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dimanche 4 mai 2014

"Kaputt" et "La Peau" de Curzio Malaparte

Dans "Kaputt", publié en 1943, Malaparte raconte sa guerre à l'Est avec les armées allemandes, l'Italie étant l'alliée à l'Allemagne nazie.
Quelque part sur le front, Un officier de la Wehrmacht décide de fusiller un garçon-soldat ukrainien. Il se ravise et veut lui laisser une chance d'avoir la vie sauve. Il lui dit "Si tu peux me dire tout de suite, sans réfléchir, lequel de mes deux yeux est celui en verre, je te laisse partir" L'enfant désigne l'oeil en verre sans hésitation. "Comment as-tu fait pour t'en apercevoir ? " Lui demande l'officier. "Parce que des deux, c'est le seul qui ait une expression humaine"
Tout Malaparte est là, dans cette phrase, violente, cynique. Il extirpe le marécage du tréfonds de l'âme humaine. Il écrit ce que l'on n'attend pas. Il dit ce que personne ne veut entendre. 
Il peut ainsi passer de l'horreur au conte féérique. "Qu'advint-il ensuite de l'enfant ukrainien ?" Lui demande au cours d'un dîner Louise de Prusse, petite-fille de l'empereur Guillaume II. "L'officier l'a embrassé sur les deux joues, l'a vêtu d'or et d'argent, et, faisant venir une berline royale tirée par huit chevaux blancs, escortés de cent cuirassiers éblouissants, il a invité ce garçon à Berlin où Hitler l'a reçu comme le fils d'un roi, aux acclamations de la foule, et lui a donné sa fille en mariage" 
A-t'il raconté cette histoire à la princesse ? Sans-doute ! C'est mieux que dire que l'enfant est reparti emmitouflé dans des guenilles sous la neige par -30°C. La guerre à l'Est a été une barbarie telle, que la raconter a été impossible par ceux qui en ont été les acteurs. L'Europe est détruite en 1945. Pas de mots pour exprimer l'horreur, car seul le corps participe à la guerre, l'esprit, lui, s'arrête de penser et ne comprend rien. Chacun est rentré chez soi et s'est enfermé dans le mutisme. Malaparte lui,  a conté un rêve, car la princesse n'aurait pas compris l'inimaginable, l'insoutenable. Alors arrivent le carrosse avec les fées !  
 "Kaputt" a donné à Malaparte la notoriété internationale

En 1949, "La Peau" le comptera définitivement parmi les grands écrivains du XXème siècle. L'oeuvre raconte la misère de la paix après l'horreur de la guerre décrite dans "Kaputt". Il est officier de liaison auprès de l'armée US. Progressivement, il a honte pour son pays, berceau de la civilisation occidentale, qui doit se prosterner devant les libérateurs, ces américains incultes qui envahissent son pays sans ménagement pour ses habitants. Ils sont grossiers, passent leur temps à chercher des vierges à "baiser". Aux USA, il leur a été dit que les italiens étaient des sous-développés et les ont traités comme tels. 

"On croit lutter et souffrir pour son âme, mais en réalité on lutte et on souffre pour sa peau. Tout le reste ne compte pas"

L'action se déroule à Naples, ville en partie détruite par les bombardements américains, ce qui accroit la pauvreté, déjà grande des napolitains, qui sont prêts à tout pour une boîte de corned-beef ou une Lucky Strike, que leurs jettent les soldats US comme s'ils donnaient à manger à des animaux de zoo. 
Dans ce livre, l'obscène côtoie l'atroce, le morbide.
Mais pour Malaparte, le vaincu, dans son dénuement, a plus de dignité que ce vainqueur arrogant. 
Liliana Cavani, connue pour son film "Portier de Nuit" a tourné un magnifique "La Peau" en 1981 qu'il me plairait de revoir surtout pour Marcello Mastroianni qui joue merveilleusement le rôle de l'officier de liaison. 

Curzio Malaparte est un écrivain du fantastique, du baroque. La réalité doit être transformée en passant par les détails les plus hideux et nauséabonds pour aboutir à la révélation de la vérité de l'homme, qu'il juge détestable dans ses grands élans de bonté et d'humanité. Il croit que les grands débats d'idées du siècle, ne sont en fin de compte que des  combats entre deux ou plusieurs individus. Les hommes se déguisent derrière des mots et des concepts qui décideront du sort, souvent mortel, de millions d'hommes et de femmes.
La suite des évènements mondiaux lui donneront raison. 
Homme brillant à l'immense culture, parlant plusieurs langues, il a été dès sa jeunesse à la fois guerrier et écrivain, puis tour à tour journaliste et diplomate. C'est un dandy qui a promené sa mélancolie créatrice à travers l'Europe en guerre et les salons mondains. Ses écrits sont le miroir de sa vie. C'est un provocateur qui pratique l'outrance pour arriver au coeur du problème. 

Curzio Malaparte dérange et maintenant, encore. Il est inclassable. 

C'est une légende.














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