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mardi 4 novembre 2014

"Léviathan" de Andreï Zviaguintsev (VO)

Léviathan : monstre colossal à la forme non précisée, marin ou terrestre selon les différentes mythologies. Peut-être serpent ou dragon ! En tout cas, hideux et terrifiant ! Jamais personne ne l'a vu ni entendu. Il est si destructeur qu'il pourrait provoquer le chaos et la fin du monde.

L'horreur totale, donc !

Qu'est ce Léviathan dans ce film ? ?
 Serait-il ce gigantesque squelette de baleine échouée auprès duquel, Roma, le jeune garçon se réfugie. Bien que le Léviathan ait désigné, dans l'imagination populaire, un grand cachalot à l'énorme mâchoire qui mesurait 17,5 mètres, vous n'y êtes pas ! 

Alors, cela pourrait-il être cette grosse tête, brutale, aux dents acérées, au bout d'un long cou qui s'abat sur la maison de Kolia, beau-père de Roma, l'enfant de Lilya, sa femme, tel un tyranosaure cruel détruisant et avalant tout ?
Encore perdu !
Ce n'est qu'une pelle mécanique. Monstrueuse quand même dans sa folie destructrice qui nous renvoie à quelques monstres terrifiants de Jurassic Park.

Il est pourtant présent ce Léviathan ! Omniprésent même !
Ce Leviathan, cette chose immonde, cruelle, gluante, polymorphe, invisible qui s'abat sans bruit, sournoisement sur tous les protagonistes du film, c'est ce sentiment de fatalité russe, cette soumission à une autorité personnalisée, cette angoisse due au vide intellectuel et moral qui emprisonne dans ses tentacules ces personnages des confins russes en bordure
de la mer de Barents en les désarticulants, provoquant chez eux des dommages physiques et mentaux irréparables.
Les personnages n'ont aucun échappatoire. Au nord, la mer ! Au sud, à l'ouest et à l’est, l’infinie de la terre russe. Ils sont dans une cage sans barreaux, obligés de vivre avec d'autres individus aux mœurs et aux destinés différentes. Ils tournent en boucle dans une tragédie qu'accompagne la même musique triste.

Et il y a cette identité russe, floue, trop floue qui se débat dans un questionnement identitaire : la Russie entre Etat-nation et empire. L'image est brouillée et met de la confusion dans le métabolisme de l'âme russe.



Pour conjurer ce Léviathan, les personnages risquent leur vie, jouent leur va-tout, sont prêt à tout perdre avant d'être engloutie dans les entrailles de la bête.

Ne nous arrêtons pas à ne voir que des hommes qui se soûlent, une femme qui trompe son mari, un homme politique qui abuse du pouvoir. Ne cataloguons pas trop vite l'homme ou la femme russe dans un schéma simpliste qui complait aux occidentaux que nous sommes. La réalité est autrement plus complexe.
Egalement ce procès pour meurtre, qui ressemble à tous les procès d'assises à travers le monde. Faute de preuves tangibles, les juges imaginent l'histoire la plus plausible pour la conscience humaine et condamnent l'auteur présumé. Rien là qui soit proprement russe !

L'immensité du pays et la nature ont forgé l'âme russe. Une âme fragile ébranlée par des siècles de dictature tsariste et par le nihilisme communiste. L'écroulement de l'URSS a été un bouleversement dont peu de personne chez nous ont mesuré le niveau insupportable de cette tragédie.

C'est aussi cela le Léviathan !
Film admirable, qui reçoit cette année le Prix du scénario au Festival de Cannes. La Russie le présentera aux Oscars 2015, même si paraît-il "Léviathan" ne plaît pas au ministre russe de la culture, Vladimir Medinski, en raison de la critique de l'Etat qui apparaitrait sous entendue dans ce film, ou bien des trop nombreux jurons proférés par les acteurs.
L'histoire ne le dit pas.

samedi 30 août 2014

"Khomeiny, Sade et Moi" d'Abnousse Shalmani

La femme qui apparait sur la jaquette du livre, est belle, très belle ! Le regard,noir et profond, nous commande de la considérer au delà de sa seule apparence. La posture est fière, celle d’une personnalité qui tient tête. Tout au long de la lecture du livre, cette femme se dresse devant nous, les yeux transperçant le mensonge, la brutalité, la vulgarité ou le mépris qui pourraient s'exprimer de chacun de nous.

Abnousse, l'iranienne, veut nous parler de son corps. Et ce corps brûle de cette liberté dont on l'a privé enfant.

Ce corps qui est nié et meurtri par les barbus (hommes) et les corbeaux (femmes), vainqueurs de la Révolution iranienne lors du référendum du 1er avril 1979. A Téhéran, elle subit la tyrannie des mollas de Khomeiny qui exacerbent l'esprit de la 'awra, "la plaie de l'Orient", cette série de règles et de codes qui déterminent la zone privée et publique de chacun des musulmans. Et d'être femme, c'est n'être qu'une ombre dans la sphère publique. "Parce que vous êtes, vous les femmes, des objets dangereux" lui disait le professeur de "religion" à l'école. Elle écrit que dans l'Islam, la femme n'existe pas, ou du moins quand on parle d'elle, c'est en ces termes : "La femme a un genre dont la tromperie est immense" (Coran 12/28). Elle doivent cacher leur corps car "le corps est sale, le corps est dangereux, le corps est l'ennemi de la foi véritable"

Elle le découvrira, ce corps, à Paris, où sa famille, en désaccord avec la république islamique, s’exile.

En France ce long travail sur son corps commence par la découverte des livres de Pierre Louÿs. Puis, elle lira des œuvres libertines anonymes ou secondaires, telles que Thérèse philosophe. Enfin elle découvre Sade "le divin marquis" et c'est le choc, l'inimaginable, l'effroi, le no limit, aller jusqu'au bout du bout, jouir dans la douleur, souffrir dans la jouissance. Le lire jusqu'à l'écœurement...pour être libre. Enfin !
Ce corps qu'elle veut libre issu d'un esprit libre : "c'est parce que les protagonistes de Thérèse philosophe se sont libérés des entraves du corps qu'ils sont capables de raisonner..." Et elle ajoute "Il y a dans la construction du roman libertin une clef qui ouvre la porte de l'esprit"
Le corps et l'esprit. Le corps par l'esprit. Le corps sans esprit n'est rien. "La parole et le cul" écrit-elle à la fin du livre.
Elle écrit qu'elle a été une très jolie petite fille qui aimait s'exhiber nue comme souvent les enfants aiment faire et que d'avoir lu les livres érotiques de Pierre Louÿs l'a définitivement rendu femme après une adolescence douloureuse marquée par une précocité qui l'a éloigné des autres. 
Abnousse Shahmani va au-delà du fait iranien et islamiste pour déchirer tous les voiles cachées de notre société occidentales. Les lepénistes sont des barbus. Tout comme les trotskistes qui n'aiment pas la femme qu'elle est. La journée de la Jupe avec Adjani la passionne. Mais elle n’a pas d’illusions sur l’issue des Printemps arabes : les islamistes triompheront.

Ses mots pourfendent la religion, toutes les religions qui drapent ce corps honteux dans les voiles et les préjugés.

"Je me demandais si je pouvais continuer comme ça. A ressembler à une femme ! Juste à une femme ! "

Ce livre est un témoignage et une réflexion profonde sur la femme, son corps et l'esprit qui le façonne. Sa plume percute, même si elle n'a pas fait œuvre d'une brillante littérature. Souvent elle se répète, amplifie inutilement, parfois s'aventure dans des situations ou des pensées qui n'ont que très peu à voir avec le sujet. Mais quel souffle ! Jusqu'à l'excès sans doute, mais peut-on le lui reprocher quand on vient de l’Iran de Khomeiny.  Elle forme de jolies phrases qui parfois meurent dans la confusion. Mais elle écrit avec une outrance qui lui va bien. Sa prose est jubilatoire. 
Toutefois, elle prend un "sacré" risque. Une fatwa contre elle pourrait être lancée depuis l'Iran.
Souvenons-nous de Salman Rushdi et ses "versets sataniques".

Les militaires masculins n’ont pas d’imagination. leurs bombes tuent. Abnousse, elle, sait comment déstabiliser un régime islamiste : "Bombardez les pays des barbus avec des livres libertins du XVIIIe français"

Ô ! Divine Marquise ! 


mercredi 20 août 2014

"1814, un tsar à Paris" de Marie-Pierre Rey


"C'est à vous de sauver l'Europe et vous n'y parviendrez qu'en tenant tête à Napoléon. Le peuple français est civilisé, son souverain ne l'est pas. Le souverain de la Russie est civilisé, son peuple ne l'est pas. C'est donc au souverain de la Russie d'être l'allié du peuple français". C'est ce que Talleyrand dit à Alexandre 1er lors d'une rencontre avec l'empereur russe après la débâcle de la Grande Armée en Russie.

Ce qu'il fait !

Alexandre 1er comprend que la seule façon d'avoir la paix est de vaincre Napoléon, totalement, afin qu'il quitte le pouvoir. Il est le seul à répéter inlassablement que Napoléon recommencera sans fin à violer la paix et à faire la guerre. 
Et malgré de nombreuses propositions, Il refusera jusqu'au bout de négocier avec Napoléon ou des membres de sa famille. 
Sur ce point, il a raison.

Pendant des mois à travers l'Europe, il poursuit Napoléon jusque sur le territoire français avec l'armée des coalisés, aux portes de la capitale française où, vaincu, l'empereur de français choisit d'abdiquer.
Et pour le malheur de la France, Alexandre proposera l'île d'Elbe comme refuge pour l'empereur des français.

Le 31 mars 1814, Alexandre 1er, tsar de toutes les Russies fait une entrée triomphale à Paris.
Les français attendaient des barbares, le cou orné "de colliers en oreilles humaines", et ils trouvent des gens polis dont beaucoup parmi les officiers parlent le français. Les français peuvent acclamer cet empereur qui leur déclare qu'il ne fait pas la guerre aux français mais seulement à leur empereur.
Il aime la France et il le prouve en veillant à ce qu'aucun de ses soldat ne manque de respect à l'égard des français.

Par mansuétude et clémence il ne cherche pas la vengeance contre les français. 
L'équilibre politique et la paix en Europe sera son grand chantier.

Eduqué très jeune par son précepteur suisse, Laharpe, qui lui enseigne les idées libérales et la tolérance, il admet que la France ne peut revenir à l'Ancien Régime et accepte un gouvernement Bourbon légitimé par une constitution qui restreint les pouvoirs du roi, lui fait partager le pouvoir législatif avec les chambres, restaure la liberté de la presse et des cultes.
"Le droit divin n'est plus une force pour la France. Datez votre règne du jour où on vous proclamera, vous ne saurez effacer l'histoire." Dira-t'il au futur roi Louis XVIII. 
Quoi de plus clairvoyant !

Mais si son intelligence politique a été brillante en Europe, Alexandre reste un russe conservateur sur la question polonaise et sur le sujet politico-social dans son pays. Il refuse une Pologne grande et forte, car la Russie craint une renaissance de ce pays qui a été une grande puissance du Xe au XVIIIe siècles. Quant à la politique dans son empire, il entend continuer à gouverner en autocrate, et la suppression du servage ne semble pas dans les pensées de l'empereur.
Toutefois, Alexandre aurait du réfléchir sur la situation polico-sociale dans son empire car les militaires, que l'empereur de Russie amène jusqu'à Paris, découvrent en parcourant Paris la libre-pensée et la démocratie. Beaucoup feront partie de la révolte de Décembristes en Russie en 1825 contre l'autocratie tsariste.

Alexandre, un grand empereur, qui a mis un terme à la folie napoléonienne ! 

Marie-Pierre Rey a brillamment analysé la stratégie politique d'Alexandre 1er. Son argumentation, simple et claire, met en lumière une facette de l'histoire méconnue de ce début du XIXe siècle, et remet en question nos connaissances, trop habitués que nous sommes à ne considérer cette période que par notre lorgnette nationale.

lundi 28 juillet 2014

"Les Cavaliers Afghans" de Louis Meunier

Un beau livre, en vérité, que m'ont envoyé Babelio et les éditions Kero ! 

C'est une histoire écrite par un auteur jeune et intrépide. Son histoire à lui, qu’il raconte d’une écriture tumultueuse. L'histoire d’un garçon qui après des études de commerce, ne voulant pas dès son diplôme obtenu se vendre aux Stés internationales, se fait embaucher par une ONG pour le développement qui opère en Afghanistan. Ce pays de toutes les convoitises, fascine. En France, L’Afghanistan a fait rêver les idéalistes de 1968 qui ont tracé en 2CV la route Paris-Kaboul. Puis est venue la chute de la royauté par la prise du pouvoir des communistes, l’aide militaire de Moscou qui a perdu contre la guérilla de tout un peuple enfin uni contre l’intrusion soviétique. La reconnaissance internationale de Médecins sans Frontières est due en large partie à leur intervention massive et courageuse dans ce pays. ‟Les Afghans” comme on les appelait avec admiration et respect chez MSF. Ensuite a éclaté la guerre des Talibans, puis l’intervention américaine qui chasse ces derniers du pouvoir et installe Hamid Karzai aux commandes du pays. 
La guerre n’est à ce jour pas terminée.
Nous sommes en 2002 quand Louis Meunier arrive dans ce pays aride couronné par la somptueuse chaîne montagneuse de l’Hindou Kouch-Himalaya. Pays de contrastes violents, de montagnes abruptes, de torrents furieux, de soleil brûlant et de froid polaire.
Ce pays n'est pas une nation mais une mosaïque de peuples qui se supportent peut-être parce que les vallées où ils vivent sont difficiles d’accès et donc constituent une protection efficace. Ouzbeks, Turkmènes, Tadjiks, Hazaras, Pashtouns, Timuris, Arabes etc... Chiites ou sunnites ne s’unissent que lors d’une agression extérieure. 

Afghanistan "terre des chevaux", pays aux moeurs moyenâgeuses où la loi du plus fort s'applique rudement. Terre de clans, de chefs de guerre. 
Terre des « Djinns » bons ou mauvais.
Respect, dignité, fierté, honneur, bravoure, endurance, souffrance, ténacité, force. Des caractères et des attitudes qui ne font plus partie de la charte morale de notre monde amolli par l'abondance et la soumission au désir. 
Ces Afghans aux cheveux blonds, roux ou noirs, aux yeux bleus, verts ou noirs, serions-nous au centre de la civilisation indo-européenne ?
Louis Meunier tisse ainsi la toile de fond de son livre. Nous suivrons et comprendrons mieux les fils de l'intrigue.

Ce pays a allumé dans le coeur de Louis Meunier un feu brûlant qui le pousse vers des aventures et des expériences auxquelles le commun des mortels n'oserait pas se confronter. Sa passion du cheval va le conduire à se rapprocher le plus près possible de l’Afghan. Tout comme son désir de découverte l’entraînera dans un voyage hors du temps.
Tout l'Afghanistan pour un cheval.
Cependant, il restera ce "khareji ", cet « étranger » qui aura du mal à pénétrer l’âme afghane imprévisible et mystérieuse même s’il se sent bien dans ce pays. Parviendra-t'il à percer la peau de ce peuple-caméléon ?

Il n’aura pas à rougir face au grand livre Les "Cavaliers" de Kessel. Les deux auteurs n’opèrent pas dans la même sphère, ni à la même époque. Chez Kessel, on est dans l’épopée mystique. Son histoire est idéalisée. Jehol, le héros-cheval, est proche de la mythologie, sorte de Bucéphale, mi-animal, mi-dieu. Kessel a écrit un roman, sans doute son meilleur.
Au contraire, Louis Meunier est témoin et acteur de son livre. C'est plus toutefois qu'un simple carnet de route. Il est proche d'une Ella Maillart par l'acuité de l'observation. Les faits décrits son réels. Et ils nous touchent d'autant plus qu'ils sont proches dans le temps. L'écriture est efficace. Les chapitres, courts, donnent une bonne respiration au livre. Les observations de l'auteur sont toujours illustrées par l'histoire, la géographie, la politique, les moeurs du pays, etc. Son texte pourrait devenir très facilement un bon scénario. Son témoignage, remarquable, se lit avec un immense plaisir. L’ennui ne vient jamais au bout des 327pages qui s'avalent en une nuit...au galop !


Ami voyageur, si tes pas te mènent dans ce vaste pays, souvent tu entendras cet encouragement:
"Va ton chemin et bonne route ! Ne sois jamais fatigué ! "

dimanche 20 juillet 2014

"Le Taquet" d'Evguéni Grichkovets

Un train qui roule sur son rail. Bruit syncopé et monotone. Tagadam, tougoudoum, tagadam, tougoudoum, tagadam, tougoudoum ! Steppe qui se déroule sans fin. Passé Novossibirsk, il s’enfonce vers le néant sibérien.
Au bout, Vladivostok !


Boire, boire encore ! Vodka ! Peu importe la marque ! la Standard, sans doute ! L’assommoir ! Jusqu’au trou noir ! S’enfoncer vers le néant. Dans ce livre, dans une nouvelle sur deux la vodka commence, ponctue ou termine une histoire.

Puisque ‟ la conscience que j’avais de mon être s’était habituée au fait même que je n’aie pas de nom. Elle avait oublié le comment de l’existence… Vivre point final”, pense le petit gars de la Marine que le train emmène vers son affectation maritime. Trois ans de service militaire. Pendant l’instruction "le débourrage", exécuter des tâches qui n’ont pas de sens. Ordres hurlés. Humiliations.
Ne penser à rien !
N’être rien !
Dans ce froid humide de l’extrême-orient russe.
Ciel gris et bas qui se confond avec la neige sale.
Dès que la neige cessera de tomber, de jour comme de nuit, il faudra l'enlever de tout le bateau.
Pour son anniversaire, il veut offrir à boire. Petite touche de bonheur. De la vodka qu'il part acheter au village voisin.  Du retour du magasin, la bouteille tombe de son sac et se casse dans la neige. Tristesse. Il ne pourra rien offrir à ces ‟autres” dont il ne supportait pas la présence au début.
Ces "autres" qui ne sont pas "lui".
Dans son livre "Tangente vers l'Est", Maylis de Kerangal rencontre ces militaires qui partent avec le Transsibérien vers cet horizon russe sans fin. Un troupeau hagard.
Ce marin conscrit, c’est Evguéni Grichkovets qui se raconte dans cette nouvelle et celle qui suit.

Dans la seconde, avec le géorgien Djamal Beridze, il doit porter à la main sur des kilomètres un transformateur métallique de 60 Kgs. C’est un ordre du bosco Khamovski. L’appareil sera trop gros pour passer par l’écoutille du bateau. Le bosco ordonne de ramener le transformateur au village. Lançant un cri rageur, Djamal le passe par dessus bord. ‟Après tout qu’il aille se faire foutre ce transfo” dira le bosco. Stupidité du commandement adoucie par la sagesse du bosco. Nous sommes en Russie, au bord du Pacifique. Moscou est loin. Alors… on peut prendre quelques libertés.
Eh hop, un coup de vodka !
Dans la 3ème, 4ème, 5ème et 7ème nouvelles, on boit encore. Dans la 3ème, Kostia, étudiant à Moscou, trouve un portefeuille qu’il rend à son propriétaire, un nouveau riche, rustre et alcoolisé, comme la Russie d'Elstine en a beaucoup fabriqué. Ce sera le choc entre deux destins opposés, celui d’un étudiant désargenté et honnête, ébloui par l’effervescence intellectuelle de la capitale confronté à celui, rustique, de ce faiseur d’argent facile, truand sans doute.

Vadik est salarié traitant des problèmes de standardisation dans un ministère. Tu parles d’un métier excitant ! Mais il ne dort pas la nuit. Alors, le jour, il dort partout, dans sa voiture, sur le fauteuil du dentiste, chez le coiffeur. Après un concert, il se saoule ! Sa femme Katia aussi ! Tant mieux, elle ne l’engueulera pas. Partie nulle ! D'habitude en Russie, c'est surtout le mari qui boit et son épouse qui finira par foutre le camp et divorcer.

Dans la 5ème nouvelle, Andreï et ses copains se mettent ‟out” dans un bar en regardant un match de foot sur un grand écran. Il s’ennuie entre sa femme Tatiana et sa fille Varia. Marquis c’est le chien qu’il faut sortir matin et soir. Il meurt, comme ça, sans prévenir. Sur six pages il cherchera un endroit pour enterrer Marquis. C’est beaucoup six pages pour enterrer un chien !
Dans la 7ème nouvelle, Igor Semionovitch boit en attendant l’avion qui part de Moscou pour Perm. Dans ce bar, il tombe en admiration devant une actrice de théâtre qui lui est présentée. Il bave devant cette femme qui l’ignore et dédaigne sa conversation de gros entrepreneur immobilier. Encore cette confrontation entre deux mondes trop différents. Cette nouvelle me rappelle que dans le film d’Agnès Jaoui, ‟Le Goût des Autres”, le directeur d’une grosse Sté, Castella/Bacri, rustre et beauf, tombe amoureux de Clara/Anne Alvaro, actrice de théâtre. 

Igor a un taquet intérieur qui contrôle son agressivité. Si le taquet tombe, Igor cogne. Ce soir il ne trouvera rien ni personne à frapper, mais il boira ! Trop ! Je ne sais plus s’il réussit à prendre son avion.

L'auteur raconte ces vies différentes, celle de lui-même en militaire, celle d’un salarié anonyme,celle d’un lambda et son chien, celle d’un entrepreneur. 
C'est souvent tragi-comique dans les oppositions contrastées entre les personnages. Ce sont des moments dans la Russie contemporaine que l'homme de théâtre Evgueni Grichkovets met en scène. Destins d’hommes qui se réjouissent d’un petit rien puis plongent dans la vodka...
...Peut-être pour échapper à une certaine absurdité de cette vie moderne post-soviétique qu'ils ne maîtrisent pas.

dimanche 6 juillet 2014

"Quand passent les cigognes" de Mikhaïl Kalatozov VO - 1957

Le ciné-club était situé près du dispensaire de la ville où, enfant, j'habitais. Une espèce de patronage communiste qui programmait entre autres des films soviétiques. 
Je devais peut-être avoir 10 ou 11 ans.
Après l'incontournable "Potemkine", ont été donnés "Octobre", "La Mère" et puis est venu ce film "Quand passent les cigognes"
Le film terminé, quelle impression avais-je emporté ?  Peut-être un grand poème exalté qui s'est imprimé à mon insu au plus profond de moi. Depuis vingt ans des images surgissaient, des images fortes d'un grand rêve à la fois féérique et tragique. Et puis ces images me sont apparues de plus en plus fréquemment. Jusqu'à l'obsession. Il fallait que je revois ce film. J'ai cherché sans hâte car, de le visionner à nouveau, je craignais d'être déçu, de ne plus comprendre l'oeuvre, de ne pas retrouver mon enthousiasme de l'époque.
Jusqu'à jeudi dernier où ce film m'a été offert pour mon anniversaire.
Depuis tellement d’années, qu'allais-je trouver ?
Eh bien, l'oeuvre cinématographique la plus merveilleuse qu'il m'a été donné de voir depuis longtemps.
Le souvenir d'enfance s'est fondu dans la vision nouvelle que j'ai eu de ce film.
Oeuvre artistique absolue qui mêle le ballet et le théâtre dans une épopée historique comme seuls savent faire les russes.
Film en noir et blanc, il reçut la Palme dOr à Cannes en 1958.
Les plans sont à couper le souffle. On pourrait prendre une à une les images pour en faire des tableaux qui recouvriraient les murs d'un immense musée et que notre regard suivrait l'un après l'autre sans que jamais, malgré le défaut d'animation, nous perdions le fil de l'histoire. Chaque photo, chaque image renferme la totalité du drame.

Veronika/Tatiana Samoïlova. Elle est cette belle jeune fille aux yeux fendus qu'on imagine bleus des ciels sibériens. Elle est vêtu dune ample jupe longue qui donne du volume aux hanches et affine la taille. Le haut est cet élégant sweet de lépoque que lon voyait dans Paris-Match et Life habiller les Kennedy à Cap Cod ou les copains dEddy Barclay à Saint-Tropez. A l'hôpital pendant la guerre, elle portera la blouse blanche des infirmières. 
Avant la guerre son regard sera langoureux et rêveur. Pendant la guerre il deviendra perçant et résolu. Souvent triste à cause des terribles souffrances endurées par les soldats soviétiques et la population civile pendant la grande guerre patriotique de 1941-45. Elle est très présente cette guerre qui emportera Boris  et permettra au lâche Mark de courtiser Veronika.

Boris/Alexeï Batalov. C'est son amoureux. L'homme est svelte. Chevelure noire, coupée nuque haute, oreille dégagée. Une chemise blanche, large, avec ce léger froissé qui faisait le décontracté viril de l'époque. Le pantalon est noir qui enserre une taille étroite. Le regard est haut, lointain, regard de ces personnages de la statuaire soviétique d'homme musclé enserrant la taille d'une belle femme aux seins généreux, corps tendus vers l'eden socialiste

Veronika est Ecureuil pour Boris. Bonjour Ecureuil ! Bonsoir Écureuil ! Je t'aime Ecureuil ! Ecureuil qui court, qui danse, qui saute, qui s'arrête et regarde autour d'elle...comme ce petit animal, leste, doux, drôle

Lamour est le grand thème du film. Il nait dans lespérance soviétique comme un sentiment absolu et universel. Amour de légende épique, Arthur et Guenièvre, Tristan et Iseult. 
Veronika aime Boris pour qui le devoir patriotique est plus fort. Le cousin de Boris, Mark/ Alexandre Chvorine aime cette femme qui ne l'aime pas. Chacun poursuit l'autre. Nous sommes dans une intrigue amoureuse qui a fait tourner des kilomètres de bobines et écrire des milliers de pages. Dans Autant en Emporte le Vent, Scarlett aime Ashley , Rhett aime Scarlett qui ne l’aime que parce qu’une femme doit être mariée. Une femme pour deux hommes. Un doux, un brutal. Victoire de la brutalité sur la douceur. Femme qui se soumet à la brutalité. Femme amoureuse qui se consume dans l'être de douceur. Femme de la douceur qui rêve et qui danse, qui devient femme résolue, pragmatique et travailleuse. 
Mark embrasse Veronika pdans le fracas et les étincelles du bombardement nazi, tout comme Rhett emporte Scarlett au milieu d'Atlanta en flammes.
Le baiser de Boris et Veronika dans un clair-obscur d’un crépuscule russe est un soupir d’éternité. L’élan amoureux de Boris s’exprimera dans la scène du grand escalier comme une valse tourbillonnante de l’amoureux. Le regard haut, tendu vers l’être aimé, il vole en montant vers le dernier étage où habite Veronika.
L’amour est d’autant plus fort que la vie est précaire. 
Il est cet amour comme nous le rêvons ou l'avons rêvé et que nous avons rarement vécu.
On est très loin de celui de beaucoup de films contemporains dans notre civilisation repue et désabusée, amours issus des phantasmes du réalisateur ou de son scénariste. Amours aux situations improbables. Amours triviales qui nous laissent souvent un goût de dépression dans la bouche. Amour triste, petit bourgeois. Amour de télé, le soir dans le canapé. Amour compté. Amour programmé. Amour raisonnable. Amour minable pour une époque minable. 

Ce film est un chant sublime dun amour total au milieu de la guerre. Il ne peut rien contre la fatalité de la tragédie. Mais il est un défi lancé à la face cruelle et cynique des monstres nazis et staliniens
Il n’y a peu dautre espoir que ce message « Aime-moi fort, puisque je vais mourir » 

Et un vol de cigognes passe dans le ciel...


mardi 1 juillet 2014

"Le voyage impaisible de Pauline » de Maryna Uzun

D
L'auteure ne pouvait pas donner meilleur titre à son livre. Le voyage, c'est être toujours en mouvement. "Impaisible", c'est l'impossibilité de trouver la paix, le repos. L'adjectif n’est plus employé de nos jours où nous dirions "inquiet" ou "agité". "Impaisible" ajoute une note tragique à un destin toujours en guerre et secoué de malheurs. "Se battre: c’est encore là qu’elle se sentait le mieux" dit quelque part Pauline après la mort accidentelle de son mari, Tom. Elle doit se battre contre elle-même lorsqu'elle elle se sépare d'avec sa fille, Léna, dont elle confie l'éducation à ses parents qui habitent Kharkov en Ukraine, puisque dans son malheur, elle se sent incapable de s'occuper de cette enfant qu'elle a eu avec Tom. Peut-être aussi pense-t’elle que son métier de danseuse est incompatible avec une vie de famille. Cette séparation lui donne la liberté de chercher du travail dans une compagnie de danse contemporaine. Pas facile pour une artiste à qui son professeur ukrainien a enseigné davantage la technique que l'émotion. Là encore se dépasser, se battre contre des concurrents, doués eux aussi.
Dans le même esprit, l’écrivain portugais Fernando Pessoa avait écrit "Le Livre de l’Intranquilité", mot beaucoup plus lourd de sens que la simple "agitation"

Quand Pauline, 19 ans, alors étudiante en danse, décide de quitter son pays, l'Ukraine, que l'illusion soviétique a détruit et que les promesses du capitalisme ont déçu, elle choisit la France, le pays de la culture. Elle passe le concours de danse du Conservatoire de Paris. Echec. Désespoir. Rencontre avec son futur mari, Tom, qui l'embauche comme danseuse dans sa troupe de théâtre. "Comment se fait-il que ma vérité soit invraisemblable et mes fabulations tout à fait plausibles" lui déclare un jour Tom. Cette phrase fascine Pauline. Paris est vraiment la ville des artistes !


Initiation à la chorégraphie contemporaine. La mort tragique et soudaine de son mari la rend inconsolable si grand était leur amour. Recommencer à vivre. Quitter la troupe. Retrouver du travail. Au bout du chemin le bonheur, peut-être ?

"Elle allait toujours de l’avant, sans jamais se retourner. C’était la devise des têtes brûlées, mais aussi une devise prolétaire" écrit Maryna Uzun. Combien de femmes et d'hommes ukrainiens ont du ainsi quitter leur pays pour trouver ailleurs une vie meilleure. Ils se sont battus contre vents et marées dans des univers souvent très concurrentiels où personne ne les attendait, ni ne leur a fait de cadeaux. Dans un pays de la Communauté Européenne ou d'Amérique du Nord, zones dans lesquelles il est extrêmement difficile de devenir citoyen. Pauline finira par acquérir la nationalité française par mariage
Ces émigrés ont travaillé comme des "prolétaires" jusqu'à l’épuisement parfois. Ils ont "raboter" comme l'écrit Maryna Uzun, traduisant en français le verbe russe "работать" qui exprime à la fois l'ouvrage bien fait et la peine que demande souvent le travail.

ll y a du caméléon chez Maryna Uzun. Sans doute faut-il l’être beaucoup pour se couler dans la vie française si différente de l'ukrainienne. Et dans le pays où on s'installe, s'intégrer. Disparaître, se fondre, devenir de la couleur des murs. Complètement. Pavlina devient Pauline. Faire oublier qu'on est d'ailleurs. C'est sans doute une des raison pour laquelle l'auteure écrit non dans sa  langue, l’ukrainien, mais en français, langue "très difficile" aux dires d’Anatoli, le père de Pauline. Et elle l'écrit bien, avec de belles tournures de phrases et une connaissance aigüe du sens des mots qui, si on oublie d'être cet expert qui décèle içi ou là quelques légères surprises de langage, font oublier que l'auteure est étrangère. Dans le style aussi qu'elle adapte aux différentes situations du livres. Style théâtral avec beaucoup de dialogues quand Pauline vit au milieu de la troupe de Tom. Style du roman bourgeois quand elle réside dans le Var avec son amie Alexandra, ou bien au cours de ses promenades romantiques avec Augustin, Ou bien encore ce style de grise mélancolie très slave quand elle revient à Kharkov voir sa fille.
Kharkov

Andreï Kourkov a écrit le "Le Caméléon". Ce grand auteur ukrainien est lui-même d'origine russe comme Pauline. Parler russe dans un pays où la langue officielle est l'ukrainien, c'est déjà naître caméléon, n'est-ce-pas ?

En plus de la lutte pour une vie digne et passionnante, c'est l'histoire de la construction d’un amour que Maryna Uzun raconte. Avec talent et réalisme elle dessine le comportement amoureux des héros de son livre, Pauline, Tom, Augustin, Pia, en respectant les tempi dans la naissance des sentiments, les doutes, les hésitations, les illusions, les hauts et les bas, les joies, les coups gueule... Il y a dans la manière de l’auteure quelque chose qui touche à l’universel quand elle parle du sentiment amoureux. Ce sentiment, c’est aussi le mien ! C'est sans doute le vôtre. Elle donne son exacte place au désir et à la sensualité, en réservant le plus grand espace au sublime.
Amour entre deux amants, entre parents et enfants, amour qui n'a aucunement besoin de préceptes religieux "tu aimeras ton prochain..." "Ton père et ta mère, tu honoreras !" "Amour divin entre l'homme et la femme". L'absence d’éducation religieuse chez les parents de Pauline est remplacée par une foi universelle. D’où vient cette foi chez ses parents ? "Une foi nue, sans aucun édifice, sans le besoin d’une assemblée, et même sans extérioriser sa voix"

Pauline, "elle avait souvent chaud d’émotions, et froid d’ennui". Elle luttera encore et encore car on n'épuise pas un besoin d’amour.

Il faut lire Maryna Uzun. J'ai lu son livre d'un trait.


samedi 21 juin 2014

"Poutine, l'itinéraire secret" de Vladimir Fédorovski

Qui êtes-vous Monsieur Poutine ?


Enfant vous étiez une petite frappe, petit caïd des rues de Leningrad, qui cognait pour être respecté. Votre visage et votre attitude sont encore marqués par cette époque de votre vie. On vous sent constamment sur vos gardes prêt à parer les coups. Heureusement votre professeur de judo vous a appris à maîtriser votre violence.
A ce respect pour votre peuple, vous avez contraint les nations. Votre peuple a été humilié par l'effondrement de l'URSS en 1991. Cela a été pour vous insupportable. "Il ne faut pas humilier la Russie" avait déclaré Jacques Chirac en 1990.

On ne méprise pas un peuple de poètes.


Vous avez redonné la dignité à votre peuple. Vous êtes écouté aux réunions de G7. Votre diplomatie est entendue à l’ONU.
Vous avez intelligemment su profiter de la manne pétrolière pour développer votre économie. Vous avez stabilisé la monnaie. Votre économie a décollé. Les capitaux ont afflué.
Après la désastreuse gestion de Boris Eltsine, vous avez réussi à remettre la Russie debout ! Chapeau bas, Monsieur Poutine.

Vous êtes intelligent. Pas de doute sur votre capacité à comprendre et surtout à anticiper. Et dans l'anticipation, vous excellez. Vous êtes un joueur de billard à trois bandes. Vous avez été espion au sein du KGB n'est ce pas ? Ce KGB a été cette formidable école qui vous a permis d'optimiser vos capacités à sentir le monde. Vous avez le premier compris que le duo capitalisme et démocratie, dans leur version US, n'était pas miscible dans la culture russe. Vous êtes arrivé à temps, avant le cataclysme. Vous êtes un adepte de la "démocratie contrôlée". C'est votre philosophie politique que vous avez puisée chez Deng Xiaoping. D'abord enrichir le peuple, ensuite peut-être, établir petit à petit une vraie démocratie. Si vous l'installez, elle sera russe. Pas américaine.

Vous n'êtes pas communiste, ou du moins vous l'avez été par obligation. Russe vous êtes surtout, qui voulez restaurer l'esprit millénaire de la Russie. Vous avez remis les popes dans leurs églises. Vous avez rendu la dignité et l'efficacité à votre armée. Les gouverneurs des régions sont à votre botte. Par cet aspect de vous, vous me rappeler cet autre homme fort, le général Franco. qui a gouverné l'Espagne de 1939 à 1975.

Pour l'instant vous vous concentrez sur l'exercice autocratique du pouvoir, forme de gouvernement des tsars. Vous avez réussi. Il semblerait que 70 % du peuple vous suive.

Alexandre Soljenitsyne, Prix Nobel de Littérature, finira même par vous "admirer", Vladimir ! Cette position de ce grand auteur, il n'y a pas grand monde qui la connait.

Vous êtes cet homme fort qui a mené la guerre en Tchétchénie, terroriser le terrorisme islamiste, mis à genoux les oligarques, trouver des solutions originales à la guerre civile en Syrie, "gérer à votre façon" la crise ukrainienne, monter les Jeux de Sotchi. Vous vous êtes même impliqué personnellement dans le problème de l'homosexualité dans votre pays.


Mais vous restez depuis trop longtemps au pouvoir. Il use, ce pouvoir ! Il corrompt l'âme, installe la paranoïa dans le cerveau. Un jour vous voudrez avoir raison contre tous. Et pour que les gens ne vous contestent pas, vous serez tenté d'instaurer la peur !
Vous êtes devenu dur, cynique, arrogant.
Est-ce bien vrai que vous voulez restaurer quelque chose qui ressemblerait à la défunte URSS ? 

Je laisse le lecteur de ce livre découvrir comment Vladimir Fedorovski interprète "vue de la Russie" votre politique et votre stratégie.

Les temps sont difficiles. Quoi que vous fassiez, Monsieur Poutine, ne succombez jamais à la tentation isolationniste.

Elle tuerait la Russie.

lundi 9 juin 2014

"L'Oural en plein coeur" d'Astrid Wendlandt

Elle est mignonne la petite Astrid ! Mais elle nous a un peu berné avec son livre. Elle nous parle certes d’Oural, mais peu, préférant nous conter ses amours russes. Comme on l’aime beaucoup à cause de son caractère gai et son écriture agile, nous l’excuserons d’avoir écrit un livre alimentaire. Nous la suivons, tout au long de la lecture, avec ses yeux blue lagoon et ses cheveux blonds tressés en épis de blé, dans sa quête amoureuse. 
Elle plaît aux hommes. Mais elle a cette curieuse croyance que si c’est elle qui se déclare en premier, l’amour durera. 

Une fois le livre refermé, la signification du titre saute au yeux. « L’Oural en plein coeur », est bien une histoire d’amour. S’il s’agit de coeur, c’est celui de deux habitants de ce territoire qui vont faire palpiter le sien.

Ainsi, les cent premières pages sont-elles consacrées à Micha, un rockeur de l’Oural rencontré à Tcheliabinsk, la ville industrielle sale et polluée où ont été fabriqués le fameux T34 et les "katiouchas" de IIème Guerre Mondiale. Elle court après Micha, qui finira par se laisser prendre dans les filets romantiques d’Astrid. C’était en 1995. Leur union est passionnelle. Jusqu’au moment où ayant oublié de prolonger son visa, la milice la trouve et la jette brutalement hors de Russie par la premier avion en partance pour la France. Elle pleure Micha. Quelques SMS et puis plus rien. La distance a brouillé les messages.
En 2010, elle repart en Russie vers cet Oural où elle projette d’aller à la rencontre des peuplades autochtones, les Khanty, les Mansis, les Konis, les Oudmourtes. Mais un autre objectif est de retrouver Micha dont elle se s’est pas totalement guérie malgré les longues années de séparation. Elle retrouve Micha par la mère de celui-çi, mais Micha ne la regarde plus. 

Grande tristesse dépressive.

Mais heureusement, il y a Dima, un copain de Micha, qui sans lui proposer expressément, l’accompagne dans son aventure de journaliste-ethnologue. Pour Astrid, cet homme peut être utile car se déplacer dans l’Oural n’est pas simple et en cas d’attaque ou de vol, c’est mieux aussi. Il la courtise. Elle demeure un temps peu sensible à ces avances, puis succombe tellement Dima fait merveilleusement la queue de paon. L’amour-amitié du début se transforme en amour vrai. Ce seront les cent dernières pages de livre. A la fin, Dima posera son sac dans l’appartement d’Astrid à Paris et un an après une petite fille naît, Milla, pour laquelle ce livre a été écrit.

Astrid se jette dans l’amour sans appréhension aucune. Aimer suffit, il faut consommer quite à se consumer. L’après, on verra ! Elle parle de l’état amoureux d’une belle façon. Il n’y a jamais un détail en trop, jamais d’exhibitionnisme jamais de vulgarité. Et si elle nous fait part d’un fantasme que réalise Dima un nuit, c’est dit avec les mots de quelqu’un qui va se régaler d’un plat savoureux. Tout est en finesse et délicatesse chez cette femme. Elle a finalement eu raison de nous parler d’amour. Trop peu de gens savent en parler.

Partir à la rencontre des peuplades de l’Oural reste son objectif. Elle partira du sud, de Tcheliabinsk,  filer plus au sud vers Arkaïm où elle rencontre des chamans qui lui apprennent l’énergie positive. Puis elle remontera le long du massif en suivant les courbes du l'Ob, grand fleuve de 5400 km, vers Severouralsk et Saranpaul où elle commence à voir des communautés autochtones mais qui se russifient à grand pas. Avant ces villes, elle découvre Alexandrovka, sorte de phalanstère, loin de tout, où des individus, avocats, médecins, ingénieurs, coupent les liens avec cette société qui ne les illusionne plus, pour vivre en communion totale avec la nature, tirant d’elle subsistance et philosophie de vie. Une sorte de post-communisme. Dima sera un instant tenté par cette aventure. Astrid, pas du tout ! Ils repartiront vers le cercle polaire, à Vorkouta et Yamal où Astrid retrouvera ces Nenets de la toundra, éleveurs de rennes, avec lesquels elle vécut quelques années auparavant.

C’est une grosse déception pour Astrid de constater que ces peuplades perdent progressivement leur identité pour se fondre dans celle, virile mais sans saveur, de la Russie de Poutine. La globalisation est à l’oeuvre qui façonnera un être universel, mais mal fabriqué, car ayant rompu avec sa culture millénaire. La mondialisation fait disparaitre des langues, des savoirs-faire, des artisanats, des mode de vie originaux. La loi du plus fort impose ses vues, qui sont totalement déconnectées de l’endroit où elle s’applique. Ce qui donne cet individu titubant et hébété que l’on rencontre souvent en Russie. Le communisme s’est écroulé de sans alternative politique originale. Un capitalisme mal assumé s’est engouffré dans la brèche faisant naître brigandage et corruption généralisée. Si l’âme russe existe encore, la civilisation qui l’enrobe est en perdition totale. La Russie est un pays riche où les gens sont pauvres, désoeuvrés et alcooliques. 

Astrid aime la Russie. Elle aime ses espaces infinis et purs de plaines, de montagnes et de végétation primaire. 

Elle aime le Russe, cet être chaleureux qui sait vivre pleinement de l’instant... car l’avenir n’est pas russe.

mardi 3 juin 2014

"Homesman" de Tommy Lee Jones



Contrastes. Ils sont violents dans ce film.
"Territories" de l'Ouest nus et mornes contre un Est joyeux, vert, riche.
Enfer de l'Ouest, pays d'outlaws et de rudes pionniers contre le paradis de l'Est civilisé et organisé.
Contraste entre les deux protagonistes principaux. Mary Bee, sévère, autoritaire, dure à la tâche, méthodiste fervente qui accomplit la mission que Dieu lui a confié sur terre. Elle économise sou par sou pour augmenter son capital. Prière et travail. Max Weber écrira plus tard "Protestantisme et esprit du capitalisme ». .
Mais elle aimerait se marier pour disposer de bras supplémentaires et procréer. Elle voudrait aimer. Mais par son caractère, elle effraie les hommes.
A l’inverse, George Briggs/Tommy Lee Jones est ce vagabond, lonesome cow-boy, chasseur de primes, déserteur de l’armée américaine, qui acceptera pour 300 US$ de seconder Mary Bee dans dans sa folle mission d’emmener trois femmes devenues folles vers leur lieu d'origine, cet Est paradisiaque où elles seront soignées. George est un "rapatrieur" un "homesman". Ce compagnon de voyage est un être rustre et madré. La vie pour lui est simple. Pragmatique, il trouve toujours des solutions à tous les problèmes. Il sait avec peu de mots communiquer avec les folles. Elles ne lâcheront pas cet homme dont elles sentent un langage d’amour dans ses grognements. Avec Mary Bee, une espèce d'affection se crée entre eux. Amour ? En quelque sorte ! Mais difficile à dire.

Il y a un peu de Sancho Pancha en lui qui tempère la témérité donquichotesque de Mary Bee.


Folie. La carrriole des trois folles roule dans ce néant comme la Nef des Fous vogue sans but sur la mer. Jérome Bosch a peint ce tableau pour critiquer la folie des hommes qui vivent hors du sens commun. Mais les plus fous, qui sont-ils dans le film ? Ces trois femmes dans le chariot-cellulaire, ou bien Mary Bee, femme fanatique et forcenée qui mène une lutte inégale contre la solitude, contre la nature, sous le regard du Dieu méthodiste qui envoie en Enfer pour une peccadille ? Elle tentera de se faire aimer de cet homme. Ou bien encore dans cet hôtel bleu au milieu de no where, ces hommes d’affaires, aveuglés par les chimères du business et fous de US$, attendant les investisseurs qui bâtiront une ville autour de cet hôtel ? Scène absurde, surréaliste.
La proximité des fous nous protège de nos élucubrations mentales, renforce notre sagesse et notre envie de vivre.
Les fous sont un marqueur. On devrait les laisser se promener en ville. Les italiens leurs autorisaient la sortie du dimanche. Est-ce toujours le cas ?
La folie s'est emparée de ces trois femmes. La maladie du charbon a décimé les troupeaux, la grêle détruit la moisson, un bébé est jeté vivant dans les toilettes car on ne peut le nourrir. Dieu a envoyé ces calamités pour quelques fautes graves que ces femmes auraient commises.
Je ne sais pas si Dieu guérit la folie, mais je sais que Dieu peut rendre fou.

Western. Mais à l’envers. On est loin de Rio Bravo. Içi pas de John Wayne, calme et sûr, protecteur des faibles, justicier moral dont le colt ne rate jamais la cible. Pas de Angie Dickinson à la fois intrépide et amoureuse. Tommy Lee Jones, qui est le réalisateur de ce film, brise le mythe américain de la Conquête de l’Ouest, présentée comme merveilleuse et civilisatrice. Notre héroïne vit modestement dans une maison au milieu d’une propriété vide d’arbres et loin de tout, terre à bisons plutôt que terre à hommes. Les fermiers, disséminés dans ce vaste Nebraska, habitent des maisons modestes. Le village est également sans cachet. La vie est âpre et dure. La civilisation est loin. Les malades restent sans soin et meurent ou deviennent fous comme ces trois femmes suite à la perte de leur troupeau due à une fièvre fulgurante et suite à la mort de leurs enfants des suite d'une diphtérie. Le dénuement est total.
Içi point de chevaux pour tirer le chariot, mais de fortes mules. Dans le western du mythe, la mule ou l’âne est la monture du mexicain.
Les indiens ne semblent pas sortir d'une réserve pour touristes visitant le site de la bataille de Little Big Horn. Mais les bandits sont méchants.

Beauté. Magnificence des paysages désolés et plats du Nebraska dans lesquels roule le chariot transportant les trois femmes aliénées. Jamais les images de ce long voyage ne provoquent l’ennuie. 
Un arbre apparait soudain. Le regard de Mary Bee Cuddy /Hilary Swank caresse le tronc jusqu'au faîte. "J'aime les arbres" dit-elle
Le vibrato d'une guitare résonne dans l'air cristallin et pur de ces mornes plaines. C'est le privilège de l'air sec que d'amplifier son.
L'équipage roule d'Ouest en Est des Etats-Unis en construction.
On s'extasie devant ces couchers de soleil, panoramiques, largement flammés de rose et de bleu.
Du film "Nebraska" à "Homesman", rien ne finit l'horizon. Tout comme, passé le défilé de Pancorbo, la Castille s'étend en éventail vers ce même infini subtil , comme l’entrée dans les steppes sibériennes. Bleu du ciel. Gris acier de l'horizon. La province du Transval en Afrique du Sud offre ces vastes perspectives, vertes au printemps, brûlées le reste de l'année.

L'infini unifie l'homme. 

vendredi 30 mai 2014

"Maïdan" de Sergei Loznitsa

"Vous êtes tous des héros !"

La belle image de ces vieilles dames qui assurent de petites intendances. Il y a celle qui donne des petits pains à manger aux déterreurs de pavés. Il y a celle qui distribue des masques en non-tissé aux combattants partant dans les nuages de gaz anti-émeutes lancées par les berkouts. Il y a celle qui, brandissant la croix devant les policiers, les exhorte à abandonner le combat. Petites dames courageuses, enroulées dans d'épais manteaux, un gros bonnet en laine tricotée enfoncé sur la tête, bravant le froid vif de ces mois d'hiver ukrainien. Elles vont, d'un pas doux, déterminées au milieu des révolutionnaires, murmurant des encouragements. Il y en a sûrement des dizaines de ces vieilles dames que la caméra n'a pas filmées.
Serrons-les très fort contre notre coeur !

La musique
Tous les chants et morceaux du films sont magnifiques. Chants populaires, religieux. Hymne national. Musique rock, pop, rap, et cette musique crée spécialement pour Maïdan
Il doit bien exister un CD quelque part. Je fais confiance à O. pour le trouver.
La musique est partout tout le long du film. Sophie Avon le note dans son bel article qu’elle a écrit dans la "République du Cinéma"

Quant on pense que ces criminels de berkouts ou autres mercenaires ont fait exploser la salle de concert du Conservatoire Tchaikovsky qui se dresse en bordure de cette même place Maïdan, on se dit qu'il y a une absolue nécessité pour l'Ukraine à mener la Révolution jusqu'au bout.

Les combats.
Ils sont très violents et font apparaître notre Mai 68 comme une sortie de copains.

Les combattants sont jeunes, coiffés de tous les casques disponibles, de cycliste, de motard, de snowborder, de l’armée, certains le visage enfoui dans un masque anti-gaz, d’autres cachés derrière un simple foulard. Beaucoup ont des protèges-tibias et des genouillères à cause des coups de barre de fer ou de matraque. Ils courent d’un même élan vers la rangée de berkouts qui eux sont bien équipés, bouclier en fer de protection, casque à visière. Aucun n’hésite ni ne recule de ces jeunes révolutionnaires qui se battent aux milieux des bombes anti-émeutes, assourdissantes ou lacrymogènes, des lances à eau. Ils jettent des pavés, tapent sur les boucliers de berkouts, invectivent, hurlent pour se donner du courage. Derrière pour dynamiser la charge, un bidon résonne des coups régulier d’une batte, boum, boum, boum…
Les berkouts, eux, ont l’air d’avoir peur. Peur de ces jeunes mal habillés et mal armés alors qu’eux sont harnachés et équipés tels des Dark Vador. Ils restent sur place,immobiles, en ligne serrée, se protégeant de leur bouclier.
Mais sur les dernières journées, ils se sont avancés sans peur car armés de fusils tirant à balles réelles. Quelle lâcheté ! Mais qui étaient-ils ces berkouts derrière les visières de leurs casque, des ukrainiens ou bien peut-être des russophiles de l’Est du pays, ou mieux encore des russes de Russie, des russes de Poutine et pour plus de cruauté, des Tchéchènes russophones qui tirent sans hésitation aucune ?
Un premier insurgé tombe à terre. Cette chute, elle est brutale. Un cailloux qui tombe. Rien à voir avec le cinéma qui nous montre des corps qui chutent trop lentement. Sur Maïdan, l’impact de la balle terrasse littéralement le corps. C’est terrible ! On ne veut pas y croire ! Mais ce corps est à terre, inerte ! C’est le premier tué de Maïdan. Puis, ce sera un massacre. 100 autres personnes paieront de leur vie pour la liberté et la démocratie de leur pays.

Ukrainiens et Russes
Ce Président Poutine s’étant approprié la Russie, je ne dirai pas ce que pensent les Russes des évènements ukrainiens puisque cet homme ne les laisse pas s’exprimer ou du moins n’ont-t’ils que le droit de répéter ce que lui, Poutine, dit. Mais j’écrirai ce que le Président russe pense et dit au nom de tous. Il a déclaré que les ukrainiens et les russes sont un même peuple. Curieux non ! Dit-on en Europe que les espagnols et les portugais le sont, bien qu’ayant la même racine linguistique ? Non, bien sûr ! On dit les espagnols d’une part et la portugais d’autre part. Et sans avoir besoin de regarder de très près, on voit assez facilement qu’ils ont entre eux de grosses différences. Eh bien, entre les ukrainiens et les russes, c’est pareil. Ils sont très différents. Pour nous européens de l’Ouest, ce n’est pas évident tellement il nous semble que la langue ukrainienne et russe sont identiques. Ce qui n’est pas le cas car un russe ne comprend pas l’ukrainien alors qu’un ukrainien comprend et parle le russe. Le Président Ianoukovitch, russophone de Donetsk, ne parlait pas la langue ukrainienne, ce qui choquait tant les habitants de ce pays. O. me disait qu’une linguiste russe de sa connaissance prétend que l’ukrainien est une sous-langue du russe. Pas mal le lavage de cerveau !

L’Ukraine est un pays souverain dont les frontières sont garanties par la Mémorandum de Budapest signé en décembre 1994 par de nombreux Etats, dont la Russie. Revenir sur ce traité sous la forme violente que nous connaissons actuellement, n’est-ce pas quelque part une déclaration de guerre de la part de Poutine ?

L’organisation de Maïdan
Maïdan est une ville dans la ville. La caméra montre cette place où le moindre endroit est judicieusement investi et utilisé dans le but d’optimiser la lutte qui de l’avis de tous durera longtemps. Les tentes sont bien alignées le long d’allées larges et commodes. Le podium
est installé de telle manière que le plus grand nombre puisse suivre les discours, les messes religieuses, les concerts de musique. Nous voyons les gens évoluer sans se gêner malgré la violence des combats. Mon post du 26 février « Concerto pour piano et barricades » décrit cette organisation sur Maïdan. Je ne répèterai donc pas mes propos.
Je ne parlerai içi que des barricades dont je n’avais pas mesuré l'ingéniosité. La caméra le montre bien, ces barricades sont montées de telle manière à bloquer efficacement l’avancé des berkouts. Un espace est prévu pour faire brûler les pneus dont la fumée noire est un écran efficace. De lourds véhicules entravent la marche de la police, ne lui laissant souvent qu’une fenêtre étroite pour intervenir. On le voit très nettement, la police n’a pas avancé d’un pouce sauf le jour où elle a commencé à tuer. Alors la partie était devenue inégale. Les insurgés n’avaient pas prévu que les berkouts allaient devenir des assassins.

Gens de Maïdan
Le réalisateur ne les fait ni parler, ni témoigner ou commenter. Et c’est tant mieux ! La caméra suffit ! Parler en plus aurait détruit l’impact et la vérité de l’image. Les insurgés veulent la fin du mensonge et du vol organisé. Ils veulent la liberté et la démocratie. Pas nécessaire d’expliquer. Tout le monde sait de quoi il s’agit. L’idéal est défini, clair et beau. Pas de bavardages ni de gloses inutiles. L’action seule tend maintenant ce peuple jusqu’à la victoire finale.
Nous voyons les gens marcher, aller et venir, de la ville vers Maïdan, de Maïdan vers la ville, approvisionner, préparer des repas, manger, dormir, prier, partir à l’assaut, lancer des pavés ou des cocktails-molotov, des pneus dans les flammes, secourir des blessés, donner à boire, etc. C’est une fourmilière où chacune et chacun joue un rôle précis.
Et ils chantent, beaucoup et souvent.

Sans doute Inna Shevchenko manquait-elle ! Le jour où les droits de cette république ukrainienne seront rétablis, elle pourrait orner le prochain billet de banque dans cette même attitude entraînante de la Marianne de Delacroix poussant en avant les insurgés de 1848 qui ornait nos anciens billets de 100 Frs.

On s’est marié sur Maïdan. On est mort sur Maïdan. Mais sans doute aussi des bébés sont-ils nés sur Maïdan !

Et puis il y a la poésie, toujours et encore, en Ukraine, la poésie qui unit ce peuple pacifique, la poésie qui entremêle les âmes et les coeurs, la poésie pour rire, la poésie pour pleurer, la poésie pour aimer, la poésie pour prier, la poésie pour naître et celle pour mourir.

Enfin la poésie pour que LEUR REVOLUTION REUSSISSE

"Deux jours, une nuit" des frères Dardenne

"Marion, Marion ! Magnifique Marion !" aurait déclaré Jean-Claude Brialy s’il avait encore été parmi nous et si Marion Cotillard avait reçu le Prix d’Interprétation Féminine au dernier Festival de Cannes pour le rôle de Sandra. Mais Emily Duquesne l’avait déjà reçu pour son rôle de Rosetta dans le film du même nom qui avait reçu la Palme d’Or en 1999.
Et malgré un sans faute, "Deux Jours, Une Nuit" n’a pas le souffle poétique de "Rosetta".

De "La Môme" à "Deux Jours, Une Nuit", Marion Cotillard sait tenir un rôle lourd de bout en bout, nous confirmant ainsi son génie de comédienne. Pas une faille où s’engouffrer, pas un défaut. Chapeau l’artiste ! 

Sandra est cette ouvrière aux traits tirés, à la peau grise, aux cheveux gras à la teinture cheap, au corps maigre et voûté serré dans un Marcel qui laisse apparaître de disgracieuses bretelles de soutien-gorge. Si nous la mettions, dans la réalité, à une sortie d’usine, nous ne reconnaitrions pas Marion Cotillard.

Nous retrouvons Fabrizio Rongione, acteur fétiche des Dardenne dans le rôle du mari. Admirable lui aussi.

Solwal, fabrique de panneaux solaires, lutte contre la concurrence chinoise qui, envahissant le monde de ses panneaux, a mis à mal toutes les usines européennes. Est-ce l’occasion pour la Sté pour licencier Sandra ? Le prétexte sera que, suite à une dépression nerveuse dont elle sort guérie au bout de trois mois, elle ne serait, selon son patron, pas capable d’exécuter convenablement son travail. Le droit social belge autorise-t’il une telle facilité de licenciement ? En France, ce n’est pas aussi  simple. Chez nous, si le médecin signe la guérison complète du patient, l'employé doit réintégrer son poste. Et même si le médecin reconnait qu’il y aurait quelques séquelles, l’entreprise doit mettre tout en oeuvre pour trouver un poste en adéquation avec l’état de santé de l’ouvrier(e).
Ensuite le patron dira qu'en l'absence de Sandra, le boulot peut-être fait par 16 personnes au lieu de 17. L’histoire de la prime-chantage aux ouvriers contre le licenciement de Sandra apparait un peu surréaliste. Sans doute une spécificité des pratiques sociales belges. En France, une telle situation n’est pas connue. 

Cela pour dire quoi au juste ? Que de projeter ce film en France, donnera à penser, car le spectateur oubliera la Wallonie belge, qu’il est facile dans notre pays de licencier le personnel. Ce qui est rigoureusement faux. Le licenciement chez nous est extrêmement compliqué à mettre en oeuvre car très strictement encadré avec des conditions à remplir contenues dans un Code du Travail, le nôtre, qui est le plus épais voire confus d’Europe.

Et une nouvelle fois un certain public français, plus boboïsant qu’expert en droit du Travail s’en prendra au capitalisme que l’on chargera une nouvelle fois de tous les maux. 

Donc ce qui semblerait juste en Belgique est faux en France.
Le droit européen du travail a encore du chemin à faire pour être convergent, en suivant l'argument du syndicat le plus disant, cela va de soit.
Sans partir dans une glose économique détaillée, il est à souligner que si les avancées sociales apparaissent justifiées tout au long du XIXème siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, celles qui sortiront du gouvernement provisoire de la République Française entre 1944 et 1946, à majorité communiste, enfermeront notre économie nationale dans un carcan tel que, dans notre situation actuelle de crise, il est impossible de réformer quoi que ce soit. Nous le voyons tous les jours avec les files de chômeurs qui s’allongent inexorablement et les entreprises qui refusent d’embaucher à cause de la complexité à gérer leur personnel appelé aussi improprement "ressources humaines".
Juste une précision qui ne fait pas rire compte tenu du désastre mondial que le communisme a entraîné, Karl Marx a écrit le Capital sans jamais autopsier la moindre usine. Son essai est écrit à partir d’autres essais. Il n’est jamais sorti de son bureau. 
De même pendant notre Révolution de 68, notre Jean-Paul Sartre, pipe à la bouche, distribuait des tracts (ou flyers) anti-capitalistes à la porte des usines Renault de Billancourt, sans jamais être entré dans l’usine ni savoir comment fonctionne une machine-outils. A l’époque le bonhomme faisait bien rire les ouvriers. Moi, il m’avait profondément choqué, tout comme ses livres qui m’ont toujours ennuyés.

Sans une refondation sociale sérieuse et porteuse de croissance, il y a de fortes chances que nos cinéastes "sociaux" puissent pendant quelques années encore filmer de telles tragédies.

Il faut profiter de voir ces films car ce monde ouvrier disparaît d’année en année, la production industrielle ne représentant plus en France que 12% de l’économie nationale.  

Mais si refondation sociale il y a un jour, laissons les philosophes et autres penseurs macro dans leur chambre.

Si le capitalisme semble être devenu une bête immonde, le droit social français s’est pour sa part transformé en un piège dangereux dans lequel le premier ne veut pas se prendre. 
  
Mais reconnaissons aux frères Dardenne un talent indéniable à décrire un environnement ouvrier sans pathos inutile. 
Il ont bien mérité les ★★★★★ que tous les critiques leurs ont octroyé