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vendredi 30 mai 2014

"Deux jours, une nuit" des frères Dardenne

"Marion, Marion ! Magnifique Marion !" aurait déclaré Jean-Claude Brialy s’il avait encore été parmi nous et si Marion Cotillard avait reçu le Prix d’Interprétation Féminine au dernier Festival de Cannes pour le rôle de Sandra. Mais Emily Duquesne l’avait déjà reçu pour son rôle de Rosetta dans le film du même nom qui avait reçu la Palme d’Or en 1999.
Et malgré un sans faute, "Deux Jours, Une Nuit" n’a pas le souffle poétique de "Rosetta".

De "La Môme" à "Deux Jours, Une Nuit", Marion Cotillard sait tenir un rôle lourd de bout en bout, nous confirmant ainsi son génie de comédienne. Pas une faille où s’engouffrer, pas un défaut. Chapeau l’artiste ! 

Sandra est cette ouvrière aux traits tirés, à la peau grise, aux cheveux gras à la teinture cheap, au corps maigre et voûté serré dans un Marcel qui laisse apparaître de disgracieuses bretelles de soutien-gorge. Si nous la mettions, dans la réalité, à une sortie d’usine, nous ne reconnaitrions pas Marion Cotillard.

Nous retrouvons Fabrizio Rongione, acteur fétiche des Dardenne dans le rôle du mari. Admirable lui aussi.

Solwal, fabrique de panneaux solaires, lutte contre la concurrence chinoise qui, envahissant le monde de ses panneaux, a mis à mal toutes les usines européennes. Est-ce l’occasion pour la Sté pour licencier Sandra ? Le prétexte sera que, suite à une dépression nerveuse dont elle sort guérie au bout de trois mois, elle ne serait, selon son patron, pas capable d’exécuter convenablement son travail. Le droit social belge autorise-t’il une telle facilité de licenciement ? En France, ce n’est pas aussi  simple. Chez nous, si le médecin signe la guérison complète du patient, l'employé doit réintégrer son poste. Et même si le médecin reconnait qu’il y aurait quelques séquelles, l’entreprise doit mettre tout en oeuvre pour trouver un poste en adéquation avec l’état de santé de l’ouvrier(e).
Ensuite le patron dira qu'en l'absence de Sandra, le boulot peut-être fait par 16 personnes au lieu de 17. L’histoire de la prime-chantage aux ouvriers contre le licenciement de Sandra apparait un peu surréaliste. Sans doute une spécificité des pratiques sociales belges. En France, une telle situation n’est pas connue. 

Cela pour dire quoi au juste ? Que de projeter ce film en France, donnera à penser, car le spectateur oubliera la Wallonie belge, qu’il est facile dans notre pays de licencier le personnel. Ce qui est rigoureusement faux. Le licenciement chez nous est extrêmement compliqué à mettre en oeuvre car très strictement encadré avec des conditions à remplir contenues dans un Code du Travail, le nôtre, qui est le plus épais voire confus d’Europe.

Et une nouvelle fois un certain public français, plus boboïsant qu’expert en droit du Travail s’en prendra au capitalisme que l’on chargera une nouvelle fois de tous les maux. 

Donc ce qui semblerait juste en Belgique est faux en France.
Le droit européen du travail a encore du chemin à faire pour être convergent, en suivant l'argument du syndicat le plus disant, cela va de soit.
Sans partir dans une glose économique détaillée, il est à souligner que si les avancées sociales apparaissent justifiées tout au long du XIXème siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, celles qui sortiront du gouvernement provisoire de la République Française entre 1944 et 1946, à majorité communiste, enfermeront notre économie nationale dans un carcan tel que, dans notre situation actuelle de crise, il est impossible de réformer quoi que ce soit. Nous le voyons tous les jours avec les files de chômeurs qui s’allongent inexorablement et les entreprises qui refusent d’embaucher à cause de la complexité à gérer leur personnel appelé aussi improprement "ressources humaines".
Juste une précision qui ne fait pas rire compte tenu du désastre mondial que le communisme a entraîné, Karl Marx a écrit le Capital sans jamais autopsier la moindre usine. Son essai est écrit à partir d’autres essais. Il n’est jamais sorti de son bureau. 
De même pendant notre Révolution de 68, notre Jean-Paul Sartre, pipe à la bouche, distribuait des tracts (ou flyers) anti-capitalistes à la porte des usines Renault de Billancourt, sans jamais être entré dans l’usine ni savoir comment fonctionne une machine-outils. A l’époque le bonhomme faisait bien rire les ouvriers. Moi, il m’avait profondément choqué, tout comme ses livres qui m’ont toujours ennuyés.

Sans une refondation sociale sérieuse et porteuse de croissance, il y a de fortes chances que nos cinéastes "sociaux" puissent pendant quelques années encore filmer de telles tragédies.

Il faut profiter de voir ces films car ce monde ouvrier disparaît d’année en année, la production industrielle ne représentant plus en France que 12% de l’économie nationale.  

Mais si refondation sociale il y a un jour, laissons les philosophes et autres penseurs macro dans leur chambre.

Si le capitalisme semble être devenu une bête immonde, le droit social français s’est pour sa part transformé en un piège dangereux dans lequel le premier ne veut pas se prendre. 
  
Mais reconnaissons aux frères Dardenne un talent indéniable à décrire un environnement ouvrier sans pathos inutile. 
Il ont bien mérité les ★★★★★ que tous les critiques leurs ont octroyé

1 commentaire:

  1. J'ai lu votre post. Un truc de fou comme d'habitude. Vous réfléchissez toujours à tout avec autant de détails ? Jamais vous ne vous contentez d'un "ouais, pas mal." ? Vous êtes impressionnant !

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