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mercredi 30 avril 2014

" Les 3 soeurs du Yunnan" de Wang Bing



Quelque part dans le Yunnan chinois. 3200 mètres d'altitude. Montagnes herbeuses, sans arbres. La neige couvre encore ses pentes par endroits. Un village accroché tout là-haut, dans la brume. Maisons groupées bâties en pisé aux toits de chaume. A l'intérieur, le strict minimum: rares ustensiles de cuisine, bois pour se chauffer et cuire, lits en planches. 80 familles de paysans vivent là, en presque autarcie, une rude vie de paysan. Vie collective. On mange ensemble. Les enfants sont à tous.
Seuls liens avec la lointaine Chine de l'expansion économique: l'électricité, la télévision et l'assurance-santé qui augmentera cette année de 10 yuans (environ 1,1 €), trop cher pour eux dont les maigres revenus proviennent de la vente de pommes-de-terre et du travail à "l'usine de la ville" de certains dont le père des 3 soeurs Yin-Yin, dix ans, Zhen-Zen, six ans, et Fen-Fen, quatre ans. Leur mère est partie, disparue, évaporée. Le père rentre peu souvent de sa lointaine usine. Puis il perd son emploi et reste à la maison avec ses 3 filles.

La caméra filme leurs occupations quotidiennes. La plus active, c'est Yin-Yin. C'est l'enfant que Wang Bing filme constamment. Pas d'oisiveté pour elle mais au contraire des tâches domestiques et agricoles qui l'accapare une grande partie de la journée. Cette fillette est d'une certaine façon déjà adulte. Seule sa mignonne frimousse est celle d'une enfant. Ses travaux, ses gestes ses préoccupations, ses responsabilités sont ceux d'une grande personne: préparer les repas, nettoyer, laver le linge, épouiller la tête de Fen-Fen, ranger, s'occuper des animaux domestiques, couper de l'herbe, aller chercher, porter,...

Peu de paroles dans ce film. La vie est trop rudimentaire et dure pour bavarder. Seul le vent joue sa musique lancinante.

Il y a de belles scènes comme celle où les fillettes abaissent les bambous pour que les chèvres broutent les feuilles de la cime. On voit la petite Fen-Fen qui pousse de tout son poids les tiges vers le bas. La recherche des poux dans les cheveux et les cols de chemises. La préparation du repas.

Les soeurs ont des joies et des peines comme tous les enfants de la terre. Elles n'apparaissent pas malheureuses de leur sort. Peut-être sont-elles encore à un âge où le désir d'une vie meilleure sinon différente ne les atteint pas encore. Sans doute y a-t-il dans leur regard une certaine résignation à un destin qui est celui de leur famille depuis des générations. Ainsi va la vie là haut. Temps long. Routine lente de la survie.

Yin-Yin est écolière. Pour l'occasion, son père la lave, elle d'habitude noire de poussière ou de boue séchée comme ses 2 soeurs. Elle met des vêtements propres, chausse des baskets neufs. Mais le livre de classe est vieux, tâché et corné. Yin-Yin apprend avec passion et à la maison, étudie avec application.

Pas de pathos, pas d'émotion inutile dans ce film. Seul compte pour Wang Bing l'étude ontologique précise. L'oeil du cinéaste est affectueux, ses images toujours empreintes d'une grande délicatesse. Rien ne heurte ou ne choque notre regard de spectateur malgré l'état d'extrême dénuement des habitants de ce village.

La vie semble n'être que terrestre pour ces paysans des montagnes. Pas de petit autel votif avec brûle-parfum et offrandes pour conjurer les mauvais esprits ou prier un dieu. .

La vie s'écoule sans croyance pour ces filles et fils de la terre. 

Dieu n'est pas chinois.

jeudi 24 avril 2014

"Inna" de Caroline Fourest

KSi Jeanne d'Arc vivait à notre époque, il y a fort à parier qu'elle aurait été Femen. Même détermination dans l'action, même courage, même charisme.

"Femen est le nom du nouveau féminisme. Nos seins nus sont nos armes. Notre mission est de protester. Notre Dieu est une femme."
Les Amazones se coupaient un sein pour ne pas être gênées quand elles tiraient à l'arc, les Femen se battent avec les leurs, bien que "femen" signifie "cuisse" en latin.


3 ennemies: l'industrie du sexe, les dictateurs et les religions.

Il est des combats qui ne se livrent pas par la parole et la concertation si on veut sinon les gagner du moins obliger la partie adverse à considérer que vous êtes un adversaire avec qui on peut négocier. Il y a des gens et des groupes qui ignorent le dialogue et le raisonnement rationnel, d'autres qui ne connaissent que le rapport de force. Contre ceux-çi le choc de la provocation, contre ceux-là l'opération commando qui va jeter un doute sur un pouvoir qui exprime sa lâcheté par la violence.

Inna Shevchenko, ukrainienne, jeune et belle, intellectuellement brillante, est une co- fondatrice de ce mouvement. Elle vient d'un pays conservateur où encore la religion dicte la morale, où, comme en Russie, la violence est un moyen politique, où les orientations sexuelles différentes ne sont pas admises. Poutine pourchasse les homosexuels, emprisonne et torture les personnes qui osent des opinions démocratiques. Il a même mis en place une instance qui juge et punit les déviants, tel le tribunal de l'Inquisition au XVème siècle. 

Réfugiée en France, elle installe son QG, le Centre International des Femen, au Lavoir dans le quartier de la Goutte-d'Or à Paris d'où elle mène avec son groupe de filles tous les combats contre l'intégrisme religieux, contre les fanatiques de la famille traditionaliste, contre les Jeunesses Nationalistes et Civitas, contre la prostitution, surtout des filles de l’Est.

"Pour être Femen, il faut soit aimer son corps, soit être capable de l'oublier. Ce n'est pas le moindre défis dans un monde où l'enveloppe des femmes est si durement scrutée." 

Inna se bat pour le Mariage pour Tous, pour la défense des droits des homosexuels, pour le droits des femmes de disposer de leur corps comme elles l'entendent, pour la défense de la démocratie partout où la liberté de conscience est menacée, en Russie en soutien au Pussy Riot, en Biélorussie, en Ukraine, en Tunisie, en Egypte, en France bien sûr etc.
Devrions-nous être outrés par ses seins nues qui sont les armes de son combat ? C'est oublier que la Marianne du tableau de Delacroix entraîne le peuple les seins libres tel le rostre d'un navire de l'Antiquité. Je n'ai jamais entendu que l'on s'est un jour insurgé contre notre tableau républicain.
Le sein nu, symbole d'émancipation dans l'Antiquité gréco-romaine ou bien expression de la beauté dans de nombreuses sociétés primitives ou par l'aristocratie à la Renaissance et ce jusqu'au XIXème siècle. 
C'est à cause de la morale religieuse, surtout chrétienne et musulmane, que les femmes ont couvert leurs seins. Et les Femen se battent contre ce fanatisme qui permet à l'homme de soumettre, battre, lapider, violer et répudier sa femme en toute impunité.

Inna obtiendra l'asile politique en France et les lycéens pré-sélectionneront son effigie pour le nouveau timbre que choisira le président Hollande.

Jeanne d'Arc a été brûlée vive à Rouen. Le Lavoir des Femen a été incendié. Acte criminel ? L'enquête cours encore !

Caroline Fourest, journaliste, essayiste et réalisatrice, dont j'aime le combat et la justesse de la pensée, a écrit ce livre.  Son action est déterminée et efficace. Tout en relatant l’histoire des Femen qu’elle couvre et encourage, elle nous confie avec une infinie délicatesse de propos son amour pour Inna. 
Elle n'est pas toujours d'accord avec l'égérie des Femen qui ne comprend pas bien notre concept de laïcité qui permet en France de débattre et de critiquer de tout, qui autorise chacun à vivre selon ses croyances et ses convictions sans être inquiété.

En 1961, une photo de Paris-Match avait ébranlé ma sensibilité d'enfant et restera à jamais gravée dans mon esprit. Patrice Lumumba, le libérateur du Congo belge, vient d'être assassiné. Devant les photographes, sa veuve déchire ses vêtements exhibant ses seins. Des larmes coulent sur son visage. "Regardez, semblait-t'elle dire, je suis cette femme... "

samedi 19 avril 2014

L'humeur du jour

La subite chaleur printanière annonce l'été proche et avec lui au cinéma la cohorte des films de muscles gonflés au Bolasterol, de violences rouges ketchup, de science-fiction débiles, de guerres entre demi-dieux grecs et tribus "barbares" et de comédies qui ne font rire que les acteurs entre eux. Il y a sans doute quelques autres bons films à venir, mais je ne les connais pas.
Avant que les cinémas de Bordeaux ne les sortent des programmes, Il reste 3 films incontournables à voir avant la fin du mois:
- My sweet pepper land;
- Real;
- 3 soeurs du Yunnan.

On parle beaucoup de "Une Promesse" de Patrice Leconte. Je doute que ce film réussisse à décrire l'intensité et l'infinie complexité des sentiments chez les personnages des livres de Stefan Zweig dont un des thèmes favoris est ce temps qui passe, inexorable.
Je crains la mièvrerie.


Sinon, lire, des bouquins à emprunter en bibliothèques ou à acheter dans les librairies bordelaises.

Et en plus chez Mollat aujourd’hui il y avait une course aux oeufs dans le magasin ! Sympa, non !

vendredi 18 avril 2014

"Caprice de la Reine" de Jean Echenoz

Je retrouve Jean Echenoz qui m'avait tant ravi avec "14", son écriture sobre, le mot dans son sens originel, la phrase bien construite, la précision du récit, l'utilisation du détail déterminant. Il met tout en oeuvre pour que le lecteur le suive avec plaisir et sans difficulté, même dans les descriptions les plus techniques. Chaque nouvelle est un évènement dense ou une tranche de vie  comprimé en peu de pages. Pour certaines de ses textes, il se plaît à dérouler les liens de causalité de chacun des éléments de l'histoire.

C'est une série de nouvelles qui n'ont d'autre rapport entre elles que d'être des situations décalées que le lecteur ne connaîtrait pas si Jean Echenoz ne les avait pas écrites.

Elles sont au nombre de 7, chiffre symbolique. Une nouvelle à lire chaque jours de la semaine pendant 7 jours. Jean Echenoz aurait aimé connaître le Phare d'Alexandrie, 7ème merveille du monde après avoir vu Babylone, ou tenir la main du Petit Prince pour regarder les fourmies et les hommes s'agiter sur la Terre, 7ème planète.
Souvent enfant j'ai rêvé que chaussé des Bottes de 7 Lieues, j'atteignai le pied de l'arc-en-ciel aux 7 couleurs.
La rose aux 7 pétales, c'est celle que mon coeur préfère, à offrir à un autre coeur !

7 petites nouvelles à lire en silence ou à haute voix !
  • Nelson, ses glands de chênes, les barriques, l'alcool dans lequel on le ramène suite à Trafalgar. L'amiral est né le 9 septembre 1758. Le mois 7 de l'année !
  •  La colonie de fourmies qui rient du dernier caprice de la Reine dans un espace végétal cartographié et inventorié avec une précision d'anatomiste;
  • Hérodote, seul historiographe de Babylone, De l'architecture de la ville à la coutume des jeunes filles de se prostituer;
  • 20 reines et princesses d'Europe du IIème au XVIIème siècle, 20 caractères différents, 20 façons de régner originales;
  • Gluck et l'histoire du pont. De la liane au béton;
  • Melle Celeste Oppenheim, sa bouteille de Nitrox et le sous-marin;
  •  3 sandwichs au Bourget (brillant cette nouvelle sur un fait aussi anodin et plat !
A quand le prochain roman ?


mercredi 16 avril 2014

"Enjoy" de Solange Bied-Charreton

D'un côté il y a Charles Valérien, bourgeois du XVIème arrondissement de Paris, qui vit en mode virtuel entre son métier de consultant en organisationnel (c'est un job qui veut pas dire grand chose où la seule compétence requise est d'avoir la posture !) et ses réseaux sociaux, blogs et surtout  "ShowYou, le site le plus visité au monde" sur lequel les membres doivent mettre un film ou des photos, au moins une fois par semaine sous peine d'exclusion (Ça rigole pas chez ShowYou !) De l'autre côté, son contraire sous les traits d'Anne-Laure Bagnolet qui refuse son époque. Elle prépare un concours pour avoir un poste  qui "prend pas la tête" dans un hôpital. Son temps libre, elle le passe avec le groupe de musique punk-rock "les Truands" ou bien à se balader et pique-niquer dans les catacombes sous le parc Monsouris.

D'être blogueur coupe Charles de la réalité et le rend inapte au contact avec autrui. Il en devient voyeur de ses voisins, de la petite vieille, de l'écrivain as du sexe d'en face et des copines qui viennent le voir, et d'autres. Mais le voyeurisme de Charles n'existe que par l'exhibitionnisme de ceux-là ! Ne nous y trompons pas, si la jolie voisine d'en face vous surprend en train de la mater depuis votre fenêtre alors qu'elle se déshabille, elle aura tôt fait d'installer des rideaux ! C'est le mode "normal".
Anne-Laure, quant à elle, n'est reliée à rien. Elle vit "au contact" de son groupe de musiciens déjantés et bruts de "décoffrage". Mais elle sait aimer, elle. Ou du moins ça ressemble à de l'amour !

Anne-Laure et son groupe punk vivent de leur art et ont du désir, mais pas d'argent et Charles, qui a du faire une école de commerce, a de l'argent mais plus de désir. C'est une des réflexion de SBC dans son livre.

Sommes-nous avec des originaux ? Pas forcément. Ces personnes sont de cette époque-çi, de la génération Y. Je ne sais pas si la blogosphère rend les gens addicted et fous, mais il semblerait que l'on y communique davantage que dans la réalité. On rit souvent avec les descriptions de SBC. On savoure les mots tels que ""un event", "un comment", qu'emploie ce "no-life" de Charles à tout bout de champ. Il y a comme une schizophrénie jubilatoire dans ce livre écrit par une auteure qui manie assez brillamment un humour grinçant et décapant. Solange Bied-Charreton sait de quoi elle parle puisqu'elle a tenu un blog littéraire pendant cinq ans et a travaillé dans le web marketing. Maintenant elle occupe un poste au très sérieux CNRS.

Ce mode de communication via Internet est-il dangereux ? Beaucoup de sociologues chagrins répondront par l'affirmative. Pour ma part, je ne crois pas, sauf sans doute pour quelques uns qui, si les réseaux sociaux n'existaient pas, seraient quand même devenus addicted et fous avec autre chose.  
Elle s'en moque trop pour qu'il y ait danger. La sphère de Charles est simplement absurde. Tout comme l'est le mode de vie "style décroissant" d'Anne-Laure.

Quant à moi, je me serai bien amusé de ses facéties littéraires. 

Nous vivons cette époque, et son théâtre est passionnant !

"Enjoy" est son premier livre. Il est bon. Dommage que la fin se traîne !

Solange Bied-Charreton présentait ses livres à L'Escale du Livre de Bordeaux les 5 & 6 avril

dimanche 13 avril 2014

"Petites Scènes Capitales" de Sylvie Germain

Ce sont des épisodes de la vie de Barbara Liliane dite Lili.

Elle part dans la vie doublement handicapée: sa mère abandonne le domicile quand elle est toute bébé (puis disparait en mer ?), et son prénom officiel, à l'école ou ailleurs, n'est pas celui que son père et sa famille lui donne. Barbara pour l'Administration, Lili à la maison. Jusqu'au mi-temps de sa vie, elle essaiera sans relâche de résoudre l'énigme de son identidé pour aboutir à la conclusion que les choses sont ce qu'elles sont et qu'il faut les accepter telles quelles. A ce moment là, elle connaîtra l'apaisement.
Le père de Lili, Gabriel, est aussi beau-père de Jeanne-Joy, des jumelles Christine (qui meurt accidentellement) et Chantal, Paul, tous enfants de sa 2ème épouse, Vivianne, mannequin chez Patou,
qu'elle a eu avec différents maris ou amants.

Sylvie Germain chemine dans le labyrinthe des pensées, des émotions et des actes de cette famille avec une grande délicatesse de mots et de ton, fouillant avec finesse, mais avec obstination, dans ces matériaux. Elle trouve toujours la sortie. Malgré les épreuves cruelles que cette famille traverse, cette sortie sera toujours dirigée vers l'espoir que le destin n'est pas écrit mais qu'il se décide.
La vie de cette famille court de la période allant de 1942 à peut-être les années 80 quand se sont estompées les dernières illusions sociétales et philosophique de Mai 68. Sont évoqués la IIème Guerre Mondiale et l'antisémitisme nazi, la guerre d'Algérie et la frayeur des mères de voir partir leurs fils là-bas, enfin Mai 68.

Pas de dépression dans cette famille lorsque survient le malheur, mais au contraire une immense énergie pour comprendre et rebondir chacun suivant ses questionnements et ses convictions intimes. Il n'y a pas chez eux de dispositions pour une position sociale confortable et paisible. Ils tranchent toujours dans le vif prenant une décision qui les mène vers une voie à risque. Mais c'est leur choix, sans concession aucune. Refus de la facilité, de la médiocrité, du misérabilisme. Poursuivre jusqu'au bout vers cette destination très haut placée dans les valeurs que sont la Beauté, l'Harmonie, l'Amour par un travail du coeur et de l'esprit assidu et constant.
Ils ne veulent pas subir le réel, ils le dépassent, le transforment, le subliment.
Jeanne-Joy abandonnera le métier d'avocat pour être violoncelliste de concert. Chantal quittera sa famille française pour rejoindre son père en Nouvelle-Zélande. Puis deviendra danseuse dans la troupe de Pina Baush. Paul entrera en religion mais pas pour suivre un Dieu mou et dogmatique, mais pour un Dieu qui doit agir fortement sur terre à travers lui. Lili elle, deviendra plasticienne malaxant les terres, mélangeant les couleurs jusqu'à atteindre ce qu'elle considérera comme le point d'achèvement de sa création..
Pas de paresse intellectuelle. Pas de lâcheté dès lors qu'un problème les interpelle. Ils s'engagent totalement. Ils ne connaissent pas la PEUR qui contamine actuellement tous les niveaux de notre société.

Les désillusions de Mai 68 ont fait basculer la France dans la société de consommation et l'argent-roi. Un ancien de la communauté du Val d'Oise où a vécu un temps Lili, raconte comment les affiches de Mai 68 se vendent à prix d'or à New-York. Tout s'achète, tout se vend.
Qui aura raison entre la société matérialiste sans spiritualité actuelle et cette société de doctrines du passé que beaucoup semblent regretter, oubliant les millions de morts tués au nom de ces théories "de l'Espace Vital" ou " du Bonheur Collectif" et les océans de misère qui ont recouverts la planète
Désespérance psychologique actuelle contre faim et crimes contre l'humanité du passé ? L'information presse ou télévisuelle surfe sur cette souffrance humaine, accentuant par là-même l'état de fragilité de l'être.

Il n'est pas sûr d'ailleurs qu'il faille désespérer.

C'est un livre ma-gni-fi-que ! Un joyau d'orfévrerie littéraire. L'écriture de Sylvie Germain est limpide. Mais savoir bien écrire ne suffit pas, il faut qu'il y ait un sens, quelque chose qui fait que ce ne sont pas uniquement des mots mis bout à bout pour faire de belles boucles. Trop de littérature se contente d'embellir un texte. 
La narration de Sylvie Germain combine le fond et la structure du roman classique avec une style et une émotion contemporaine.

Grande réussite.

Concert de l’Orchestre Baroque du Conservatoire de Bordeaux - 11 avril 2014

Au programme:
"Ouverture des Nations, Anciens et Modernes" de Georg Philipp Telemann. Ce compositeur, plus connu en son temps que Jean Sébastien Bach ou Georg Friedrich Haendel, a puisé dans la musique italienne et française pour réaliser son oeuvre. Il écrit pour que les musiciens de l’orchestre aiment jouer de leurs instruments. Par exemple,pour les violons, il abandonne la manière intimiste de jouer pour la virtuosité italienne. Mais j’ai surtout perçu dans l'oeuvre une inspiration très française.
Deuxième partie avec "l’Europe Galante" d’André Campra, compositeur dont je n’avais jamais entendu parler. Oeuvre douce et raffinée au "parfums exotiques", comme il est écrit dans le programme.

L’acoustique excellente de l’église de l’ensemble scolaire Saint-Genès où se déroulait le concert a permis de bien écouter chacun des instruments. Mon regard se portait souvent sur V. et sa viole de gambe dont elle devait souvent accorder les cordes en boyaux. Chère V. dont j’ai tellement aimé, il y a quelques semaines, la finesse de son humour quand elle a présenté les oeuvres de Couperin et de Sainte-Colombe interprétées par le trio dont elle fait partie.

A la fin du concert, l’orchestre a été ovationné et rappelé pour une dernière interprétation. L’église, assez grande, était comble.

J’étais assis à côté d’un homme que j’avais vu présenter une « rencontre » d’écrivains à L’Escale du Livre de Bordeaux il y a une semaine. Il se présente: Bruno Tessarech. " Ah, quelle surprise, j’ai acheté votre livre "Pour Malaparte". "C’est vous qui me surprenez", me répond-il "car il n’y a pas beaucoup de gens qui connaissent cet auteur italien". Pour moi, Malaparte est un écrivain connu, certes controversé mais faisant pleinement partie de la littérature italienne du XXème siècle. Le matin, je courais chez Mollat acheter la dernière réédition de  "Barbare Italie" écrit par cet auteur à la lucidité déconcertante.
Bruno Tessarech m’explique avoir quitté Paris pour habiter à Bordeaux, Place du Parlement où il n’arrive plus très bien à dormir la nuit à cause du bruit.

Nous nous promettons de nous revoir au hasard de nos promenades en ville ou bien dans quelques rendez-vous littéraires. Je préfère ainsi !

samedi 12 avril 2014

"Nebraska" d'Alexander Payne

S'il y a un film à voir actuellement, c'est celui-là. Je ne vais pas vous raconter l'histoire que vous trouverez partout sur la Toile. Voiçi quelqu'unes de mes impressions.

Le film peint cette Amérique oubliée des provinces de l'intérieur qui n'est plus dans la course. Le rêve américain s'est arrêté avec Reagan qui en déréglementant la finance, a déboussolé l'économie américaine, stoppant net le développement de beaucoup d'Etats. Le vieux Woody/Bruce Dern, rescapé de la guerre de Corée, participe encore de ce rêve pensant avoir gagné 1 000 000 US$. Mais il fait déjà partie de l'histoire, il n'est plus dans ce présent, dur et triste pour ne nombreux américains. L'accompagneront sur sa route son fils David/Will Forte et son épouse, Kate/June Squibb. Magnifiques acteurs qui auraient  aussi mérité un prix d'interprétation. 

Il fera avec son fils la route de Billings (Montana) à Lincoln (Nebraska) pour toucher son million, en traversant le Wyoming et le South Dakota. La route fait partie de l'imaginaire américain. La route 66 des "Raisins de la Colère" de l'Illinois à la Californie, "la Route" de Jack Kerouac, d'"Easy Rider" de Denis Hopper, la cavale de "Thelma et Louise" de Ridley Scott à travers les USA, la fuite de "Sailor et Lula", et d'autres films que j'oublie. Toujours la route. La route du mythe américain. La route au bout de laquelle il y a le trésor, comme au pied de l'arc-en-ciel. 
La route de "Nebraska", elle va vers l'est traversant les mornes plaines vides et infinies du Midwest et ces villages que la crise a rendu tristes et silencieux.

Woody regarde, sceptique, les Présidents de Rushmore. "A celui-là il manque l'oreille !" Pas si fou que ça, le vieux ! Lucide !

Dès que j'ai vu Woody, c'était toi, mon vieux Bob qui apparaissais à l'écran. Même physique, même regard ! Bob Voslo, tu es aussi ce descendant de suédois. La dernière fois que je t'ai vu à au Congress Hall d'Atlanta, les 3 pontages sur ton coeur t'avaient donné cette même démarche saccadée d'automate. Tu gardais toujours ce discours court et rude d'une logique implacable, langue du Midwest, langue de mec. Maintenant tu ne parcours plus les immensités de l'Iowa avec ton pick-up Dodge. Ton cerveau est resté loin derrière, enfermé dans le rêve américain. Peut-être regardes-tu la télé toute la journée avec ta bouteille de Bud à la main ? So long, old timer !

Cet univers décalé et hors du monde que dépeint si bien Annie Proulx dans ses lives. Héros cabossés, personnages extravagants, routes défoncées, usines vidées...

Peu importe les quelques invraisemblances du film. L'important, c'est la symbolique du paradis perdu qui s'en dégage. L'histoire pourrait être un conte "Il était une fois un vieux monsieur qui croyait en lisant une réclame qu'il avait gagné 1 million de US$..." Un conte qui finit bien, Woody récupère un morceau de ce rêve sous forme d'un pick-up et d'un compresseur neuf.

Grand poème triste qui se déroule en noir et blanc. Teinte sépia des horizons.

Musique lancinante de guitares mêlées pour marquer la quête obsessionnelle du vieux.

So long, Woody !

jeudi 10 avril 2014

"Avoir un Corps" de Brigitte Giraud

C'est l'histoire d'un corps qui passe d'enfant puis de fille adolescente à femme. Des étapes de joie, de plaisir, de douleur, mais toujours métamorphoses naturelles et rythmées. Etapes attendues, prévues. 
Et puis un corps qui rencontre d'autres corps. "Je sais pourquoi je me fais bronzer... C'est pour que ma peau attire une autre peau" écrit-elle. Corps du "garçon". Un corps qui en fabrique un autre,"Yoto"
Et soudain la rupture brutale dans l'évolution douce de cette vie.

Avec réalisme, sincérité et humour, Brigitte Giraud nous entraine dans l'évolution de cette mue. Juste la mémoire d'une terrienne qui témoigne que la matière est palpable, qu'elle existe réellement, qu'on peut l'aimer ou la détester, jusqu'à ce jour où la machine se grippe, s'enraye et interrompe son mécanisme naturel.
"Je n'avais pas compris que le luxe  c'était ne pas avoir de corps, ne pas en entendre parler, ne pas devoir l'apaiser, le soulager" dit-elle.
Ce corps qui nous rappelle à lui ! Enfin, elle peut écrire "Ma tête dit que tout va bien, ma tête peut choisir". L'esprit deviendrait-il libre une fois la souffrance apprivoisée ?
Pas de pathos dans son récit. Les mots et les phrases dans l'écriture de B. Giraud sont formulés comme ils se combinent dans la tête d'une personne qui pense tout haut, sans recherche d'une construction académique. Ce qui donne cette fraîcheur et cette spontanéité au texte. Tout sonne vrai. L'ambition n'est pas de séduire le lecteur par un discours complaisant, mais de lui faire prendre conscience de son corps qu'il soit homme ou femme, car Brigitte Giraud s'adresse à tous les corps.
Un beau livre, vraiment !

mercredi 9 avril 2014

Dominique Fernandez à l’Escale du Livre de Bordeaux

Il s'est assis dans le fauteuil, face à nous, croisant ses longues jambes. Il passe ses mains sur son visage, qu'auréolent ses cheveux gris. Son regard est doux, bleu, lointain, peut-être dans la contemplation d'un tableau de Caravaggio ou bien perdu vers ces horizons clairs des infinis sibériens.

Pourrons-nous l'interrompre dans sa navigation intérieure.

L'assistance se tait. Il nous raconte alors son nouveau livre "On a sauvé le monde", comment il l'a créé.
Il explique qu'il écrit tout d'un trait du début à la fin, sur ordinateur. Il imprime cette première épreuve et la corrige une première fois. Il réécrit à la machine. Il imprime à nouveau. Il corrige. Et ainsi de suite jusqu'à 7 fois. Il corrige toujours à la main. Durée du chantier 3 ans.

La voix est nette et claire, le discours fluide. Il n'hésite qu'un bref instant pour trouver le mot juste, le sens que doit avoir sa phrase. Mais le propos est toujours simple, bien construit, accessible.
C'est l'histoire d'Igor et de Romano qui poursuivent des recherches sur le peintre Poussin à l'Istituto d'Arte de Rome. Ils se rencontrent. Ils connaissent alors leur kairos, cette nano-seconde qui va décider du destin amoureux de deux êtres, le point d’inflexion, qui ne se renouvellera peut-être pas. L'histoire part au début des années trente, elle court à travers tous les bouleversements politiques et économiques de l'Europe et de l'URSS jusqu'à la fin de la II Guerre Mondiale. 

Igor est le fils d’un russe blanc émigré. Il adhère aux idées de cette Russie bolchevique où il entraînera Romano. Ils deviennent espions au service de ce nouveau régime qui les emploie comme « idiots utiles ». Mais toujours l’art les unie dans ce pays-continent, l'URSS, cet art sous toutes ses formes, passion du peuple, devenu accessible enfin par l’action du régime communiste. Ce régime aussi qui sur le plan des moeurs donne toute liberté aux couples de divorcer, aux homosexuels de s’aimer.
Amours homosexuelles ? Dominique Fernandez est agacé que l'on qualifie ainsi ce qui unie Igor à Romano. Amour, tout simplement ! Disons-nous amours hétérosexuelles ? Non ! Alors laissons tomber "homosexuelles" après amours ! Pourquoi ne considérer que cette dimension sexuelle. Amour qui est d'abord sentiment, émotion, partage intellectuel, communion, regards, tendresse, le sexe n'étant qu'une résultante qui doit rester comme l'instant fulminant et fugace d'une union et non son point central.
C'est un humaniste. Une espèce en voie d'extinction !

Je lui demande comment lui est venu sa passion de la Russie et comment il est arrivé à restituer des impressions si puissantes sur ce pays.

Par "Guerre et Paix" de Tolstoï, nous dit-il. "A quinze ans !" Il n'y a pas meilleure porte d'entrée en Russie qu'à travers ce roman épique. 
Nous partons alors vers l'immensité russe. D’abord à Moscou et Saint-Petersbourg. Nous naviguons sur la Volga. Nous remontons le fleuve Ienisseï de Krasnoïarsk au Cercle Artique. Il nous parle de l’individu russe si imprévisible, passionné, capable de réciter de long poèmes de Pouchkine ou de Pasternak.
La musique ensuite. A peine suggère-t'il Moussorgski, Rachmaninov, Rimski Korsakov. La musique russe est populaire, accessible. C'est surtout de Tchaïchovski dont il parle. De ses ballets et de son concerto en Ré Majeur. Ce compositeur se suicidera sur ordre du tsar suite à à la découverte de sa relation avec le fils d'un membre de la cour impériale. "Les meilleurs doivent disparaître. C'est le sens russe du sacrifice" Staline fera tuer ou enverra dans les camps de travail les meilleurs des généraux, hommes politiques,savants, professeurs,etc.. Le peuple accepte ce sacrifice. Il y a içi comme un reste de rite païen. Le sacrifice qui conjure, qui purifie, pour peut-être apaiser l'ire des esprits.
Dominique Fernandez aura lui-même révélé la cause réelle de la mort de Tchaïkovski, contestant ainsi la version officielle qui l'impute au choléra.
D. Fernandez nous parle de l'Art. De la peinture. De Poussin, qui est le peintre du livre et qui essayait de s'évader de la peinture officielle. Comment l'Art jusqu'aux Impressionnistes ne vivait que par les commanditaires tel l’Eglise essentiellement. Il évoque les salles de peinture au Vatican. La Chapelle-Sixtine.

Son discours est une immense toile à multiples entrées sur laquelle interagissent tous les arts de tous les styles, les politiques de toutes les époques, l'histoire de tous les pays. L'Italie et la Grèce, les sources d'inspiration universelle. Ils scrutent les versions officielles et les retracent les soumettant au détecteur de mensonges ou d'erreurs.
Et puis nous montons avec lui à bord du Transsibérien. Il y a Maylis de Kerangal dans le wagon. Elle écrira « Tangente vers l’Est », lui « Transsibérien » . Je ne sais pas si j'aurais voulu être à place de DF pour voyager avec MdeK ou bien à la place de MdeK pour voyager avec DF. Ou bien, voyager avec les deux ? Je n'ai pas encore choisi dans ma tête. Le train file à travers la forêt, puis la taïga. On s’extasie devant le spectacle du Baïkal. On parle, on rit, on pleure, on récite des poèmes pendant les 10 000 kilomètres de cette Russie qui fascine. Enfin Vladivostok. Fin du voyage.

Fin de la rencontre

Nous restons quelques uns à vouloir discuter avec lui
V M, professeure de Lettres en prépa dans un grand lycée bordelais, animait cette évènement. Elle veut me parler et me dit que je n’aurais pas du l’interrompre au début de la rencontre quand elle a voulu demander à l’auteur de parler le l’élection en cours d'un nouveau membre à l’Académie Française. Je lui avais lancé depuis ma place que compte tenu du temps, compté, de la rencontre, cette introduction n’apparaissait pas nécessaire et qu’il fallait que DF entre dans le livre sans délai. Tout le monde semblait d’accord avec moi, y compris Dominique Fernandez.
Nous continuons à bavarder. La sympathie s’établie entre nous. Elle me donne son adresse mail et me dit que Dominique Fernandez vient chaque année à Bordeaux et qu'elle m'informera dès qu'une telle occasion se présentera.

lundi 7 avril 2014

"Escale du Livre" - Bordeaux - 4, 5 & 6 avril

Cette "Escale du Livre" de Bordeaux a été un bel évènement.
 
D'abord, le site est vraiment bien choisi entre Conservatoire de Musique, Ecole des Beaux-Arts et TnBA,  bâtiments qui disposent de salles et d'amphithéâtres bien agencés pour les rencontres, lectures, représentations, etc.
Pour les grands et les moins grands, de très bons auteurs sont venus présenter leurs dernières oeuvres. Et pour les enfants, beaucoup de livres, albums, bd, etc. dans une multitudes d'activités ludiques qui les ont enthousiasmés. On entendait souvent leurs cris de joie.
Beaucoup, beaucoup de monde est venu, surtout l'après-midi. Approcher les auteurs a été pour beaucoup de personnes une épreuve.
 
A et moi-même sommes allés aux "rencontres" avec bien-sûr Erri de Luca qui présentait "Le Tort du Soldat", son dernier livre. Puis avec Lola Lafon ("La Petite Communiste qui ne souriait jamais") et surtout Brigitte Giraud ("Avoir un Corps") dont le discours m'a passionné. Pas facile un corps de fille et ses mutations dans le temps. L'esprit, c'est souvent plus simple à gérer, c'est léger, ça se maîtrise, s'est moins fatigué, c'est moins souvent malade. Un corps, par contre... Et après la souffrance, la mort. L'esprit est enfin libre ! Là je dépasse la pensée de l'auteur.
Solange Bied-Charreton m'a charmé avec son livre "Enjoy", une histoire autour de la net connection.
J'ai pris en marche le grand débat sur l'Europe des Ecrivains. La Mitteleuropa existe-t'elle ? J'aurais voulu y participer depuis le début. Mais les rencontres se chevauchent. Dur de tout suivre.  
 
Bruno Tessarech, auteur à découvrir avec entre autres "Art Négre", une histoire de ghostwritters et "Pour Malaparte", livre critique sur cet auteur incontournable de la littérature italienne qui a écrit notamment "La Peau".
A. est allé écouter des auteurs qui ont travaillé autour du deuil: Nathalie Aumont, Sophie Avon et Anne Plantagenet. Elle a aimé.
Moi-même, je suis allé à la "rencontre" de Dominique Fernandez.
Nous n'avons pas pu discuté avec Shumona Sinha de son livre "Calcutta", histoire se sa famille dans la violence politique du Bengale Occidental en Inde. Dommage !
A. nous a abonné à la revue "Le Festin". Depuis le temps que nous devions le faire...!

Les poids lourds étaient présents, Véronique Ovaldé, Tahar Ben Jelloun, Andreï Makine, Sorj Chalandon, Jean-Noël Pancrazi, Patrick Grainville.

Et j'ai trouvé ô merveille les poèmes d'Ossip Mandelstam et d'Anna Akhmatova dans une très belle édition bilingue russe-français.

Nous sommes repartis chez nous avec nos kilos de livres et dans la tête des centaines de phrases et de mots entendus.

samedi 5 avril 2014

"La Crème de la Crème" de Kim Chapiron

"Vous avez intégré la meilleure business school d'Europe ! Vous êtes la crème de la crème ! Mais vous avez des devoirs,etc." Ainsi le directeur de l'école, style DSK, ouvre l'année scolaire. 
Et ensuite tout s'enchaîne dans un tourbillon de disco, de sexe, d'alcool... Et très peu de
cours. 
On entend souvent que dans ces écoles, les étudiants ne font pas grand chose. C'est en partie vraie. Ils sont tout de même  formés pour être des managers capables de naviguer dans toutes les situations de l'entreprise, et par tous les temps. On leurs apprend qu'une entreprise, c'est un produit, "une chose", un "neutre" qui se vend et s'achète, se coupe, se morcelle, se délocalise...On embauche et on débauche en suivant les fluctuations boursières. Et pour réaliser cela, "no emotion", et toujours garder l'oeil fixé sur "l'ebit" en utilisant l'outil que l'on a mis en place appelé "process". Chaque responsable "tracke" et périodiquement tous les indicateurs de l'entreprise sont réunis dans le "control tower". Grâce à ces outils l'actionnaire contrôle pour souvent en demander toujours plus.
Ce manager lui-même est un produit, "une ressource humaine".

Pour arriver à fabriquer ce manager inoxidable, il faut décerveler l'individu, le sortir de ses humanités, le rendre poreux,  pour  en faire cet homme de chiffres et de tableaux Exel ou Power Point.

Dans le film, le sexe et le réseau de prostitution ne sont qu'un prétexte, certes d'une manière un peu exagérée, de montrer à quel point ces étudiants sont capables de n'importe quelle action avec la plus parfaite amoralité car les techniques de management s'appliquent à toutes les activités humaines... et la prostitution, c'est ausi du marché !

C'est un jeu ! L'école est faite pour leur apprendre ce jeu dans lequel l'entreprise devient un concept abstrait de chiffres et de process. 
L'école sert aussi surtout à se constituer un réseau. C'est très important. Davantage que la scolarité.
De la forme et uniquement cela ! Le fond, aucun intérêt ! 

Si ce film traite aussi d'une certaine misère affective, elle procède de cette éducation "déshumanisée"

Heureusement, certains étudiants se protègent de cette manipulation et savent résister en utilisant les enseignements pour des objectifs où l'humain est central.
Les acteurs sont excellents. Ils ont parfaitement compris les personnages qu'ils devaient jouer, ces jeunes que l'on appelle la génération Y.
Kelly/Alice Isaak est merveilleuse en stratège froide. Louis /JB Lafarge parfait en "action man". Dan et Jaffar aussi campent bien leur rôle.

C'est un très bon film que les parents devraient voir pour qu'ils se rendent compte des écoles où peut-être iront leurs enfants.
Ne pas oublier qu'elles s'adressent à des familles de très bons niveaux de revenus. Une année d'étude à Kedge (Ecole de commerce de Bordeaux) coûte environ 10 000 Eurosde pour la seule scolarité
Pas de parents dans la salle de cinéma ! Dommage ! Uniquement des jeunes entre 20 et 23 ans.

"Regarde les Lumières, mon Amour !" d'Annie Ernaux

Depuis un certain temps, je tourne autour de cette auteure sans me décider à acheter un de ces livres. J'ai été attiré par la photo de couverture du livre de la collection Quatro édité par Gallimard montrant une jeune fille, très jolie, aux longs cheveux libres, qui regarde un lointain. Et puis en librairie, j'ai feuilleté ses oeuvres, lu des pages au hasard. 
Non pas encore !
Cette semaine de voir partout la promo pour ce opuscule, et convaincu par une femme dont j'aime l'enthousiasme à s'emparer d'une oeuvre, je me suis décidé.
Bien mal m’en a pris ! Quelle désillusion ! Livre aux propos grotesques écrit avec l’encre du mépris. Une suffisance et une malhonnêteté intellectuelle rare ! Annie Ernaux n’a fait ni oeuvre sociologique (on lui attribue cette compétence) ni oeuvre littéraire.
Mais, entrons dans le sujet. Elle fréquente l'hypermarché Auchan de Gercy, qui fait partie d'une très vaste zone d'activité. AE comprend que dans ces zones vont les classes moyennes et populaires (c'est-à-dire 90% des français).

Voilà ce qu'il y a dans ce livre:

Mépris 
"Les femmes et les hommes politiques, les journalistes, les "experts", tous ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans un hyper-marché ne connaissent pas la réalité de la France d'aujourd'hui". Allons donc, ne vont-ils que chez Hediard ou envoient-ils un chauffeur chez Auchan ?

Quand on veut parler d’une femme ronde, on n’écrit pas « grassouillette », si on veut faire oeuvre sociologique.
Ensuite à la question "avez-vous la carte de fidélité Auchan ?" posée par une hôtesse de caisse généralement souriante malgré le travail abrutissant et mal payé qu'elle exerce, A. Ernaux avait l'habitude de répondre "Je ne suis fidèle à personne" !  Voyez vous ça, baronne hautaine en plus ! C'est qu'elle a oublié que la demoiselle ou la dame de la caisse fait son boulot, et bien en plus ! 
Puis dans le rayon Légumes à un employé qui range des fruits sur l'étal, elle demande des pommes pour une tarte, et elle a soudain envie de lui demander son salaire. Et tiens pourquoi pas ? Dites-donc, mon brave, combien gagnez-vous ... ? De la baronne encore !

Sexisme
La séparation des jouets entre garçons et filles. Elle n'aime pas ! Soit ! Son avis va-t'il peser dans l'agencement du rayon ? Non, bien sûr, ! L'objectif du magasin est de vendre, non de suivre les métastases intellectuelles d'A. Ernaux, mais d'appliquer une étude marketing précise concluant que cette séparation convient aux acheteurs. Auchan n'applique pas encore la théorie du genre si chère à notre Education Nationale !
En plus elle en appelle aux Femen pour tout détruire ! Les Femen ont d'autres objectifs  plus élevés et plus risqués que de foutre en l'air le linéaire Jouets d'Auchan. Et je préfère quand on parle des Femen, que ce soit Caroline Fourest qui traite du sujet dans son livre " Inna" (Inna Shevchenko). C’est plus crédible. 
Le secteur Informatique. Que des vendeurs ! Virilité ? Non, addiction. Temple du geek. C’est masculin. C’est comme ça. Méprisant avec la clientèle ? Pas du tout. On  apprend à ces vendeurs que plus ils sont techniques et incompréhensibles, plus ils vendront. Encore du marketing !
Le supermarché domaine de la femme ? Encore un raccourci, qui me fait penser qu’elle a sans doute vécu avec un homme qui ne foutait rien à la maison. Nous présenter comme des niais, des "nourrissons" devant un rayon, le mobile collé à l’oreille appelant notre épouse au secours est d’un autre âge.

Vanité
Ensuite, le rayon Livres ! Il n'y a que des Best Sellers. Quoi d'anormal ? Que ce soit chez Auchan ou Carrefour, ou d'autres, il n'y a que ces bouquins qui se vendent. Alors pourquoi mettre en rayons ceux qui ne ce vendent pas ? Auchan, c'est pas Mollat ! C'est un supermarché ! Bon, elle a trouvé quelqu'uns de ses bouquins à elle ! Elle peut être rassurée car elle est populaire (Merci Auchan !), ou attristée d'être devenue un produit de supermarché (saleté de capitalisme !) Et puis les clients ne viennent pas pour les livres, mais pour la bouffe et les vêtements et les produits de ménage. Regardez le rayon Livres, on ne peut pas dire qu’il y a foule !
Mais où est donc le dernier livre de Jean-Marc Roberts ? C’est agaçant à la fin de ne trouver que Marc Levy et Régine Desforges.

Une dame la reconnait ô bonheur ! Elle aurait pu se passer de l'écrire.
Mais une petite vanité fait toujours du bien !
Et le "nos" clients qui l'indigne ! Que dit-elle, elle ? Mes lecteurs ou bien les lecteurs des livres que j'écris ? Là ça chipote dur et ça se noie dans le ridicule !
Elle veut acheter "Le Monde ». Mais comment ne le trouve-t’on pas le soir chez Auchan ? C’est incroyable !

Colonialisme
Ensuite elle croise une femme "noire". Doit-elle écrire africaine, ou simplement femme ? Quel dilemme atroce dont elle aurait pu nous faire grâce. Tout le monde sait que dans un hyper il y a toutes les communautés du monde. Et tout le monde d'ailleurs s'en fout. Mais bon, après, elle assume. Elle écrira plus loin "femme eurasienne" sans trembler. Et elle a trouvé "un vigile noir" pour l’aider à sortir un caddie. L’enfant noir qu’elle veut photographier: elle se ravise car ce serait peut-être du "pittoresque colonial" Ou va-t’elle chercher tout ça ?

Religion
Quant à la tradition catholique de manger du poisson le vendredi, il y a belle lurette que ça n'existe plus, ma pauvre dame ! Elle n'a donc pas compris que si on mange du poisson, c'est bon pour la ligne, les neurones et la santé des vieux ? 

Les femmes voilées lui rappelle les religieuses à cornette de sa jeunesse… qui ont fait voeux de chasteté ! Vous vous rendez-compte: ne pas connaitre le plaisir avec un homme une seule fois dans sa vie ! Qu'en sait-elle de la vie sexuelle de ces bonnes-soeurs. Le célèbre Casanova en a rendu une très heureuse. Et elle devrait lire Sainte Thérèse d’Avila, elle apprendrait ainsi ce qu’est un orgasme divin !

Un seul bon point ! Elle trouve la zone "hard discount" hideuse. C'est vrai Auchan pourrait faire un effort !

Conclusion
Une belle arnaque intellectuelle servie par une plume tatillonne et inquisitoriale. L'esprit misérabiliste d’une femme habitée par un complexe de supériorité gigantesque.

A la fin du bouquin, j’ai pensé le titre, illustré par Reiser le jour de Noël dans un Hyper: un bonhomme aux dents cassés en train de montrer de son gros doigt les illuminations à son gamin morveux !
 Sordide !


Je ne sais pas si un jour je lirai un autre bouquin d’A. Ernaux.

mardi 1 avril 2014

"La Fabrique du Monde" de Sophie Van der Linden

"C'est notre grande spécialité à nous les filles, le mal au ventre". Cette phrase du livre m'a décidé à l'acheter. C'est terrible le mal au ventre ! Celui provoqué par la peur et la souffrance !

Mei, 17 ans, travaille dans une de ces gigantesques usines textiles chinoises qui inondent le marché mondial de vêtements de toutes sortes. La besogne est harassante dans un environnement bruyant de machines-à-coudre. Les corps se disloquent dans la douleur de gestes toujours répétés. Les contremaîtres sont là pour accélérer les cadences et sanctionner les ouvrières en baisse de productivité. On mange sur place. Souvent des nouilles. On dort aussi sur place dans des dortoirs. Deux fois par an les employées peuvent aller voir leurs familles.

Le Nouvel An Chinois approche. Mais pour Mei, il n'y aura pas de voyage car son salaire sera supprimé par le directeur suite à un reproche fait par un de ces contremaîtres sadiques. Pas d'argent, pas de train pour partir.
Elle restera donc dans cette usine pendant que toutes iront retrouver leur famille respective.

Seule ? Elle le croyait ! Il y a quelqu'un d'autre dans l'usine qui, comme elle, reste pendant la période du Nouvel An: Cheng. Il est orphelin et n'a personne chez qui aller.

Se noue alors dans cette usine vide et silencieuse une histoire d'amour entre Mei et Cheng.

Le récit est joliment tourné. L'intrigue est bien ficelée. L'écriture de l'auteure est belle et fluide, mais on sent à la façon de construire la phrase et à l'expression des personnages que ce livre pourrait être un conte. Un conte cruel.  Pour enfants ? Car Sophie Van der Linden écrit principalement des ouvrages pour les enfants.

L'univers abominable de l'industrie textile chinoise est décrite avec un grand réalisme. L'auteure est-elle allée en Chine ou bien a-t'elle puisé dans les innombrables récits de voyageurs et de sociologues qui tous s'accordent sur certaines conditions de travail en Chine dignes de l'époque de la Révolution Industrielle en Angleterre au XIXème siècle ?

Egalement, la psychologie des personnages est bien vue. A 17 ans, les jeunes filles sont-elles si romantiques et "fleur bleue" ? Chez nous pas forcément. Par contre en Chine, oui, et elles le restent pendant longtemps au cours de leur existence. Les gestes, le regard, les pensées, les rêves sont bien chinois chez Mei. Tout comme ces quelques pages colorées, musicales,sensuelles, rêveuses et poétiques, traduction en français d'idéogrammes ou pictogrammes chinois: "Tout voir. Les algues en caresses. Reposer jusqu'au fond. Galets polis, ronds, accueillants. Se détendre toute. Soulevée un peu, déplacée. Doucement, le courant. Voir au dessus. Les arbres. un pont. Un rocher".

Mei est cette jeune fille !

Et la caresse de Cheng sur son cou sera d'autant plus voluptueuse que sa vie lui apparait abrutissante et sans lendemain. Sa sensualité se découvre pas à pas, lui permettant de s'échapper hors des murs gris et des ordres brutaux des contremaîtres.

Que dire de Cheng ? Est-il réellement  amoureux ou n'a-t'il fait que saisir une simple opportunité de "sortir" avec Mei. Pour tuer le temps dans cette usine vide ? Où est la frontière ? Car il y a en une: Cheng est contremaître. A ce titre, il est du côté du pouvoir ! Sortir avec une ouvrière, et qui plus est, une ouvrière du textile ce qui la range dans le "lumpenprolétariat" de l'industrie chinoise, est une grave erreur. Et aux yeux de la Société, si l'idylle est dévoilée, c'est une faute.

Il y aurait aussi à discuter d'une autre composante, celle de la liberté ! Qu'est-ce que la liberté en Chine ? Peu de chose. On ne peut critiquer le gouvernement. Tout le monde le sait. Sous peine de mort. Mais il y a aussi le poids de traditions, des us et coutumes, les interdits de toutes sortes, les lois de l'industrie, les mauvaises conditions de travail, qui plombent cette liberté et tétanisent les comportements sociaux. 5000 ans de civilisation !
Alors, peut-on aimer "librement" dans ce cadre de vie ? Mei, privée de liberté, s'est évadée dans l'amour se donnant totalement, pensant atteindre enfin ce nuage bleu qui illumine sans doute les pages de ces livres qu'elle lit le soir à ses compagnes de dortoir. 

Sa chute dans la réalité sera violente 

Un très beau petit livre (155 pages) qui se lit d'un trait. C'est le premier roman de Sophie Van der Linden. Auteure à suivre !