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lundi 28 juillet 2014

"Les Cavaliers Afghans" de Louis Meunier

Un beau livre, en vérité, que m'ont envoyé Babelio et les éditions Kero ! 

C'est une histoire écrite par un auteur jeune et intrépide. Son histoire à lui, qu’il raconte d’une écriture tumultueuse. L'histoire d’un garçon qui après des études de commerce, ne voulant pas dès son diplôme obtenu se vendre aux Stés internationales, se fait embaucher par une ONG pour le développement qui opère en Afghanistan. Ce pays de toutes les convoitises, fascine. En France, L’Afghanistan a fait rêver les idéalistes de 1968 qui ont tracé en 2CV la route Paris-Kaboul. Puis est venue la chute de la royauté par la prise du pouvoir des communistes, l’aide militaire de Moscou qui a perdu contre la guérilla de tout un peuple enfin uni contre l’intrusion soviétique. La reconnaissance internationale de Médecins sans Frontières est due en large partie à leur intervention massive et courageuse dans ce pays. ‟Les Afghans” comme on les appelait avec admiration et respect chez MSF. Ensuite a éclaté la guerre des Talibans, puis l’intervention américaine qui chasse ces derniers du pouvoir et installe Hamid Karzai aux commandes du pays. 
La guerre n’est à ce jour pas terminée.
Nous sommes en 2002 quand Louis Meunier arrive dans ce pays aride couronné par la somptueuse chaîne montagneuse de l’Hindou Kouch-Himalaya. Pays de contrastes violents, de montagnes abruptes, de torrents furieux, de soleil brûlant et de froid polaire.
Ce pays n'est pas une nation mais une mosaïque de peuples qui se supportent peut-être parce que les vallées où ils vivent sont difficiles d’accès et donc constituent une protection efficace. Ouzbeks, Turkmènes, Tadjiks, Hazaras, Pashtouns, Timuris, Arabes etc... Chiites ou sunnites ne s’unissent que lors d’une agression extérieure. 

Afghanistan "terre des chevaux", pays aux moeurs moyenâgeuses où la loi du plus fort s'applique rudement. Terre de clans, de chefs de guerre. 
Terre des « Djinns » bons ou mauvais.
Respect, dignité, fierté, honneur, bravoure, endurance, souffrance, ténacité, force. Des caractères et des attitudes qui ne font plus partie de la charte morale de notre monde amolli par l'abondance et la soumission au désir. 
Ces Afghans aux cheveux blonds, roux ou noirs, aux yeux bleus, verts ou noirs, serions-nous au centre de la civilisation indo-européenne ?
Louis Meunier tisse ainsi la toile de fond de son livre. Nous suivrons et comprendrons mieux les fils de l'intrigue.

Ce pays a allumé dans le coeur de Louis Meunier un feu brûlant qui le pousse vers des aventures et des expériences auxquelles le commun des mortels n'oserait pas se confronter. Sa passion du cheval va le conduire à se rapprocher le plus près possible de l’Afghan. Tout comme son désir de découverte l’entraînera dans un voyage hors du temps.
Tout l'Afghanistan pour un cheval.
Cependant, il restera ce "khareji ", cet « étranger » qui aura du mal à pénétrer l’âme afghane imprévisible et mystérieuse même s’il se sent bien dans ce pays. Parviendra-t'il à percer la peau de ce peuple-caméléon ?

Il n’aura pas à rougir face au grand livre Les "Cavaliers" de Kessel. Les deux auteurs n’opèrent pas dans la même sphère, ni à la même époque. Chez Kessel, on est dans l’épopée mystique. Son histoire est idéalisée. Jehol, le héros-cheval, est proche de la mythologie, sorte de Bucéphale, mi-animal, mi-dieu. Kessel a écrit un roman, sans doute son meilleur.
Au contraire, Louis Meunier est témoin et acteur de son livre. C'est plus toutefois qu'un simple carnet de route. Il est proche d'une Ella Maillart par l'acuité de l'observation. Les faits décrits son réels. Et ils nous touchent d'autant plus qu'ils sont proches dans le temps. L'écriture est efficace. Les chapitres, courts, donnent une bonne respiration au livre. Les observations de l'auteur sont toujours illustrées par l'histoire, la géographie, la politique, les moeurs du pays, etc. Son texte pourrait devenir très facilement un bon scénario. Son témoignage, remarquable, se lit avec un immense plaisir. L’ennui ne vient jamais au bout des 327pages qui s'avalent en une nuit...au galop !


Ami voyageur, si tes pas te mènent dans ce vaste pays, souvent tu entendras cet encouragement:
"Va ton chemin et bonne route ! Ne sois jamais fatigué ! "

dimanche 20 juillet 2014

"Le Taquet" d'Evguéni Grichkovets

Un train qui roule sur son rail. Bruit syncopé et monotone. Tagadam, tougoudoum, tagadam, tougoudoum, tagadam, tougoudoum ! Steppe qui se déroule sans fin. Passé Novossibirsk, il s’enfonce vers le néant sibérien.
Au bout, Vladivostok !


Boire, boire encore ! Vodka ! Peu importe la marque ! la Standard, sans doute ! L’assommoir ! Jusqu’au trou noir ! S’enfoncer vers le néant. Dans ce livre, dans une nouvelle sur deux la vodka commence, ponctue ou termine une histoire.

Puisque ‟ la conscience que j’avais de mon être s’était habituée au fait même que je n’aie pas de nom. Elle avait oublié le comment de l’existence… Vivre point final”, pense le petit gars de la Marine que le train emmène vers son affectation maritime. Trois ans de service militaire. Pendant l’instruction "le débourrage", exécuter des tâches qui n’ont pas de sens. Ordres hurlés. Humiliations.
Ne penser à rien !
N’être rien !
Dans ce froid humide de l’extrême-orient russe.
Ciel gris et bas qui se confond avec la neige sale.
Dès que la neige cessera de tomber, de jour comme de nuit, il faudra l'enlever de tout le bateau.
Pour son anniversaire, il veut offrir à boire. Petite touche de bonheur. De la vodka qu'il part acheter au village voisin.  Du retour du magasin, la bouteille tombe de son sac et se casse dans la neige. Tristesse. Il ne pourra rien offrir à ces ‟autres” dont il ne supportait pas la présence au début.
Ces "autres" qui ne sont pas "lui".
Dans son livre "Tangente vers l'Est", Maylis de Kerangal rencontre ces militaires qui partent avec le Transsibérien vers cet horizon russe sans fin. Un troupeau hagard.
Ce marin conscrit, c’est Evguéni Grichkovets qui se raconte dans cette nouvelle et celle qui suit.

Dans la seconde, avec le géorgien Djamal Beridze, il doit porter à la main sur des kilomètres un transformateur métallique de 60 Kgs. C’est un ordre du bosco Khamovski. L’appareil sera trop gros pour passer par l’écoutille du bateau. Le bosco ordonne de ramener le transformateur au village. Lançant un cri rageur, Djamal le passe par dessus bord. ‟Après tout qu’il aille se faire foutre ce transfo” dira le bosco. Stupidité du commandement adoucie par la sagesse du bosco. Nous sommes en Russie, au bord du Pacifique. Moscou est loin. Alors… on peut prendre quelques libertés.
Eh hop, un coup de vodka !
Dans la 3ème, 4ème, 5ème et 7ème nouvelles, on boit encore. Dans la 3ème, Kostia, étudiant à Moscou, trouve un portefeuille qu’il rend à son propriétaire, un nouveau riche, rustre et alcoolisé, comme la Russie d'Elstine en a beaucoup fabriqué. Ce sera le choc entre deux destins opposés, celui d’un étudiant désargenté et honnête, ébloui par l’effervescence intellectuelle de la capitale confronté à celui, rustique, de ce faiseur d’argent facile, truand sans doute.

Vadik est salarié traitant des problèmes de standardisation dans un ministère. Tu parles d’un métier excitant ! Mais il ne dort pas la nuit. Alors, le jour, il dort partout, dans sa voiture, sur le fauteuil du dentiste, chez le coiffeur. Après un concert, il se saoule ! Sa femme Katia aussi ! Tant mieux, elle ne l’engueulera pas. Partie nulle ! D'habitude en Russie, c'est surtout le mari qui boit et son épouse qui finira par foutre le camp et divorcer.

Dans la 5ème nouvelle, Andreï et ses copains se mettent ‟out” dans un bar en regardant un match de foot sur un grand écran. Il s’ennuie entre sa femme Tatiana et sa fille Varia. Marquis c’est le chien qu’il faut sortir matin et soir. Il meurt, comme ça, sans prévenir. Sur six pages il cherchera un endroit pour enterrer Marquis. C’est beaucoup six pages pour enterrer un chien !
Dans la 7ème nouvelle, Igor Semionovitch boit en attendant l’avion qui part de Moscou pour Perm. Dans ce bar, il tombe en admiration devant une actrice de théâtre qui lui est présentée. Il bave devant cette femme qui l’ignore et dédaigne sa conversation de gros entrepreneur immobilier. Encore cette confrontation entre deux mondes trop différents. Cette nouvelle me rappelle que dans le film d’Agnès Jaoui, ‟Le Goût des Autres”, le directeur d’une grosse Sté, Castella/Bacri, rustre et beauf, tombe amoureux de Clara/Anne Alvaro, actrice de théâtre. 

Igor a un taquet intérieur qui contrôle son agressivité. Si le taquet tombe, Igor cogne. Ce soir il ne trouvera rien ni personne à frapper, mais il boira ! Trop ! Je ne sais plus s’il réussit à prendre son avion.

L'auteur raconte ces vies différentes, celle de lui-même en militaire, celle d’un salarié anonyme,celle d’un lambda et son chien, celle d’un entrepreneur. 
C'est souvent tragi-comique dans les oppositions contrastées entre les personnages. Ce sont des moments dans la Russie contemporaine que l'homme de théâtre Evgueni Grichkovets met en scène. Destins d’hommes qui se réjouissent d’un petit rien puis plongent dans la vodka...
...Peut-être pour échapper à une certaine absurdité de cette vie moderne post-soviétique qu'ils ne maîtrisent pas.

dimanche 6 juillet 2014

"Quand passent les cigognes" de Mikhaïl Kalatozov VO - 1957

Le ciné-club était situé près du dispensaire de la ville où, enfant, j'habitais. Une espèce de patronage communiste qui programmait entre autres des films soviétiques. 
Je devais peut-être avoir 10 ou 11 ans.
Après l'incontournable "Potemkine", ont été donnés "Octobre", "La Mère" et puis est venu ce film "Quand passent les cigognes"
Le film terminé, quelle impression avais-je emporté ?  Peut-être un grand poème exalté qui s'est imprimé à mon insu au plus profond de moi. Depuis vingt ans des images surgissaient, des images fortes d'un grand rêve à la fois féérique et tragique. Et puis ces images me sont apparues de plus en plus fréquemment. Jusqu'à l'obsession. Il fallait que je revois ce film. J'ai cherché sans hâte car, de le visionner à nouveau, je craignais d'être déçu, de ne plus comprendre l'oeuvre, de ne pas retrouver mon enthousiasme de l'époque.
Jusqu'à jeudi dernier où ce film m'a été offert pour mon anniversaire.
Depuis tellement d’années, qu'allais-je trouver ?
Eh bien, l'oeuvre cinématographique la plus merveilleuse qu'il m'a été donné de voir depuis longtemps.
Le souvenir d'enfance s'est fondu dans la vision nouvelle que j'ai eu de ce film.
Oeuvre artistique absolue qui mêle le ballet et le théâtre dans une épopée historique comme seuls savent faire les russes.
Film en noir et blanc, il reçut la Palme dOr à Cannes en 1958.
Les plans sont à couper le souffle. On pourrait prendre une à une les images pour en faire des tableaux qui recouvriraient les murs d'un immense musée et que notre regard suivrait l'un après l'autre sans que jamais, malgré le défaut d'animation, nous perdions le fil de l'histoire. Chaque photo, chaque image renferme la totalité du drame.

Veronika/Tatiana Samoïlova. Elle est cette belle jeune fille aux yeux fendus qu'on imagine bleus des ciels sibériens. Elle est vêtu dune ample jupe longue qui donne du volume aux hanches et affine la taille. Le haut est cet élégant sweet de lépoque que lon voyait dans Paris-Match et Life habiller les Kennedy à Cap Cod ou les copains dEddy Barclay à Saint-Tropez. A l'hôpital pendant la guerre, elle portera la blouse blanche des infirmières. 
Avant la guerre son regard sera langoureux et rêveur. Pendant la guerre il deviendra perçant et résolu. Souvent triste à cause des terribles souffrances endurées par les soldats soviétiques et la population civile pendant la grande guerre patriotique de 1941-45. Elle est très présente cette guerre qui emportera Boris  et permettra au lâche Mark de courtiser Veronika.

Boris/Alexeï Batalov. C'est son amoureux. L'homme est svelte. Chevelure noire, coupée nuque haute, oreille dégagée. Une chemise blanche, large, avec ce léger froissé qui faisait le décontracté viril de l'époque. Le pantalon est noir qui enserre une taille étroite. Le regard est haut, lointain, regard de ces personnages de la statuaire soviétique d'homme musclé enserrant la taille d'une belle femme aux seins généreux, corps tendus vers l'eden socialiste

Veronika est Ecureuil pour Boris. Bonjour Ecureuil ! Bonsoir Écureuil ! Je t'aime Ecureuil ! Ecureuil qui court, qui danse, qui saute, qui s'arrête et regarde autour d'elle...comme ce petit animal, leste, doux, drôle

Lamour est le grand thème du film. Il nait dans lespérance soviétique comme un sentiment absolu et universel. Amour de légende épique, Arthur et Guenièvre, Tristan et Iseult. 
Veronika aime Boris pour qui le devoir patriotique est plus fort. Le cousin de Boris, Mark/ Alexandre Chvorine aime cette femme qui ne l'aime pas. Chacun poursuit l'autre. Nous sommes dans une intrigue amoureuse qui a fait tourner des kilomètres de bobines et écrire des milliers de pages. Dans Autant en Emporte le Vent, Scarlett aime Ashley , Rhett aime Scarlett qui ne l’aime que parce qu’une femme doit être mariée. Une femme pour deux hommes. Un doux, un brutal. Victoire de la brutalité sur la douceur. Femme qui se soumet à la brutalité. Femme amoureuse qui se consume dans l'être de douceur. Femme de la douceur qui rêve et qui danse, qui devient femme résolue, pragmatique et travailleuse. 
Mark embrasse Veronika pdans le fracas et les étincelles du bombardement nazi, tout comme Rhett emporte Scarlett au milieu d'Atlanta en flammes.
Le baiser de Boris et Veronika dans un clair-obscur d’un crépuscule russe est un soupir d’éternité. L’élan amoureux de Boris s’exprimera dans la scène du grand escalier comme une valse tourbillonnante de l’amoureux. Le regard haut, tendu vers l’être aimé, il vole en montant vers le dernier étage où habite Veronika.
L’amour est d’autant plus fort que la vie est précaire. 
Il est cet amour comme nous le rêvons ou l'avons rêvé et que nous avons rarement vécu.
On est très loin de celui de beaucoup de films contemporains dans notre civilisation repue et désabusée, amours issus des phantasmes du réalisateur ou de son scénariste. Amours aux situations improbables. Amours triviales qui nous laissent souvent un goût de dépression dans la bouche. Amour triste, petit bourgeois. Amour de télé, le soir dans le canapé. Amour compté. Amour programmé. Amour raisonnable. Amour minable pour une époque minable. 

Ce film est un chant sublime dun amour total au milieu de la guerre. Il ne peut rien contre la fatalité de la tragédie. Mais il est un défi lancé à la face cruelle et cynique des monstres nazis et staliniens
Il n’y a peu dautre espoir que ce message « Aime-moi fort, puisque je vais mourir » 

Et un vol de cigognes passe dans le ciel...


mardi 1 juillet 2014

"Le voyage impaisible de Pauline » de Maryna Uzun

D
L'auteure ne pouvait pas donner meilleur titre à son livre. Le voyage, c'est être toujours en mouvement. "Impaisible", c'est l'impossibilité de trouver la paix, le repos. L'adjectif n’est plus employé de nos jours où nous dirions "inquiet" ou "agité". "Impaisible" ajoute une note tragique à un destin toujours en guerre et secoué de malheurs. "Se battre: c’est encore là qu’elle se sentait le mieux" dit quelque part Pauline après la mort accidentelle de son mari, Tom. Elle doit se battre contre elle-même lorsqu'elle elle se sépare d'avec sa fille, Léna, dont elle confie l'éducation à ses parents qui habitent Kharkov en Ukraine, puisque dans son malheur, elle se sent incapable de s'occuper de cette enfant qu'elle a eu avec Tom. Peut-être aussi pense-t’elle que son métier de danseuse est incompatible avec une vie de famille. Cette séparation lui donne la liberté de chercher du travail dans une compagnie de danse contemporaine. Pas facile pour une artiste à qui son professeur ukrainien a enseigné davantage la technique que l'émotion. Là encore se dépasser, se battre contre des concurrents, doués eux aussi.
Dans le même esprit, l’écrivain portugais Fernando Pessoa avait écrit "Le Livre de l’Intranquilité", mot beaucoup plus lourd de sens que la simple "agitation"

Quand Pauline, 19 ans, alors étudiante en danse, décide de quitter son pays, l'Ukraine, que l'illusion soviétique a détruit et que les promesses du capitalisme ont déçu, elle choisit la France, le pays de la culture. Elle passe le concours de danse du Conservatoire de Paris. Echec. Désespoir. Rencontre avec son futur mari, Tom, qui l'embauche comme danseuse dans sa troupe de théâtre. "Comment se fait-il que ma vérité soit invraisemblable et mes fabulations tout à fait plausibles" lui déclare un jour Tom. Cette phrase fascine Pauline. Paris est vraiment la ville des artistes !


Initiation à la chorégraphie contemporaine. La mort tragique et soudaine de son mari la rend inconsolable si grand était leur amour. Recommencer à vivre. Quitter la troupe. Retrouver du travail. Au bout du chemin le bonheur, peut-être ?

"Elle allait toujours de l’avant, sans jamais se retourner. C’était la devise des têtes brûlées, mais aussi une devise prolétaire" écrit Maryna Uzun. Combien de femmes et d'hommes ukrainiens ont du ainsi quitter leur pays pour trouver ailleurs une vie meilleure. Ils se sont battus contre vents et marées dans des univers souvent très concurrentiels où personne ne les attendait, ni ne leur a fait de cadeaux. Dans un pays de la Communauté Européenne ou d'Amérique du Nord, zones dans lesquelles il est extrêmement difficile de devenir citoyen. Pauline finira par acquérir la nationalité française par mariage
Ces émigrés ont travaillé comme des "prolétaires" jusqu'à l’épuisement parfois. Ils ont "raboter" comme l'écrit Maryna Uzun, traduisant en français le verbe russe "работать" qui exprime à la fois l'ouvrage bien fait et la peine que demande souvent le travail.

ll y a du caméléon chez Maryna Uzun. Sans doute faut-il l’être beaucoup pour se couler dans la vie française si différente de l'ukrainienne. Et dans le pays où on s'installe, s'intégrer. Disparaître, se fondre, devenir de la couleur des murs. Complètement. Pavlina devient Pauline. Faire oublier qu'on est d'ailleurs. C'est sans doute une des raison pour laquelle l'auteure écrit non dans sa  langue, l’ukrainien, mais en français, langue "très difficile" aux dires d’Anatoli, le père de Pauline. Et elle l'écrit bien, avec de belles tournures de phrases et une connaissance aigüe du sens des mots qui, si on oublie d'être cet expert qui décèle içi ou là quelques légères surprises de langage, font oublier que l'auteure est étrangère. Dans le style aussi qu'elle adapte aux différentes situations du livres. Style théâtral avec beaucoup de dialogues quand Pauline vit au milieu de la troupe de Tom. Style du roman bourgeois quand elle réside dans le Var avec son amie Alexandra, ou bien au cours de ses promenades romantiques avec Augustin, Ou bien encore ce style de grise mélancolie très slave quand elle revient à Kharkov voir sa fille.
Kharkov

Andreï Kourkov a écrit le "Le Caméléon". Ce grand auteur ukrainien est lui-même d'origine russe comme Pauline. Parler russe dans un pays où la langue officielle est l'ukrainien, c'est déjà naître caméléon, n'est-ce-pas ?

En plus de la lutte pour une vie digne et passionnante, c'est l'histoire de la construction d’un amour que Maryna Uzun raconte. Avec talent et réalisme elle dessine le comportement amoureux des héros de son livre, Pauline, Tom, Augustin, Pia, en respectant les tempi dans la naissance des sentiments, les doutes, les hésitations, les illusions, les hauts et les bas, les joies, les coups gueule... Il y a dans la manière de l’auteure quelque chose qui touche à l’universel quand elle parle du sentiment amoureux. Ce sentiment, c’est aussi le mien ! C'est sans doute le vôtre. Elle donne son exacte place au désir et à la sensualité, en réservant le plus grand espace au sublime.
Amour entre deux amants, entre parents et enfants, amour qui n'a aucunement besoin de préceptes religieux "tu aimeras ton prochain..." "Ton père et ta mère, tu honoreras !" "Amour divin entre l'homme et la femme". L'absence d’éducation religieuse chez les parents de Pauline est remplacée par une foi universelle. D’où vient cette foi chez ses parents ? "Une foi nue, sans aucun édifice, sans le besoin d’une assemblée, et même sans extérioriser sa voix"

Pauline, "elle avait souvent chaud d’émotions, et froid d’ennui". Elle luttera encore et encore car on n'épuise pas un besoin d’amour.

Il faut lire Maryna Uzun. J'ai lu son livre d'un trait.