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samedi 10 mai 2014

"Enfin" de Paul Andreu


Elle, seule, ses souvenirs enfermés entre les murs de son quartier. Elle les
accroche au murs des immeubles qu'elle longe chaque jour. Seul moyen mnémotechnique qu'elle ait trouvé. Peu à peu, sans qu'elle comprenne bien pourquoi, son passé s'échappe de son esprit. Le présent ne s’y accroche pas non plus.

Lui, seul, l'ancien taulard, libéré des quatre murs de sa cellule pour s'enfermer dans les pages des livres. Ainsi, prisonnier à nouveau pour ne pas être confronté à ce réel mouvant et incertain qui n'a pas les contours prévisibles de la fiction.

"Puis-je vous aider, madame"  lui demande t’il alors qu’elle a un malaise dans la rue. 
C'est l'instant du "kairos".
"je me suis dis qu'il n'était pas si mal, ce type" pensa-t’elle quand assise au Café des Amants elle le vit passer dans la rue.
"Elle avait de l’allure"  pensa-t’il alors qu’il la vit au loin rentrer chez elle.

Après les multiples "oh, excusez-moi !" "Je ne veux pas vous déranger !" "Je peux rentrer toute seule maintenant !" "Je vous demande  pardon !" "Oh, mais je vous en prie !" "Pardon de vous recevoir si mal !" "Je ne vous importunerai pas plus longtemps" qui jalonnent leurs premières rencontres, comme deux bulles qui ont peur d’éclater en se touchant, ils arrivent enfin à s’ouvrir l’un à l’autre. Prudemment pour lui, qui tient serrée ses sentiments au plus profond de lui. Sans retenue pour elle, ses maris, ses amants, mais les souvenirs sortent mal, un peu à l’envers, mélangés, non chronologiques. 
Ils avancent doucement. Il s’occupera d’elle. Il l’a soigne. Il l’écoute. Il recompose la trame de ses histoires avec les bribes décousus qu’elle lui lance. 

Il sort peu à peu de ses livres. Elle décroche ses souvenirs des murs des immeubles.

Ils se rencontrent souvent, se promènent, s’assoient au café "des Amants", parlent et parlent encore ! Longtemps ! Aussi souvent que possible !

Un jour, leur corps qui s’étendent l’un à côté de l’autre, puis l’un contre l’autre. Peaux nues des corps nus. Un seul souvenir est resté intact en elle: celui du corps et du désir de ce corps. Le sien est ridé, mais tendre et tendu de désir. "la femme qui est dans mon lit, n'a plus vingt ans depuis longtemps..." Les paroles de Serge Reggiani résonnent dans ma tête. Son corps vieilli, lassé et usé mais qui sait du désir, qui veut se rappeler son corps jeune, plein et tendu, qui ne connaissait que le désordre amoureux. 
Lui, c’est un corps qui enlace, qui la calme. Il veut qu’elle dorme, qu’elle oublie ce dos qui la fait horriblement souffrir.

"La vérité n'est pas dans la partition, mais dans son interprétation, avait dit son oncle à elle, violoniste". 

Puis ce voyage en Suisse, vers la ferme où elle a passé un temps de sa vie. Le pont au dessus de la rivière, tout en bas. Ils montent sur le parapet. 
Le vide les entraîne.
"Ce fut lui qui donna l’élan. Le bruit de l’air se mêla à celui de l’eau qui se rapprochait enfin"

Heinrich von Kleist, grand auteur allemand, emmena sa fiancée au bord du Wansee, lac des environs de Berlin. Il tira une balle en plein coeur de sa compagne, puis retournant l’arme dans sa bouche, tira.

Ils ont mieux su mourir que vivre. 


C'est Anne qui m'a fait découvrir ce merveilleux auteur que j'aurai zappé chez Mollat si elle n'en avait pas parlé. Paul Andreu est aussi cet architecte qui a conçu de nombreux aéroports à travers le monde dont celui de Paris-Charles-de-Gaulle que j'arpente si souvent.
On lui doit aussi le magnifique Opéra de Pékin que j'irai voir lors d'un prochain voyage dans cette ville.


2 commentaires:

  1. Ravie de lire cette chronique, c'est toujours un peu délicat de guider vers un livre.
    Bon week-end
    Anne

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    1. J'ai moi aussi refermé le livre avec regret !
      A bientôt

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