Comment ajouter un commentaire

samedi 8 mars 2014

"Les Pays" de Marie-Hélène Lafon

Claire quitte son Cantal natal et la ferme de ses parents et "monte" à Paris étudier les Lettres Classiques à la Sorbonne.
C'est une fille de paysans simples.  Ce livre est son histoire.

Juin. La vie de Claire change quand elle achète ce pantalon rouge après un examen brillamment réussi. A partir de ce fait  banal, il y aura pour Claire un avant et un après. Un avant quand elle demande à la vendeuse d'essayer un 40. "Le 38 vous ira parfaitement" rétorque la vendeuse. Claire insiste pour le 40 tellement elle est habituée à se dissimuler dans des vêtements amples, tombants, voire informes, qui font disparaitre le corps. Et puis un après quand elle accepte de passer le 38. Super ! Et la mue commence: ce 38 fait découvrir à Claire que cette taille, c'est la sienne, et qu'elle a un corps que l'on peut regarder. 
Un avant avec des vêtements qui signent ses origines modestes de fille de paysans dans un "pays" perdu, les pieds dans la bouse, les mains à faire les foins ou à fabriquer le Saint-Nectaire. Un après en endossant avec ce pantalon une peau de citadine, dans un corps de gens des villes non déformé par l'harassant labeur de paysan, un corps lisse, un visage doux sur lequel Claire appliquera ces crèmes qui promettent l'éternelle jeunesse.

Elle a ses genoux un peu gros qu'elle n'aime pas. Mais avec ce pantalon rouge, plus de genoux !

La mue est faite. Elle ne renie rien de son origine paysanne, mais elle peut maintenant affronter Paris, la frénésie et la futilité. Elle continue d’étudier, d'arrache-pied, avec passion, le latin et le grec surtout. Elle est prête pour affronter ce qui distingue les gens cultivés entre eux : l’aisance ! Ce truc que l’on a en tombant dans une marmite de potion culturelle et éducative. Existerait-il un gène de la culture ! Et ce sera la rencontre avec Jean-René, fils de diplomate, né en sachant déjà écrire et parler, qui discute d’égal à égal avec les professeurs, qui méprise les examens. Il est au dessus. Il écrit, lui ! Qu’a-t’il besoin de ces contingences pour exercer son art. Et puis il y aura Lucie de Mortemart, brillante étudiante elle aussi et qui aime Bach. C’est pas rien, cette famille qui démarre au XIème siècle et qui a donné des lignés de ducs, princes ou marquis, pairs de France, alliée aux meilleures maisons, possédant châteaux et hôtels particuliers. ! 

Mais point de griserie chez Claire ! Ce qu’elle recherche, c’est la belle mécanique intellectuelle de ces gens là, pas ce qu’ils représentent.
Pas de reniement quand elle travaille avec Mme Rablot, caissière à la banque où elle travaille l’été pour compléter sa bourse d’études. Mme Rablot est une « pays », tout comme Alain, le bibliothécaire de la fac.

Ce qu’aime Claire, et ce qu’elle n’aime pas:
  • Elle n’aime pas les jeux de société. Aux combinaisons infinies que permet le maniement des mots et des phrases, le jeu lui apparait futile;
  • Elle n’a pas de télévision. Que vaut l'image souvent pauvre en signification en comparaison de l'écrit qui ouvre à  tous les imaginaires;
  • Elle aime l’Italie. Ce pays a décliné en mille beautés ce que la Grèce a inventé de pur;
  • Elle aime l’auteur italien Primo Lévi. Elle n'écrit pas son nom. Mais la description qu'elle en fait, ça ne peut être que lui. Cet ingénieur-écrivain qui a su mettre l’esprit scientifique dans la littérature. Sa photo trône quelque part dans sa bibliothèque. Souvent je pense à lui. Il aimait aussi la montagne !
  • Elle a aimé deux hommes. D’abord Gabriel, l’étudiant US, puis son mari. Elle divorce au bout de sept ans. Fin de l’amour ? On ne sait pas. Les livres, eux, ne déçoivent jamais !
  • Elle n'aime plus l'ail paysan, elle aime le vinaigre balsamique citadin.
Le début du livre est prudent, délicat. MHL fait avancer Claire sur la pointe de pieds dans ce monde nouveau. C’est comme une goutte d’eau sur la page, qui s’agrandit  progressivement pour recouvrir des faits et des sentiments proches.  Au fur et à mesure de l’écriture, MHL/Claire marche plus vite, court et plonge, participant ainsi à la frénésie intellectuelle d’étudier et de rencontrer ces autres étudiants qui avancent en avalant goulument toute la connaissance et la culture sur leur passage.
Au début lente, la phrase s’accélère. Les mots dansent, se cognent, forcent le passage, écartent, arrachent, prennent sensations et idées à pleines dents. 
Ensuite, la digression, MHL/Claire s’y enfile dès qu’elle en a l’opportunité. C’est aussi cela, l’aisance !
L’adjectif qualificatif ! Marie-Hélène Lafon en use, beaucoup, ne laissant jamais un nom commun perdu et esseulé. Il est qualifié pour qu’il soit bien cerné, pour qu'il n'ait pas un sens autre, mais bien celui qu’aura choisi MHL.
L’auteur est pétrie de classicisme. Le XVIIIème est là, que MHL reprend à son compte en le dépoussiérant pour lui faire traverser le XXème.
Elle aime la sonorité, la sensualité, la couleur des mots. Leur goût aussi !

Le livre commence doucement en sortant de la campagne. Il se referme doucement avec le père et le neveu de Claire venu porter à Paris, au professeur de Lettres qu'elle est, un peu de cet air paisible du Cantal

Je crois que j’ai aimé Claire !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Ajouter un commentaire