désespérance.
L'auteur fait-elle partie de ce peuple ? Elle le revendique bien que née princesse Sayn-Wittgenstein
. Cette famille allemande de haute noblesse est arrivée en Russie par son arrière-grand-père le Maréchal Sayn-Wittgenstein pour servir dans les armées du tsar
Alexandre 1er contre Napoléon 1er.
Comme toute jeune fille de sa condition, elle ne sait rien faire. L'éducation donnée par son 
milieu lui donne ce vernis de connaitre un peu de chaque sujet sans en connaitre aucun en particulier. Peu importe si elle passe peu de temps à l’école puisque la famille et la caste lui inculqueront ces bonnes manières qui lui permettront d'épouser un autre prince et la vie continuera paisible et mondaine entourée de domestiques.
Catherine parle le russe, l'allemand, sans doute aussi le français et peut-être l'anglais. Elle joue du piano.
Signe particulier : elle aime nourrir souvent ses petits lapins.

La guerre la fera infirmière sans qu’elle ait appris ce métier, mais dans ces familles-là, le don de soi, l’altruisme pallie le manque de connaissances.


Mais paradoxe, au cours des évènements de guerre et de révolution, elle lit "Crimes et Châtiments" de Dostoïevski qui est pour elle "le sang de la terre" et entreprend d'étudier l'arithmétique avec un objectif un peu irréel de rattraper toutes les classes en retard jusqu'au diplôme de fin d'études puis entrer à l'université pour devenir médecin.

Tous ses projets et intentions retomberont comme un soufflet.

L'histoire donnera tort à Catherine. l'épisode bolchevique est là pour nous rappeler la détermination de ses leaders pour le plus grand malheur du peuple.
Catherine aurait du écrire ‟Nous autres princes slaves, nous sommes des bons à rien…