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dimanche 25 mai 2014

"La vrai vie de Kevin" de Baptiste Rossi

Si vous avez envie de rire d'une certaine frénésie absurde du monde télévisuel actuel et aussi de nous-mêmes qui sommes après tout à la fois acteurs et consommateurs de ces divertissements, il faut lire ce livre.

Si vous avez envie d'entrer dans la littérature d'un jeune auteur très prometteur qui, après avoir sondé
au stéthoscope la respiration de son époque, restitue au flux près les battements d'un certain comportement humain, et ce d'une écriture alerte, résolument contemporaine, alors vous avez une double raison de lire ce livre.

Par contre si vous êtes accros à la télé-réalité et à M6 en particulier, alors, vous n'aimerez pas ce bouquin car vous aurez l'impression que Baptiste Rossi se paie votre tête.

L'histoire: Antoine Soro, le beau gosse, et Michàlis, le Grec, réalisent et co-produisent sur la chaîne TF2 "l'expérience d'une chaîne, la chaîne des nouvelles expériences" l'émission "La vrai vie de Kevin".

"Etre une star avant le Bac" et "On a échangé nos cancers" sont de brillantes émissions réalisées précédemment par Antoine qui ont connu un immense succès. Antoine, toujours à la recherche d'un Xanax®, éclusant force vodka fraise-goyave dans lesquels il noie des macarons à l'hibiscus rose, veut pouvoir dire dès qu'il tient son sujet "I get the stuff ! Sky is the limit !" Leur objectif à tous les deux est de faire exploser l'audimat en lançant cette nouvelle télé-réalité qui met en scène un garçon, Kevin, issu d'un père désenchanté qui se retrouvera au chômage, et d'une mère perpétuellement sous Lexomil®, vulgaire mais aimante. Peu concerné par les études, Kevin est accro à la manette de jeux vidéo et branché en permanence à Facebook. Il vit l'instant, un instant qu'il ne comprend pas mais qui le pousse en avant vers une direction inconnue.

Une règle selon Michàlis " Amuser, divertir, émouvoir !" Pour mettre en scène le "triple A" réclamé par le public "Amour, Argent, Admiration"

Si vous avez aimé "Loft Story" vous raffolerez de "La vrai vie de Kevin". Si vous avez oublié Loanna et Christophe, vous plongerez avec délice ou peut-être effroi dans celles de Kevin, Brandon, Cindy et Jessica. Oui, oui, ils sont bien français et vous ne regardez pas une série américaine.

Bien que l'auteur prend le partie de la dérision - mais dans une version tendre -, il nous invite aussi à réfléchir sur un certain mode de divertissement qui semblerait conduire à un abêtissement profond d'une partie de la population.

Nous évoluons dans la civilisation du jeu, de l'amusement, où le spectateur est pris pour un con - sans doute l'est-il après tout ! -, une civilisation née de l'ennui et du désenchantement où les liquidités monétaires dans leur folle rotation autour du globe, ne sachant plus dans quels secteurs s'investir, se retrouvent parfois recyclées dans ces télé-réalités qui rapportent beaucoup par les énormes recettes publicitaires qu'elles drainent. " Alors Antoine, ton émission, c'est culte, ça fait le buzz, c'est clair, y a quinze millions de téléspectateurs chaque soir... You are the King !" Ça en fait des tubes de dentifrice "New smile" vendus chaque jour !

Pas de business-télé-réalité sans le sport et quand il est de masse, il participe de cet abrutissement. Kevin ou d'autres consultent sur leur Iphone l'Equipe.fr pour les résultats sportifs "Manchester vers le titre, Arsenal, la série noire, Tsonga éliminé en quarts, etc." L'Equipe, le seul journal-papier à gagner de l'argent, le journal des cadres en gris dans l'avion de 6h45 am pour Paris-Orly, le journal qui sépare, au bureau, ceux qui le lisent (ou bien sans le lire qui le laissent bien en vue ) et qui montent dans la hiérarchie et ceux qui ne le lisent pas dont la position stagne, ce journal qui unit, autour de la machine à café, les garçons dans des commentaires nerveux ou contrariés sur le jeu de tel ou tel footballeur dont ils connaissent les noms bien-sûr.

Les téléspectateurs veulent être "téléspect-acteurs" de cette émission. Etre "powerful". Il leurs est proposé de voter en permanence, par exemple pour la coiffure de Kevin, pour la couleur parme de son pull, pour son tee-shirt "I love quelque chose". Mais personne ne s'aperçoit de la débilité du jeu et tout le monde s'excite à jouer et voter avec le fameux "tu as une minute pour décider !" Et puis du sexe, bien sûr ! Il est demandé au public de voter "Veux-tu qu'Alice fasse une surprise à Kevin ? Une minute pour voter, au 3689 !" Ou bien mettant en jeu, Jessica, la soeur de Kevin "Décide toi aussi si tu souhaites une histoire entre Brandon et Jessica ! 3689, tape Brandon + Jessica !"

Et Kevin, généralement dépassé par les évènements lance son fameux leitmotiv à presque tous les chapitres "La vie est compliquée, n'empêche !"
Cette brillante affirmation me rappelle un imbécile qui concluait ses démonstrations intellectuelles primaires d'un tonitruant "La vie est un dur combat, mais le tout est de le gagner !". Heureusement qu'il a vite trouvé quelqu'un pour lui mettre une cuillère en or dans la bouche ce qui lui a évité d'avoir à combattre.

Et on gagne du fric dans cette émission. L'acteur qui se fait virer par le vote du public, reçoit une prime de 4000 €.

A quand la programmation de l'émission "A quoi ça sert d'être intelligent en 2014 ?"

Régulièrement tout au long du livre, Facebook, tel un compteur, annonce ses messages d'amour et d'amitié "Toni Benzetti est maintenant ami avec François Lapeyre". Vous rendez-vous compte de l'énorme saut de productivité atteint dans le secteur de l'Amitié : un simple clic et ce sont quelques 2534 "amis" qui apparaissent sur l'Ipad de mon pote (mdr) ?
Plus complexe: "Paul Grimbert aime votre commentaire sur la vidéo postée par Jacques Antoine sur le mur de Sophie Challe ! " Si on n'est pas ami avec ça !

Les pensées de Kevin, qui s'enchevêtrent, cahotent, tournent, se noient, toussent, éructent, éclatent au son d'une mitrailleuse imaginaire dans un col du côté de Kandahar, pensées incohérentes et multicolores, folles et meurtrière, dans la fumée de haschich. "Labelle des opiacés, flanelle du haschich, temples éboulés". L'illusion est le réel. Le temps disparaît. Fuyons et poursuivons, avec le monomaniaque Achab de Melville, Moby Dick, baleine blanche imaginaire surgie des gouffres océaniques glacés, sa folie surfant sur les vagues rugissantes. Baptiste Rossi a bien choisi son auteur de référence. Il aurait pu ajouter Cervantés dont nous sommes tous les enfants.
"Ouais, la vie est compliquée"

Comment terminer une histoire qui s'emballe, où tous les protagonistes deviennent fous ou dépressifs, l'un essayant de se tuer - mais sans conviction-, l'autre de tuer - il réussira.
Et si le héros mourrait ? Ne serait-ce pas une belle idée, ça, pensera Baptiste Rossi acteur-auteur. Tolstoï, Shakespeare, Balzac, le font. On finit ainsi un livre en beauté. Et notre Kevin, héros minable, pourrait devenir ce demi-dieu grec au corps huilé, aux pectoraux bombés, aux cheveux noirs bouclés qui ira retrouver sa famille sur l'Olympe. Un triomphe ! On en parlera longtemps dans les chaumières: "Il y avait sur la terre, dans un temps lointains de misère morale et de Facebook, un jeune homme dont les rêves ouatés...!"

La Loanna de Loft Story fera plusieurs TS.

"C'est triste, man !"

"La vie, c'est compliquée"













2 commentaires:

  1. Vos critiques sont tellement bonnes que je les soupçonne d'être encore meilleures que les ouvrages auxquelles elles se rapportent ! J'ai envie de lire celui là, je sens que ça va m'amuser !

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    1. Il est plus facile de critiquer que d'écrire un livre. Lire "La Vraie Vie de Kevin" sera quand même mieux que ma critique.

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