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dimanche 6 juillet 2014

"Quand passent les cigognes" de Mikhaïl Kalatozov VO - 1957

Le ciné-club était situé près du dispensaire de la ville où, enfant, j'habitais. Une espèce de patronage communiste qui programmait entre autres des films soviétiques. 
Je devais peut-être avoir 10 ou 11 ans.
Après l'incontournable "Potemkine", ont été donnés "Octobre", "La Mère" et puis est venu ce film "Quand passent les cigognes"
Le film terminé, quelle impression avais-je emporté ?  Peut-être un grand poème exalté qui s'est imprimé à mon insu au plus profond de moi. Depuis vingt ans des images surgissaient, des images fortes d'un grand rêve à la fois féérique et tragique. Et puis ces images me sont apparues de plus en plus fréquemment. Jusqu'à l'obsession. Il fallait que je revois ce film. J'ai cherché sans hâte car, de le visionner à nouveau, je craignais d'être déçu, de ne plus comprendre l'oeuvre, de ne pas retrouver mon enthousiasme de l'époque.
Jusqu'à jeudi dernier où ce film m'a été offert pour mon anniversaire.
Depuis tellement d’années, qu'allais-je trouver ?
Eh bien, l'oeuvre cinématographique la plus merveilleuse qu'il m'a été donné de voir depuis longtemps.
Le souvenir d'enfance s'est fondu dans la vision nouvelle que j'ai eu de ce film.
Oeuvre artistique absolue qui mêle le ballet et le théâtre dans une épopée historique comme seuls savent faire les russes.
Film en noir et blanc, il reçut la Palme dOr à Cannes en 1958.
Les plans sont à couper le souffle. On pourrait prendre une à une les images pour en faire des tableaux qui recouvriraient les murs d'un immense musée et que notre regard suivrait l'un après l'autre sans que jamais, malgré le défaut d'animation, nous perdions le fil de l'histoire. Chaque photo, chaque image renferme la totalité du drame.

Veronika/Tatiana Samoïlova. Elle est cette belle jeune fille aux yeux fendus qu'on imagine bleus des ciels sibériens. Elle est vêtu dune ample jupe longue qui donne du volume aux hanches et affine la taille. Le haut est cet élégant sweet de lépoque que lon voyait dans Paris-Match et Life habiller les Kennedy à Cap Cod ou les copains dEddy Barclay à Saint-Tropez. A l'hôpital pendant la guerre, elle portera la blouse blanche des infirmières. 
Avant la guerre son regard sera langoureux et rêveur. Pendant la guerre il deviendra perçant et résolu. Souvent triste à cause des terribles souffrances endurées par les soldats soviétiques et la population civile pendant la grande guerre patriotique de 1941-45. Elle est très présente cette guerre qui emportera Boris  et permettra au lâche Mark de courtiser Veronika.

Boris/Alexeï Batalov. C'est son amoureux. L'homme est svelte. Chevelure noire, coupée nuque haute, oreille dégagée. Une chemise blanche, large, avec ce léger froissé qui faisait le décontracté viril de l'époque. Le pantalon est noir qui enserre une taille étroite. Le regard est haut, lointain, regard de ces personnages de la statuaire soviétique d'homme musclé enserrant la taille d'une belle femme aux seins généreux, corps tendus vers l'eden socialiste

Veronika est Ecureuil pour Boris. Bonjour Ecureuil ! Bonsoir Écureuil ! Je t'aime Ecureuil ! Ecureuil qui court, qui danse, qui saute, qui s'arrête et regarde autour d'elle...comme ce petit animal, leste, doux, drôle

Lamour est le grand thème du film. Il nait dans lespérance soviétique comme un sentiment absolu et universel. Amour de légende épique, Arthur et Guenièvre, Tristan et Iseult. 
Veronika aime Boris pour qui le devoir patriotique est plus fort. Le cousin de Boris, Mark/ Alexandre Chvorine aime cette femme qui ne l'aime pas. Chacun poursuit l'autre. Nous sommes dans une intrigue amoureuse qui a fait tourner des kilomètres de bobines et écrire des milliers de pages. Dans Autant en Emporte le Vent, Scarlett aime Ashley , Rhett aime Scarlett qui ne l’aime que parce qu’une femme doit être mariée. Une femme pour deux hommes. Un doux, un brutal. Victoire de la brutalité sur la douceur. Femme qui se soumet à la brutalité. Femme amoureuse qui se consume dans l'être de douceur. Femme de la douceur qui rêve et qui danse, qui devient femme résolue, pragmatique et travailleuse. 
Mark embrasse Veronika pdans le fracas et les étincelles du bombardement nazi, tout comme Rhett emporte Scarlett au milieu d'Atlanta en flammes.
Le baiser de Boris et Veronika dans un clair-obscur d’un crépuscule russe est un soupir d’éternité. L’élan amoureux de Boris s’exprimera dans la scène du grand escalier comme une valse tourbillonnante de l’amoureux. Le regard haut, tendu vers l’être aimé, il vole en montant vers le dernier étage où habite Veronika.
L’amour est d’autant plus fort que la vie est précaire. 
Il est cet amour comme nous le rêvons ou l'avons rêvé et que nous avons rarement vécu.
On est très loin de celui de beaucoup de films contemporains dans notre civilisation repue et désabusée, amours issus des phantasmes du réalisateur ou de son scénariste. Amours aux situations improbables. Amours triviales qui nous laissent souvent un goût de dépression dans la bouche. Amour triste, petit bourgeois. Amour de télé, le soir dans le canapé. Amour compté. Amour programmé. Amour raisonnable. Amour minable pour une époque minable. 

Ce film est un chant sublime dun amour total au milieu de la guerre. Il ne peut rien contre la fatalité de la tragédie. Mais il est un défi lancé à la face cruelle et cynique des monstres nazis et staliniens
Il n’y a peu dautre espoir que ce message « Aime-moi fort, puisque je vais mourir » 

Et un vol de cigognes passe dans le ciel...


2 commentaires:

  1. Un baiser comme un soupir d'éternité. Quelle métaphore !
    C'est frappant, cette comparaison avec des amours d'aujourd'hui, en manque de repères.

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  2. L'éternité pour s'évader du monde cruel et sans espoir de l'époque.

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