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dimanche 30 mars 2014

"All about Albert" de Nicole Holofcener VO

Eva/Julia Louis-Dreyfus, divorcée et masseuse professionnelle, rencontre au cours d'une "party" Albert/James Gandolfini, gros nounours affectueux, lui aussi divorcé.

Elle est tonique, lui est drôle. 
Ils sont parents tous les deux, chacun d'une fille approximativement du même âge.

Ca colle assez rapidement entre eux.

Mais il seront victimes d'un quiproquo qui mettra en danger leur relation. 

Si vous voulez voir un comportement amoureux authentiquement US, c'est le film qu'il faut voir. Les dialogues sont parfaits, plus vrais que vrais. On aime ces acteurs qui jouent à la perfection ces rôles d'amants d'après divorce qui appréhendent un peu de se lancer dans une nouvelle relation.
Tous les acteurs périphériques sont aussi excellents dans cette façon désinhibée  typiquement US de parler de soi et de tous les problèmes de la vie quotidienne.

Malgré quelques longueurs, le film est à voir. Mais il faut vraiment connaitre et comprendre comment fonctionnent les état-uniens, sinon on risque de pas aimer.
Je mettrais ce film dans la catégorie "Art et Essais US" (C'est A qui me l'a soufflé !)

Une nouvelle triste: on ne verra plus James Gandolfini, décédé 3 mois après la réalisation du film. 




"Péninsule" de Loïc Raynal

P
Elle s'appelle Péninsule. Elle le quitte en  plein naufrage!


Le burnout de Loïc Raynal commence longtemps en arrière de sa vie. Il est possible que ce syndrome ait débuté chez lui dès l'enfance qu'il a eu très protégée de parents attentionnés qui lui ont dit de bien travailler à l'école afin d'accéder à une place enviable dans la Sté. Sage et obéissant, il fait ce qu'on attend de lui. C'est un enfant seul qui reste enfermé entre ses parents et ses études. Ensuite 2 ans de prépa + 3 ans d’une grande école de commerce ont alimenté ce burnout. Il écrit s'être un peu ennuyé dans cette école. Il est vrai que j'ai souvent entendu dire qu’on n'y faisait pas grand chose dans ces institutions et que par contre on s'y amusait beaucoup. 
A cette époque, ce n'est encore qu'une « une simple fatigue"

Puis l'emploi. 10 ans dans un important boulot de direction dans une grande entreprise. Travailler de plus en tard, souvent jusqu'à 22h00. Peur de mal faire. Epuisement total. Burnout. Quitter son poste. Laisser ses collaborateurs lui ajoute un sentiment de culpabilité. Glissement vers le néant. Introspection. Il remonte un peu. Trouve une formation pour devenir coach de chefs d'entreprise pour leurs apprendre à se libérer des contraintes, etc.

Séparation d'avec son ami Péninsule. "Tu es méchant !" lui répète-t'elle constamment. Méchant de quoi ? Loïc ne comprend pas !

Le "je" commence chaque phrase. Pas de il, pas de nous, pas de tu, pas d'autres pronoms. Le "jeu" central. Le "je" sourd et aveugle. Le "je" de la souffrance. Ce "je" m'a toujours mis dans une situation inconfortable. Le "je" et le "moi". Peut-on se questionner à soi-même ? Que voyons-nous dans le miroir sinon la question de la question. Le questionnement sans fin. Et puis un jour, ça s'arrête, peut-être parce qu'il n'y a plus de question tellement il n'y a pas de réponse. Abandon par forfait. Capitulation sans condition. Le trou noir !

L’auteur, n'est-il pas sorti trop vite de l'enfance tant ses parents espéraient de lui ? C’est la question qu'il se pose. 

Loïc Raynal pense que ce n'est pas la somme de boulot qui est la cause directe de son burnout mais la perte de la foi. Je serai de son avis. Tout le monde ne succombe pas sous l'action de la pression de ce siècle. 
Par contre, la foi pourrait comporter un danger par ce qu'elle représente de pulsionnel, d'irrationnel, de manipulation, de course illusoire vers un Graal lointain.
La foi donc, si nous la perdons nous laisse au bord du chemin déprimés et brisés.
C'est donc la foi qui a tué Loïc !
La foi ! trop dangereux ! Elle a éliminé trop d'idées, trop de peuples, trop de civilisations. Elle remplace une dictature par une autre. Une dépendance par une autre. La foi confisque la pensée. Elle engendre la peur. Et la peur fait fonctionner le monde 

Laissons la foi dans son espace spirituel. La foi n’est pas le réel. L’homme lui est réel. La foi ne peut rien pour lui.  La foi écarte du sens. Seule la pensée est le réel.
Et voilà les désastres que nous voyons tous les jours provoqués par cette économie pervertie par des hommes et des femmes à qui a été inculquée la foi absolue dans le profit dans ces nouvelles églises du commerce.

Ces écoles de commerce fabriquent des individus normés, des êtres d'exécution dont le raisonnement est au niveau zéro de la pensée. Ils sont formés pour entrer dans cet univers de l'entreprise devenu virtuel et paranoïaque, entreprise dont la finalité n'est plus de servir la collectivité mais de sacrifier au seul dieu Profit. On n'est plus l'humain, ouvrier oeuvrant pour l'équilibre du monde, mais esclave d'un travail qui n'a pas d'autre sens que de multiplier le profit à l'infini.

L'objectivité caractérise l'entreprise sous forme de chiffres et de process. C'est le dogme. On doit avoir foi dans ce dogme. Interdit de penser en dehors du process et des chiffres. Gare à celui qui sort du dogme.

Ne plus accepter d'être normé, chercher la subjectivité et l’ordre dans le désordre.

La peur rend l'homme mauvais et méchant dans ces oeuvres ! Oh mais ses intentions sont toujours belles et séduisantes ! 
"Qui veut faire l’ange, fait la bête" a écrit Pascal.
Rousseau s'est trompé !
Heureusement il reste de très belles initiatives individuelles ou issues de petits groupes qui s’acharnent à contredire cette globalité désastreuse.

Nous devrions tous naître avec le gène d'Antigone !

Le témoignage de Loïc Raynal est poignant. "Péninsule" est son premier roman. C'est un jeune écrivain dont d'écriture déroule bien l'histoire de sa souffrance ! Il est toujours bon de lire des bouquins de personnes qui ont mal à leur vie. C'est un cri qui ébranle notre quotidien satisfait. 
J'ai rencontré cet auteur toulousain chez Cultura - Rives d'Arcin à Bègle. Nous avons beaucoup discuté. Loïc Raynal aime l'homme. Il pense qu'il est possible d'intervenir pour qu'il change. Il ne veut plus jouer dans un théâtre d'ombres. Et pourtant... !





samedi 29 mars 2014

Concert du groupe "Missaghju"

Ils viennent de Corse.
Deux guitares sèches, un violon, une guitare basse, une batterie.
Tous sont chanteurs. Et ce merveilleux ténor à la voix aérienne et puissante.
Sous la direction d'Alain Gherardi, fondateur du groupe, guitariste et chanteur qui écrit les textes et compose la musique.


Alain Gherardi présente et cadence les chants, accompagné de sa guitare qu'il fait vibrer dans des soli légers et chauds. On imagine là une promenade langoureuse dans les jardins d'Aranjuez un soir d'été.


Le chants se suivent mêlant des sonorités de l'Orient, de l'Espagne flamenca, des Balkans, du jazz et de la Bossa Nova. Ce concert est un trait d'union entre la polyphonie corse et l'orchestre-groupe contemporain électrique et syncopé.


Mais nous restons bien en Corse avec ces mélodies traditionnelles pour célébrer la grand-mère avec "Mammone", mélodie des vacances au village avec "Stagionaccia", mélodie à son fils, mélodie pour pleurer la catastrophe du stade de Furiani en 1992, mélodie pour aimer, mélodie pour danser...
Et une mélodie pour la tragédie du 11 septembre 2001, et puis l'entraînant "Emmenez-moi" de Charles Aznavour.


Malgré cet apport nouveau en instrumentation, ils n'ont pas oublié de nous exécuter quelques chants polyphoniques a capella qui ont fait écho sous les voûtes de la basilique, nous faisant voyager à travers les vallées corses le soir au crépuscule quand la nature se tait enfin pour se coucher dans le silence de la nuit qui vient.


23h00. Le dernier chant s’achève. Longue et sonore standing ovation !


Ce concert s'est déroulé hier soir dans la basilique Saint-Seurin à Bordeaux. Il a été organisé par le Dr Patrice Landry, lui-même corse, que tous les patients qui ont mal au dos connaissent bien. Il était très inquiet par ce lieu, très grand, qu'il fallait remplir. Le concert a fait basilique pleine. Mission accomplie, docteur !

lundi 24 mars 2014

"Valse pour Monica" de Per Fly

"Valse pour Monica" retrace une tranche de la vie de Monica Zetterlund, fameuse chanteuse de jazz dans son pays. Elle est suédoise et blonde. Mère de famille et célibataire. Pas encore connue, elle continue à travailler dans un centre d'appel téléphonique tout en chantant le soir dans les cabarets suédois.
Enfin New-York qui la fascine, New-York qui aspire les talents, l'appelle.
 
Elle entre dans son destin.

Elle passera d'un répertoire jazz classique en anglais à un répertoire en suédois, de poèmes mis en musique jazz. Et c'est le succès !

Nous sommes à la fin des années 50-début 60. Epoque enthousiaste, de risque-tout, de casse-cou, de paris fous. On fume des Lucky Strike et on boit du Johnny Walker. Beaucoup des deux. Beaucoup trop pour Monica. Malgré cela, elle vole de succès en succès.

Le grand Bill Evans la veut à New-York.
New-York couronnera Monica.

Le film est en vo suédois. On n'est pas habitué à entendre cette langue dont les sonorités surprennent. La reconstitution des années 50-60 est superbe. Le Technicolor cinestyle sans doute utilisé donne aux images ces chaudes teintes marshmallow de l'époque. Même la manière de filmer avec cette caméra qui saute d'une image à l'autre nous plonge dans les films de ces années-là.
Monica est émouvante, qui court après la reconnaissance, le besoin d'être aimée de son public. Sorte de Billie Holiday que la vie déchire. Edda Magnason interprète magnifiquement le rôle de la chanteuse dont la voix chaude émeut un public qui l'acclame par une standing ovation à chaque tour de chant. Elle colle "à la manière d'être" de l'époque que l'on imagine pas autrement que ce que le film montre. Lunettes-aile de papillon, grosses berlines noires, vols sur SAS, palace à New-York, cabarets bondés et enfumés...

C'est l'époque des stars, fantasques et alcoolisées, collectionneuses de maris, qui jouent leur carrière tous les soirs.
Monica est cette star.

Beau film, décalé de l'offre actuelle. Et avec en plus du très bon jazz !

dimanche 23 mars 2014

"Je suis un homme" de Marie Nimier

"L'enfance n'existe pas". Marie Nimier commence son livre par cette affirmation dure et graveCes mots, Alexis Leriche les pense. Son enfance n’a pas vibrée aux premiers sentiments. Les caresses n’ont pas plissé sa peau. L’apprentissage du beau lui est inconnu. Il est né adulte sexué, tout d’une pièce. Ses pensées ne se colorent pas d’émotions et ni ne s’embrument par les doutes. Il apparait primaire, totalement tourné vers l’action, vers l’acte. Il est dans le concret, ce qui se touche, ce qui est proche. 

Il est très beau. Il le sait. Les filles, elles viendront toutes à lui quand il le voudra, lui. 
Ce qu’il voit dans Delphine, sa camarade de classe, c’est son corps, ses longues jambes, ses seins qui débordent de son soutien-gorge. C’est tout. Son regard sur Delphine s’arrête là. Son coeur n’est pas sollicité. Sa seule émotion, c’est son sexe qui l’exprime, par un seul message envoyé depuis son cerveau: la baiser.
Mais Delphine a une voix aigüe qui le dérange. Donc, il passe son chemin et se rabat sur Zoé, la copine de Delphine.

Il baise Zoé. Elle l’aime. Penser que lui pourrait l’aimer, ça l’effleure à peine. Avantage avec Zoé: elle ne peut pas avoir d’enfants. La traite-t’il mal ? En quelque sorte, oui ! Zoé est une commodité qui doit toujours être disponible pour son seul plaisir. Il veut qu'elle soit sa pute. Il ne peut pas comprendre qu'une femme amoureuse, dans l’acte d’amour, donne tout , qu'elle n'a plus d'inhibition aucune. Lui ne voit qu'un comportement de pute. Et c'est ça qui lui plaît !  Repu après la baise, il s'endort !
Il est mufle, il est macho, phallocrate. Il ne respecte rien. Il veut toutes les femmes. Il aura Zoé. Point ! 
Il reviendra vers Delphine, mais ce n’est pas ce qu’il espérait.
Puis viendra la violence quand Zoé voudra reprendre contact avec son premier mari. Alexis, contrarié que "SA femme" pourrait lui échapper, la brutalise. Peur de Zoé qui simule pour ne pas recevoir d’autres coups.

Alexis a une ouïe monstrueusement développée. Il entend ce que les autres ne perçoivent pas. Seuls les aigus le dérangent. Il se servira de ces capacités auditives pour travailler aux classement des archives sonores dans une Sté. Puis il monte une association « Le Paradis des Voix » avec Antoine, son pote comme président et Delphine, trésorière, qui lui financera son démarrage.  Il cherche des voix et les vend à d’autres qui en ont besoin pour leur publicités, leurs annonces, leurs messages télévisés, le cinéma,etc. Penser à la première dimension structure son esprit. Cela lui permet d’être un bon businessman. Pas d’état d’âme chez lui. Un homme d'affaires, ça n'a pas de sentiments! C'est connu ! Un peu escroc aussi quand il se sert du label "cannes blanches" pour avoir des contrats en faisant vibrer l’émotion chez ses clients. Son succès en affaire et l'argent qu'il en retire construiront son sentiment de puissance. Quant aux femmes qu’il emploie, elles sont sous-payées ou bien pas du tout rémunérées comme Zoé qui administre l'association. C’est "SA femme" . Faut-il en plus de ce statut enviable qu’elle soit salariée ?

Et puis viendra l’accident. Alexis perdra la sensibilité des jambes et puis du bassin et du reste, son sexe. Il fera alors tout pour restaurer sa virilité blessée. Sans grand succès.

Cet homme de Marie Nimier, ce n’est pas un mec, petite frappe ou voyou. C’est quelqu’un que l’on croise tous les jours. Rien de très spécial ne se remarque chez lui. Il est lisse. Il a un discours. Il est bien habillé.  Pas antipathique. En plus Alexis est beau. Beau de visage et beau de corps. C’est important de nos jours d’être beau. L’apparence et l’image commandent en toutes choses. On a moins besoin de se servir de son cerveau et de sa sensibilité. La posture suffit. Et si en plus on a un corps sculpté par des heures passées à soulever de la fonte, c’est encore mieux !
C’est un être primaire, totalement centré sur lui-même, dont les cinq sens ne servent qu’à la satisfaction de plaisirs immédiats et faciles. 

Marie Nimier a encore écrit un beau livre. Un livre sans concession pour un certain type d'homme. Son écriture est aisée, fluide. Les mots sont précis. Elle n’épargne aucune situations. Elle décrit cet homme qu’elle n’aime pas, avec froideur et objectivité. Elle garde sa tendresse et l'amour pour les femmes de son livre. Car ses femmes vivent un environnement amoureux autrement plus riche et vaste que celui étroit et trivial d’Alexis. L’accident ne le changera pas. Il pense sexe, est centré sur son sexe, comment faire du sexe, comment jouir avec le peu de capacité sexuelle qui lui reste. Alors il rêve de sublimes scènes avec Delphine, avec Zoé.
C'est un livre qui traite avec justesse d'un certain comportement contemporain né de la pornographie, de la violence, de l'argent, du mépris des personnes, etc. 

Alexis n'est plus qu'un lion blessé qui bouge à peine et qui pleure son sexe qui n'est plus.


samedi 15 mars 2014

"Tangente vers l'Est" de Maylis de Kerangal

PIU

C'est un bien petit livre pour un si long voyage ! Traverser toute la Russie d'ouest en est dans le Transsibérien en 120 pages et 1 semaine. C'est possible tant il n'y aurait peu à écrire le long de ce parcours uniforme et monotone. 
Le parcours égrène les gares "tel un collier": Moscou, Iekaterinburg, Novossibirsk, Krasnoïarsk, Irkoutsk, Ulan Ude, et enfin le Pacifique, océan gris métallique auréolé de tâches d’hydrocarbure. Moscou - Vladivostok. 9288 kilomètres à travers un paysage de collines, de forêts, de taïga et de steppes, que l'air sec et subtil étalent jusqu'à des infinis grand angle.

Et puis surgit le Baïkal, la mer des russes, que le train longe depuis Irkousk. La simple vue de ce lac chasse des coeurs l’angoisse provoquée par la traversée de ces terres d’éternité. Alors dans les wagons, on s'embrasse, on ouvre des bouteilles de vodka, on chante, on échange des poèmes. Et puis tout retombe, apaisé, le train continue sur son rail.

Au commencement du livre, MdeK, saisit, en peu de mots, le comportement russe, contraint et résigné par des siècles de servitude."Ceux-là viennent de Moscou et ne savent pas où ils vont ". "Ceux-là" n'exprime plus des individus, mais un groupe indistinct qui, abruti de désoeuvrement et d'alcool, avancent en titubant vers le néant. Vers ce " trou noir " sibérien. 

Aliocha est dans ce train qui roule vers l’est. Il ne veut pas être de "ceux-là ". 

Les destins et les rêves d'Aliocha, garçon a la peau blanche avec des bleus sur les cuisses et d'Hélène qui fume et ne parle pas le russe se croisent dans le fracas du train. Les yeux se cherchent, questionnent et comprennent que chacun d’eux a la même intention pour des raisons différentes. 
Les gestes parleront, exprimeront tour à tour la joie et la peur, une sorte d’amour peut-être. Hélène et Aliocha entre violence et douceur.

MdeK nous entraîne dans le captivant railway movie d’une intrigue dont le déroulement passe de la lenteur morne du voyage à l’action précipitée et nerveuse. Elle excelle dans cet exercice de relentir ou d’accélérer les mouvements du livre par des phrases précises et des mots acérés.
MdK écrit directement sur l'épiderme russe. Cette peau toujours prête à exploser dans une chaleur magmatique. Elle est russe,  comme elle est coeur dans "Réparer les Vivants", livre qui m'a laissé épuisé au plus noir de la nuit. Comme est russe le héros du Platonov de Tchekhov.
Et puis tout s’emballera et s’arrêtera enfin, sous forme de poème en prose. 
MdK maîtrise cette énergie que les slaves ont en trop.

C'est ça la Russie, une immense dilatation des valves et des artères charriant des torrents  d'amour! 

Au fait, prendre la tangente, c’est fuir, n’est-ce pas ?

Ce matin dans ma voiture, c'est "Comfortably Numb" des Pink Floyd qui m'accompagne jusqu'au bureau
"You are only coming through in waves.
Your lips move but I can't hear what you're saying"
Je laisse la guitare nostalgique de David Gilmour s'échapper par la fenêtre et se perdre au loin dans les infinis sibériens.
Assis "confortablement engourdi" dans le Transsibérien, le regard se voile dans le défilement d'un paysage monochrome.

Encore un merveilleux livre de Maylis de Kerangal qui a su écrire toute la magie à la fois poétique et brutale de la Russie. Il y a longtemps que je voulais acheter ce roman, "Réparer les Vivants" m'en a donné l'occasion. En 2010, "Naissance d'un Pont" m'avait subjugué. J'étais absent de Bordeaux quand MdeK est venue chez Mollat en février ! Dommage !

 

mardi 11 mars 2014

"L'Annonce" de Marie-Hélène Lafon

Dans les campagnes parfois, les paysans solitaires recherchent l'âme soeur par annonce dans "Le Chasseur Français ", leur magazine préféré. Egalement, des foires aux célibataires sont organisées chaque années dans certaines vallées de montagne. Des autobus de femmes arrivent le jour prévu sur la place du village enguirlandée. Avec orchestre et bal. Mais l'histoire ne dit pas si les cars repartent à vide. Existent-ils des villages de femmes attendant des autobus d'hommes ? Je ne sais pas.

"L'annonce" est une histoire d'amour ! 

Dès les premières pages, on plonge directement dans l'atmosphère du livre. On connait très vite Paul, gros travailleur, qui décide vite, Nicole, jalouse qui entend tout régenter, les oncles, des taiseux méthodiques et organisés. Ils vivent tous ensemble dans la même maison. Il y a les vaches, la traite deux fois par jour, les foins entre deux orages. Pas si tranquille la vie de paysan, mais bien rythmée ! 
Paul est vide d'amour. L’annonce. Annette répond et accepte. Elle arrive à la ferme avec un fils, Eric. Elle vient de ce monde du nord, de la révolution industrielle, gris et brutal. 
Alors commence la construction de cet amour dans ce huit-clos de personnes laborieuses, méfiantes, silencieuses.

Formant un couple aux civilisations différentes, l'insertion d’Annette dans ce nouvel univers sera difficile. 

Avec ce livre, MHL est au sommet de son art. " L’Annonce " est une oeuvre supérieure à " Les Pays ". L'écriture est maîtrisée. Pas d'hésitation. La narration coule fluide et nerveuse. MHL applique toujours cette  précision et cette rigueur qui caractérise son talent pour décrire des scènes rugueuses et âpres, ne  laissant aucune place aux fioritures. Elle pratique la description entomologique pour relater évènements, attitudes et sentiments. Le temps et l'espace sont gérés sur un mode concret et efficace.
Ce qui est merveilleux chez MLH, c’est cette écriture hors des sentiers battus. Elle s'aventure dans son mode d'écrire en prenant des risques car on sent qu'elle ne veut écrire que ce qu’elle porte profondément en elle. MLH apparait sincère ne cherchant pas forcément à plaire. Elle a du souffle et des tripes. Simplement écrivain, c'est ce qu'elle semble vouloir être.
Elle n'est pas ancienne élève d’une quelconque école d'écriture qui recopie une bonne recette. Exit les auteurs commerciaux et leur littérature suave et marketée sortie d'un logiciel informatique d'écriture analysant les goûts et les couleurs du consommateur lambda pour lui servir un fade brouet littéraire pour tête de gondole de supermarché. Je ne les cite pas ici. Vous trouverez facilement leur nom vous-même.

Avec ce livre, on est proche d' "Ouest" de Vallejo ou bien "Des Ames Grises" de Philippe Claudel.
Mais elle est diamétralement opposé au réalisme satirique d'un Marcel Aymé qui campe des personnages rusés et cyniques.
Il y a du Kerangal chez elle dans ses phrases qui courent jusqu’à atteindre l’expression parfaite d’une situation ou d’un paysage. 
MHL dérange car elle a su créer une nouvelle littérature qui contrarie le rythme frénétique et vain de notre époque .

Elle a su inventer un moment suspendu tendre et douloureux.

Bravo l’artiste !

dimanche 9 mars 2014

"Diplomatie" de Volker Schlöndorff

Superbe film servi par d’excellent acteurs Niels Arestrup/général von Choltitz et André Dussolier/Raoul Nordling, consul de Suède. 
Est-ce un film ! Plutôt une pièce de théâtre mise sur une pellicule. Peut-être la pièce serait-t’elle plus intéressante car la profondeur du sujet exigerait cette proximité avec les acteurs que seul permet le théâtre.
D’ailleurs, les acteurs ne jouent pas comme au cinéma, mais comme s’ils étaient sur des planches. Ce qui donne cet aspect décalé entre le décor de cinéma et le jeu dramatique des protagonistes.

23 août 1944, Nordling rend visite au général von Choltitz à son QG installé à l’hôtel Meurisse pour discuter avec lui et le dissuader de faire exploser Paris car tel était l’ordre d’Hitler.

C’est une fiction pure. Pas de recherche d'une vérité. Les hommes ne se sont que très peu rencontrés. Mais là n’est pas le plus important car si on réfléchit un peu, on imagine mal un général tel que von Choltitz, avec les responsabilités qui sont les siennes, acculé à prendre des décisions très rapides dans une situation de débâcle, ait pu avoir le temps de philosopher avec le Consul sur la décision ou non de brûler Paris. Egalement miner Paris avec le peu de moyens en armes et en hommes dont disposait le général, aurait été une mission très difficle à exécuter. Par contre ce qui est une vérité ou très proche de l’être est que von Choltitz a abandonné l’idée de faire exploser Paris et que Nordling a été un acteur déterminant dans la victoire alliée, notamment son obsession de protéger les populations civiles (libération de prisonniers, empêcher le blocus alimentaire de Paris, etc.).

Il y a eu de précédents films et/ou pièces de théâtre tel "Le Souper", qui fait se rencontrer Talleyrand et Fouché sur la politique à mener après l’abdication de Napoléon. Fiction. Ou bien la « Controverse de Valladolid » qui fait s’affronter au XVIe le chanoine Sepulveda et le dominicain Bartolomé de Las Casas sur le fait de savoir si les indiens d’Amérique ont une âme ou pas. Pure imagination aussi.
Ces rencontres n’ont jamais eu lieu.

Mais alors, quel est l’intérêt historique de ces films ou pièces de théâtre ? Celui de concentrer dans un scénario simple un fait déterminant de l’histoire qu’il serait extrêmement difficile à monter en film (et souvent à expliquer aux communs des mortels) tellement est souvent complexe le faisceau de causes, de raisons, de faits et d’effets. Car très rares sont les films historiques qui retraçent fidèlement un fait authentique et vérifiable. Et avec la vérité vraie, Il y a de fortes chances pour que le film soit d’un ennui mortel. 

C’est une manière de sublimer l’histoire ! Ces fictions forcent le débat historique. 

Le film est avant tout un spectacle.

Ce qu’il faut garder de "Diplomatie"  est le jeu merveilleux des acteurs et l’efficacité des dialogues.

samedi 8 mars 2014

"Les Pays" de Marie-Hélène Lafon

Claire quitte son Cantal natal et la ferme de ses parents et "monte" à Paris étudier les Lettres Classiques à la Sorbonne.
C'est une fille de paysans simples.  Ce livre est son histoire.

Juin. La vie de Claire change quand elle achète ce pantalon rouge après un examen brillamment réussi. A partir de ce fait  banal, il y aura pour Claire un avant et un après. Un avant quand elle demande à la vendeuse d'essayer un 40. "Le 38 vous ira parfaitement" rétorque la vendeuse. Claire insiste pour le 40 tellement elle est habituée à se dissimuler dans des vêtements amples, tombants, voire informes, qui font disparaitre le corps. Et puis un après quand elle accepte de passer le 38. Super ! Et la mue commence: ce 38 fait découvrir à Claire que cette taille, c'est la sienne, et qu'elle a un corps que l'on peut regarder. 
Un avant avec des vêtements qui signent ses origines modestes de fille de paysans dans un "pays" perdu, les pieds dans la bouse, les mains à faire les foins ou à fabriquer le Saint-Nectaire. Un après en endossant avec ce pantalon une peau de citadine, dans un corps de gens des villes non déformé par l'harassant labeur de paysan, un corps lisse, un visage doux sur lequel Claire appliquera ces crèmes qui promettent l'éternelle jeunesse.

Elle a ses genoux un peu gros qu'elle n'aime pas. Mais avec ce pantalon rouge, plus de genoux !

La mue est faite. Elle ne renie rien de son origine paysanne, mais elle peut maintenant affronter Paris, la frénésie et la futilité. Elle continue d’étudier, d'arrache-pied, avec passion, le latin et le grec surtout. Elle est prête pour affronter ce qui distingue les gens cultivés entre eux : l’aisance ! Ce truc que l’on a en tombant dans une marmite de potion culturelle et éducative. Existerait-il un gène de la culture ! Et ce sera la rencontre avec Jean-René, fils de diplomate, né en sachant déjà écrire et parler, qui discute d’égal à égal avec les professeurs, qui méprise les examens. Il est au dessus. Il écrit, lui ! Qu’a-t’il besoin de ces contingences pour exercer son art. Et puis il y aura Lucie de Mortemart, brillante étudiante elle aussi et qui aime Bach. C’est pas rien, cette famille qui démarre au XIème siècle et qui a donné des lignés de ducs, princes ou marquis, pairs de France, alliée aux meilleures maisons, possédant châteaux et hôtels particuliers. ! 

Mais point de griserie chez Claire ! Ce qu’elle recherche, c’est la belle mécanique intellectuelle de ces gens là, pas ce qu’ils représentent.
Pas de reniement quand elle travaille avec Mme Rablot, caissière à la banque où elle travaille l’été pour compléter sa bourse d’études. Mme Rablot est une « pays », tout comme Alain, le bibliothécaire de la fac.

Ce qu’aime Claire, et ce qu’elle n’aime pas:
  • Elle n’aime pas les jeux de société. Aux combinaisons infinies que permet le maniement des mots et des phrases, le jeu lui apparait futile;
  • Elle n’a pas de télévision. Que vaut l'image souvent pauvre en signification en comparaison de l'écrit qui ouvre à  tous les imaginaires;
  • Elle aime l’Italie. Ce pays a décliné en mille beautés ce que la Grèce a inventé de pur;
  • Elle aime l’auteur italien Primo Lévi. Elle n'écrit pas son nom. Mais la description qu'elle en fait, ça ne peut être que lui. Cet ingénieur-écrivain qui a su mettre l’esprit scientifique dans la littérature. Sa photo trône quelque part dans sa bibliothèque. Souvent je pense à lui. Il aimait aussi la montagne !
  • Elle a aimé deux hommes. D’abord Gabriel, l’étudiant US, puis son mari. Elle divorce au bout de sept ans. Fin de l’amour ? On ne sait pas. Les livres, eux, ne déçoivent jamais !
  • Elle n'aime plus l'ail paysan, elle aime le vinaigre balsamique citadin.
Le début du livre est prudent, délicat. MHL fait avancer Claire sur la pointe de pieds dans ce monde nouveau. C’est comme une goutte d’eau sur la page, qui s’agrandit  progressivement pour recouvrir des faits et des sentiments proches.  Au fur et à mesure de l’écriture, MHL/Claire marche plus vite, court et plonge, participant ainsi à la frénésie intellectuelle d’étudier et de rencontrer ces autres étudiants qui avancent en avalant goulument toute la connaissance et la culture sur leur passage.
Au début lente, la phrase s’accélère. Les mots dansent, se cognent, forcent le passage, écartent, arrachent, prennent sensations et idées à pleines dents. 
Ensuite, la digression, MHL/Claire s’y enfile dès qu’elle en a l’opportunité. C’est aussi cela, l’aisance !
L’adjectif qualificatif ! Marie-Hélène Lafon en use, beaucoup, ne laissant jamais un nom commun perdu et esseulé. Il est qualifié pour qu’il soit bien cerné, pour qu'il n'ait pas un sens autre, mais bien celui qu’aura choisi MHL.
L’auteur est pétrie de classicisme. Le XVIIIème est là, que MHL reprend à son compte en le dépoussiérant pour lui faire traverser le XXème.
Elle aime la sonorité, la sensualité, la couleur des mots. Leur goût aussi !

Le livre commence doucement en sortant de la campagne. Il se referme doucement avec le père et le neveu de Claire venu porter à Paris, au professeur de Lettres qu'elle est, un peu de cet air paisible du Cantal

Je crois que j’ai aimé Claire !

"Un Week-End à Paris" de Roger Michell - VO

Jolie comédie jouée par deux acteurs de grand talent, Jim Broadbent et Lindsay Duncan, qui interprètent deux retraités de l'enseignement qui décident de fêter leur anniversaire de mariage (30 ans) à Paris.
Un peu gros, mais on rit !
Cette façon anglo-saxonne de déconner intellectuellement est toujours très divertissante ! 
Désinhibition et absurdité joyeuse !

A voir !

jeudi 6 mars 2014

"Week Ends" de Anne Villacèque

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Quand un homme quitte une femme ? C'est quoi ? Une comédie ? C'est ainsi que la majorité des critiques ont qualifié le film.
Quand une femme quitte un homme ? Est-ce aussi une comédie ? Ou bien une tragédie ? J'attends un film sur ce scénario pour voir ce que les critiques diront.
Alors, optant pour une voie médiane, certains critiques ont nommé tragi-comédie ce film "Week Ends".
 
Ce film traite d’un mariage qui se brise dans une séparation. On verra à la fin... pas tout à fait !

En entrant dans la salle de cinéma de l'UGC où est projeté ce film, je suis frappé par la composition de l'assistance: la majorité des personnes sont des femmes, seules, entre 45 et 55 ans. Une poignée de couples. Peu d'hommes. Seuls.
J'ai imaginé les statistiques suivantes:
- 50% viennent voir ce qui est en train de leur arriver;
- 30% viennent pour voir ce qui leur est déjà arrivé. -
-10% viennent pour voir ce qu'il pourrait leur arriver sans avoir conscience que ça arrivera à 5% d'entre eux;
- il reste 10% pour lesquels qu’il m’est difficile de définir sans leur poser la question.

Le XIXème siècle a mis l'amour dans le roman.
Le XXème a mis l'amour dans le mariage.
Et à partir de là les choses se compliquent. L'amour, ce truc qui fait du bien partout et consume les coeurs, c'est pas toujours facile. On se marie, donc ! Pendant Un temps, ça fonctionne (un auteur people prétend que l'amour dure 3 ans), puis on ne se parle plus, alors on cherche des prétextes pour... Enfin on se déchire et on se sépare. Certains reviennent en couple. Enfin, d'autres, plus sophistiqués sans doute, divorcent puis se marient à nouveau ! 

Dans le film, deux couples, amis  de longue date, achètent chacun une maison de campagne en Normandie. Ces maisons sont voisines. Ils y passent tous leurs week ends. Au cours d'un WE Jean/Jacques Gamblain déclare à Christine/Karine Viard, son épouse, qu'il la quitte. L'annonce est soudaine - apparemment pas de signes annonciateurs - et brutale - effet immédiat de la décision, exaspération bruyante de Jean.
L'autre couple Sylvette et Ulrich, 30 ans de vie commune, 2 enfants, ont l'air de se satisfaire de leur vie douillette et ronronnante. Toutefois Sylvette posera à son mari quelques questions à énigmes sur l'amour et la vie commune. Ulrich, qui est allemand, lui répond avec des "Foui, foui" réconfortants. A dire vrai, d'imaginer la morne vie de ces deux-là, j'ai ressenti un sentiment de commisération. Les voir dans leur lit, Sylvette, dans un pull grosses mailles, et Ulrich avec un tricot de peau boutonné jusqu'au menton, on sait que la nuit sera paisible.
 
Viard et Gamblain sont classés acteurs comiques. Donc le film le serait-il aussi ? Pas sûr ! Il est tout l'opposé de "Divorce à l'Italienne" qui est franchement une comédie. On rit !
Avec "Week-Ends, le rire est suspendu entre des scènes douloureuses qui ne le sont pas vraiment et d'autres qui pourraient être drôles sans qu'elles le soient totalement.
De bons acteurs, certes, mais dont les rôles ne m'ont en rien convaincu. Un courant qui n'est pas passé. Une absence de ressenti chez moi ! Un je-ne-sais-quoi obscur qui fait que ça ne cadre pas, des situations qui s'enchaînent trop bien . Comme s'il existait une séparation standard avec mode d'emploi pour apprentis séparatistes.
Le scénario est un peu inégal avec quelques scène improbables: Jean qui installe sa maîtresse dans la maison commune, la vieille dame qui déclame par coeur un poème que Pascale (c'est la maîtresse de Jean) continue de réciter, Jean, à la fin du film, déprimé, qui se tient nu dans le salon, figé comme un mime de rue.

Mais bon à part ça, j'ai vraiment envie de revoir les falaises d'Etretat, le tapis de galets et la mer argentée qui scintille au soleil !

mercredi 5 mars 2014

Goya - Musée Ibercaja - Zaragoza (Espagne)

Oh merveille ! A côté de l'hôtel où je suis descendu à Zaragoza, je découvre une petite pinacothèque où sont exposées certaines oeuvres de Goya. Quelques peintures de l'artiste (pas les meilleures qui elles, sont au Prado à Madrid) mais surtout une collection de ses gravures qui témoignent de sa une grande curiosité sur l'époque qu'il dépeint avec lucidité. Il y a les scènes de tauromachie illustrant la diversité des passes et figures de la corrida. L'atroce guerre napoléonienne en Espagne si éloignée de notre légende nationale lui a inspiré des gravures d'un réalisme aigu.
Suivent les Caprices et les Disparates

Goya, romantique, serait le précurseur de l'impressionisme. Pour certaines de ses oeuvres, sans doute. Mais premier expressioniste, sûrement, par ses représentations de l'âme humaine à travers ses têtes d'animaux fantastiques et monstrueux, figures à la peau tendue, faces cireuses aux orbites noires et profondes.

Goya s'attaque à la société de son temps, à la famille royale dégénérée, aux superstitions, aux moines, au clergé séculier, aux nobles, aux bourgeois, à l'Inquisition…

Et il y a surtout ce magnifique autoportrait peu connu de l'artiste. Des yeux noirs et graves dans un visage doux mais aux traits volontaires d'un homme peu enclin à faire des concessions.

Francisco Goya fait partie du 1er cercle de mes peintres préférés.

Il est mort à Bordeaux au 57, cours de l'Intendance (plaque mortuaire sur la façade de la maison).


dimanche 2 mars 2014

"Bol d'Air" de Serge Joncour

95 pages ! C'est agréable un petit livre ! On l'ouvre à 20h00. On le referme à 21h20. L'auteur a eu la délicatesse de ne pas nous empoisonner avec des descriptions ou des pensées qui allongent les chapitres. 
C'est technique, un petit livre. Donc c'est court ! Ecrire l'essentiel de l'intrigue dans quelques pages. 
Pas facile à écrire un petit livre. C'est un travail que seul un dilettante peut réaliser car par économie, il concentre sa phrase avec les seuls noms, verbes, compléments qui suffisent à décrire un paysage, à exprimer un sentiment ou une idée !
C'est aussi contemporain, un petit livre. Un film, une pièce de théatre, un spectacle durent de 1h30 à 2h00 ! Et tout est dit dans ce temps ! Alors pourquoi un livre ne pourrait-il pas nous offrir la même chose ?
C'est la 1ère fois que je lis un livre aussi petit depuis les classes primaires.

Bol d'Air ! Le titre va bien !


Quand on va à la campagne, c'est pour prendre un bol d'air ! Rien qu'un bol ? Le contenant n'est pas grand ! Comme si l'air venait à manquer ! Sommes-nous devenus si nombreux sur terre qu'il faille contingenter les volumes d'air disponibles à chacun ?
Ou bien notre capacité respiratoire s'est-elle réduite au point que nous ne pouvons prendre qu'un bol ?
Ou bien alors, le temps ! Vite, toujours plus vite ! Zapper heures et minutes. Alors, nous n'avons le temps que pour un bol ! Combien cela prend-il de temps un bol ? 3 secondes ?
Un bol d'air, ça sent l'angoisse, l’exaspération !  
Un être équilibré respire ! Un anxieux prend un bol d'air ! 
Ça peut être thérapeutique ! "Je vous prescris 3 bols d'air, à prendre matin, midi et soir avant chaque repas, pendant 1 semaine!" " Bien docteur !"
Est-ce que ce sera suffisant pour bien oxygéner le sang afin d'assurer son transport dans les tissus ? Pas sûr ! Mais comme un bol d'air, c'est toujours pur, on peut espérer. 

Joncour a écrit un bon petit livre ! Une sorte de nouvelle longue qui raconte le retour d'un homme vers sa famille suite à un désastre professionnel.

Philippe, le fils et héros du roman. Il est ruiné. Il part visiter sa famille espérant trouver là-bas quelque chose qui…. Il ne sait pas très bien quoi après tout !

Le père, retraité agriculteur, (les bobos disent "paysan » depuis qu’ils visitent la Foire Agricole de Paris), barbouilleur à ses heures. Son modèle est russe. 
Est-ce qu'il la peint nue, l'histoire ne le dit pas, mais son oeil ne perd rien des formes de la fille. Hâbleur, avec son copain toubib nostalgique de l'Indo. Il aime la terre et les fougères. Il recherche une complicité avec son fils à base de crottin et de visite d'élevage de chevaux. C'est viril, un cheval. Il y a des relents de Jument Verte.


La mère, épouse du retraité agriculteur , femme d'intérieur, vive et active. Elle aime cuisiner et faire le lit au carré. Et plaquer de gros bisous. Et surtout elle aime s'occuper de ce qui ne la regarde pas et en particulier de ce que son fils Philippe lui cache: sa ruine et son désespoir. Elle se substituera à lui en tout et deviendra sa secrétaire de l'ombre.

Nadège (c'est la russe - curieux prénom pour une russe ! Pourquoi pas Anastasia ou Natalia) se crème la poitrine en passant ses doigts sous le tissu du haut de maillot. C'est très sensuel. Philippe le remarque. Il met son désir en berne et n'en fera rien.
Les russes, elles se marient via une agence internationale, débarquent en France, découvrent après quelques mois de vie commune que la vie est plus drôle à l’extérieur. Et donc foutent le camp. C'est ce qu'a fait Nadège.

Le fils est accueilli comme un fils. Fils prodigue ? Qu'as-tu fait de tes talents (Evangile selon St-Matthieu, chap. 25, versets 14 à 30) ? Joncour ne va pas jusque là !

Philippe va se reposer, écouter son père et sa mère, bricoler et faire quelques travaux des champs. Il va prendre de la distance et essayer de résoudre ses problèmes.

Il y a du scénario dans ce bouquin, une action qui se passerait entre le Cantal, Paris et Deauville.
Et dans l’écriture une vague parenté avec un Michel Audiard qui aurait policé son verbe en restant dans la même couleur.

Quelques bonnes raisons de ne pas retourner chez ses parents quand nous affrontons un gros problème:
- S'ils sont retraités, il y a des chances qu'ils ne comprennent plus rien à l'évolution du monde, genre, " c'était mieux avant ! Laisse tomber" ou bien "Pourquoi tu restes pas, c'est mieux içi ?"
- Ils nous achètent une paire de charentaises;
- Ils nous revoient comme le petit enfant que nous étions: risque de régression grave;
- régression à un point tel que le désir et la sexualité reste enfouis au fond de l'être. En fait on a plus besoin de ces 2 trucs qui n'amènent que désillusion et malheur;
- Si on séjourne trop longtemps, ils nous prennent vite pour un domestique puisque on est logé, nourri et blanchi gratis;
- on est tellement bien qu'on se prend à rêver que les problèmes vont se résoudre comme par enchantement.
Ce qui ne sera pas le cas !

Alors, fuyons la famille ! A toutes jambes ! 
Ou bien, allons la visiter quand on n'a rien a lui demander !

Bon, j'ai été un peu long pour un livre si court, mais j'ai bien aimé la déambulation désabusée-amère de Joncour dans l'âme humaine.









"The Grand Budapest Hotel" de Wes Anderson - VO



Quel enchantement, cette comédie ! Totalement loufoque et décalée.

On imagine, dans cette Mitteleuropa d’avant-guerre, l'Orient Express qui nous mène de Paris à Constantinople via Munich, Vienne et Budapest. Des hommes en long manteaux à cols de renard et des femmes blondes aux cheveux courts ondulés portant les perles par rang de 3, descendent des wagons-sleeping luxueux, montent dans une Rolls et se dirigent vers le Grand Budapest Hotel dans la République imaginaire de Zubrowka (curieux d’avoir appelé ce territoire du mot slave "herbe à bisons"). L'hôtel est rose comme un gros gâteau viennois de chez Mendl, comme ces marshmallows pastels que l’on dévorait enfant.. On évolue dans une peinture allemande des Alpes Suisses du début XXeme

L'Europe vit encore superbement dans les restes flamboyants de l'Empire austro-hongrois disparu sous les bombes de 14-18. On cours, on danse, on saute, on rit, on virevolte, on s’étourdie, on s’illusionne d’incroyables récits. On croque des diamants, on s'étouffe de caviar Beluga, on se noie dans le champagne millésimé à fines bulles. 
Les femmes ont la peau pâle et les hommes, des moustaches.

L’hôtel est situé très haut sur la montagne. Isolé et splendide, hors d'atteinte. Dans les desseins animés, les châteaux de légende sont toujours haut perchés, près des nuages. 
En bas, dans la plaine, c’est le monde qui grouille et qui penche dangereusement.

Un funiculaire qui monte et descend, séquence le film

Dans cette réalisation, l'intrigue a-t'elle une importance ? A mon sens pas vraiment ! On est pris dans un typhon, un tourbillon de couleurs. L’esthétisme et le rythme dépasse l'histoire. C'est un Opéra baroque, un bal viennois à Schönbrunn ou à Venise au Gritti Palace, une conférence diplomatique au Grand Hotel National de Lucerne ou bien encore au Grand Hotel des Iles Borromes à Stresa sur les bord du Lac Majeur, une ode au Satyricon de Pétrone, un clin d'oeil à la famille Addams ou au Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau. 

Mr Gustav/Ralph Fiennes, concierge aux clés d’or, grand séducteur de vieilles dames richissimes, hérite de la Comtesse Desgoffe und Taxis/Tilda Swinton (clin d’oeil à la famille von Thurn und Taxis) du tableau "le Garçon à la Pomme" et court comme un lapin à travers l'Europe pourchassé par le tueur-vampire/Willem Dafoe payé par Dmitri Desgoffe und Taxis/Adrien Brody qui veut récupérer cet héritage de très grande valeur. 
Il y a du Charlie Chaplin dans cette comédie.
Zero Mustapha/Tony Revolori, le groom, c'est la fascination de l’Orient, la nostalgie de cet Empire turc disparu. Devenu âgé, il devient propriétaire de l’hôtel et conte, au début du film, les splendeurs passées du palace au jeune écrivain/Jude Law, cocktail de Sherlock Holmes et d’égyptologue. Dommage que le réalisateur n’ait pas pu trouver de rôle pour Louise Bourgoin qui était si brillante dans les Aventures d’Adèle Blanc-Sec.


A propos, "Le Garçon à la pomme" est remplacé au dessus de la cheminée par une peinture d'Egon Schiele. Je ne suis pas sûr que cet artiste viennois ait peint le tableau du film. Pas assez sensuel et abandonné, tel celui de la photo à gauche qui lui est authentique.
Anderson fait une grimace à l’époque.
Le masque, toujours ! Vivre grimé, travesti, caché… Pas de Batman pour sauver ce monde. C’est Le Joker qui gagnera !

Ce sera le dernier bal du "Monde d'Hier" si cher à Stefan Zweig. Bientôt on fêtera Halloween. On entrera dans l'automne et l'hiver. Et ce sera la guerre.

Wes Anderson a signé un très beau film