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samedi 30 août 2014

"Khomeiny, Sade et Moi" d'Abnousse Shalmani

La femme qui apparait sur la jaquette du livre, est belle, très belle ! Le regard,noir et profond, nous commande de la considérer au delà de sa seule apparence. La posture est fière, celle d’une personnalité qui tient tête. Tout au long de la lecture du livre, cette femme se dresse devant nous, les yeux transperçant le mensonge, la brutalité, la vulgarité ou le mépris qui pourraient s'exprimer de chacun de nous.

Abnousse, l'iranienne, veut nous parler de son corps. Et ce corps brûle de cette liberté dont on l'a privé enfant.

Ce corps qui est nié et meurtri par les barbus (hommes) et les corbeaux (femmes), vainqueurs de la Révolution iranienne lors du référendum du 1er avril 1979. A Téhéran, elle subit la tyrannie des mollas de Khomeiny qui exacerbent l'esprit de la 'awra, "la plaie de l'Orient", cette série de règles et de codes qui déterminent la zone privée et publique de chacun des musulmans. Et d'être femme, c'est n'être qu'une ombre dans la sphère publique. "Parce que vous êtes, vous les femmes, des objets dangereux" lui disait le professeur de "religion" à l'école. Elle écrit que dans l'Islam, la femme n'existe pas, ou du moins quand on parle d'elle, c'est en ces termes : "La femme a un genre dont la tromperie est immense" (Coran 12/28). Elle doivent cacher leur corps car "le corps est sale, le corps est dangereux, le corps est l'ennemi de la foi véritable"

Elle le découvrira, ce corps, à Paris, où sa famille, en désaccord avec la république islamique, s’exile.

En France ce long travail sur son corps commence par la découverte des livres de Pierre Louÿs. Puis, elle lira des œuvres libertines anonymes ou secondaires, telles que Thérèse philosophe. Enfin elle découvre Sade "le divin marquis" et c'est le choc, l'inimaginable, l'effroi, le no limit, aller jusqu'au bout du bout, jouir dans la douleur, souffrir dans la jouissance. Le lire jusqu'à l'écœurement...pour être libre. Enfin !
Ce corps qu'elle veut libre issu d'un esprit libre : "c'est parce que les protagonistes de Thérèse philosophe se sont libérés des entraves du corps qu'ils sont capables de raisonner..." Et elle ajoute "Il y a dans la construction du roman libertin une clef qui ouvre la porte de l'esprit"
Le corps et l'esprit. Le corps par l'esprit. Le corps sans esprit n'est rien. "La parole et le cul" écrit-elle à la fin du livre.
Elle écrit qu'elle a été une très jolie petite fille qui aimait s'exhiber nue comme souvent les enfants aiment faire et que d'avoir lu les livres érotiques de Pierre Louÿs l'a définitivement rendu femme après une adolescence douloureuse marquée par une précocité qui l'a éloigné des autres. 
Abnousse Shahmani va au-delà du fait iranien et islamiste pour déchirer tous les voiles cachées de notre société occidentales. Les lepénistes sont des barbus. Tout comme les trotskistes qui n'aiment pas la femme qu'elle est. La journée de la Jupe avec Adjani la passionne. Mais elle n’a pas d’illusions sur l’issue des Printemps arabes : les islamistes triompheront.

Ses mots pourfendent la religion, toutes les religions qui drapent ce corps honteux dans les voiles et les préjugés.

"Je me demandais si je pouvais continuer comme ça. A ressembler à une femme ! Juste à une femme ! "

Ce livre est un témoignage et une réflexion profonde sur la femme, son corps et l'esprit qui le façonne. Sa plume percute, même si elle n'a pas fait œuvre d'une brillante littérature. Souvent elle se répète, amplifie inutilement, parfois s'aventure dans des situations ou des pensées qui n'ont que très peu à voir avec le sujet. Mais quel souffle ! Jusqu'à l'excès sans doute, mais peut-on le lui reprocher quand on vient de l’Iran de Khomeiny.  Elle forme de jolies phrases qui parfois meurent dans la confusion. Mais elle écrit avec une outrance qui lui va bien. Sa prose est jubilatoire. 
Toutefois, elle prend un "sacré" risque. Une fatwa contre elle pourrait être lancée depuis l'Iran.
Souvenons-nous de Salman Rushdi et ses "versets sataniques".

Les militaires masculins n’ont pas d’imagination. leurs bombes tuent. Abnousse, elle, sait comment déstabiliser un régime islamiste : "Bombardez les pays des barbus avec des livres libertins du XVIIIe français"

Ô ! Divine Marquise ! 


mercredi 20 août 2014

"1814, un tsar à Paris" de Marie-Pierre Rey


"C'est à vous de sauver l'Europe et vous n'y parviendrez qu'en tenant tête à Napoléon. Le peuple français est civilisé, son souverain ne l'est pas. Le souverain de la Russie est civilisé, son peuple ne l'est pas. C'est donc au souverain de la Russie d'être l'allié du peuple français". C'est ce que Talleyrand dit à Alexandre 1er lors d'une rencontre avec l'empereur russe après la débâcle de la Grande Armée en Russie.

Ce qu'il fait !

Alexandre 1er comprend que la seule façon d'avoir la paix est de vaincre Napoléon, totalement, afin qu'il quitte le pouvoir. Il est le seul à répéter inlassablement que Napoléon recommencera sans fin à violer la paix et à faire la guerre. 
Et malgré de nombreuses propositions, Il refusera jusqu'au bout de négocier avec Napoléon ou des membres de sa famille. 
Sur ce point, il a raison.

Pendant des mois à travers l'Europe, il poursuit Napoléon jusque sur le territoire français avec l'armée des coalisés, aux portes de la capitale française où, vaincu, l'empereur de français choisit d'abdiquer.
Et pour le malheur de la France, Alexandre proposera l'île d'Elbe comme refuge pour l'empereur des français.

Le 31 mars 1814, Alexandre 1er, tsar de toutes les Russies fait une entrée triomphale à Paris.
Les français attendaient des barbares, le cou orné "de colliers en oreilles humaines", et ils trouvent des gens polis dont beaucoup parmi les officiers parlent le français. Les français peuvent acclamer cet empereur qui leur déclare qu'il ne fait pas la guerre aux français mais seulement à leur empereur.
Il aime la France et il le prouve en veillant à ce qu'aucun de ses soldat ne manque de respect à l'égard des français.

Par mansuétude et clémence il ne cherche pas la vengeance contre les français. 
L'équilibre politique et la paix en Europe sera son grand chantier.

Eduqué très jeune par son précepteur suisse, Laharpe, qui lui enseigne les idées libérales et la tolérance, il admet que la France ne peut revenir à l'Ancien Régime et accepte un gouvernement Bourbon légitimé par une constitution qui restreint les pouvoirs du roi, lui fait partager le pouvoir législatif avec les chambres, restaure la liberté de la presse et des cultes.
"Le droit divin n'est plus une force pour la France. Datez votre règne du jour où on vous proclamera, vous ne saurez effacer l'histoire." Dira-t'il au futur roi Louis XVIII. 
Quoi de plus clairvoyant !

Mais si son intelligence politique a été brillante en Europe, Alexandre reste un russe conservateur sur la question polonaise et sur le sujet politico-social dans son pays. Il refuse une Pologne grande et forte, car la Russie craint une renaissance de ce pays qui a été une grande puissance du Xe au XVIIIe siècles. Quant à la politique dans son empire, il entend continuer à gouverner en autocrate, et la suppression du servage ne semble pas dans les pensées de l'empereur.
Toutefois, Alexandre aurait du réfléchir sur la situation polico-sociale dans son empire car les militaires, que l'empereur de Russie amène jusqu'à Paris, découvrent en parcourant Paris la libre-pensée et la démocratie. Beaucoup feront partie de la révolte de Décembristes en Russie en 1825 contre l'autocratie tsariste.

Alexandre, un grand empereur, qui a mis un terme à la folie napoléonienne ! 

Marie-Pierre Rey a brillamment analysé la stratégie politique d'Alexandre 1er. Son argumentation, simple et claire, met en lumière une facette de l'histoire méconnue de ce début du XIXe siècle, et remet en question nos connaissances, trop habitués que nous sommes à ne considérer cette période que par notre lorgnette nationale.