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mardi 1 juillet 2014

"Le voyage impaisible de Pauline » de Maryna Uzun

D
L'auteure ne pouvait pas donner meilleur titre à son livre. Le voyage, c'est être toujours en mouvement. "Impaisible", c'est l'impossibilité de trouver la paix, le repos. L'adjectif n’est plus employé de nos jours où nous dirions "inquiet" ou "agité". "Impaisible" ajoute une note tragique à un destin toujours en guerre et secoué de malheurs. "Se battre: c’est encore là qu’elle se sentait le mieux" dit quelque part Pauline après la mort accidentelle de son mari, Tom. Elle doit se battre contre elle-même lorsqu'elle elle se sépare d'avec sa fille, Léna, dont elle confie l'éducation à ses parents qui habitent Kharkov en Ukraine, puisque dans son malheur, elle se sent incapable de s'occuper de cette enfant qu'elle a eu avec Tom. Peut-être aussi pense-t’elle que son métier de danseuse est incompatible avec une vie de famille. Cette séparation lui donne la liberté de chercher du travail dans une compagnie de danse contemporaine. Pas facile pour une artiste à qui son professeur ukrainien a enseigné davantage la technique que l'émotion. Là encore se dépasser, se battre contre des concurrents, doués eux aussi.
Dans le même esprit, l’écrivain portugais Fernando Pessoa avait écrit "Le Livre de l’Intranquilité", mot beaucoup plus lourd de sens que la simple "agitation"

Quand Pauline, 19 ans, alors étudiante en danse, décide de quitter son pays, l'Ukraine, que l'illusion soviétique a détruit et que les promesses du capitalisme ont déçu, elle choisit la France, le pays de la culture. Elle passe le concours de danse du Conservatoire de Paris. Echec. Désespoir. Rencontre avec son futur mari, Tom, qui l'embauche comme danseuse dans sa troupe de théâtre. "Comment se fait-il que ma vérité soit invraisemblable et mes fabulations tout à fait plausibles" lui déclare un jour Tom. Cette phrase fascine Pauline. Paris est vraiment la ville des artistes !


Initiation à la chorégraphie contemporaine. La mort tragique et soudaine de son mari la rend inconsolable si grand était leur amour. Recommencer à vivre. Quitter la troupe. Retrouver du travail. Au bout du chemin le bonheur, peut-être ?

"Elle allait toujours de l’avant, sans jamais se retourner. C’était la devise des têtes brûlées, mais aussi une devise prolétaire" écrit Maryna Uzun. Combien de femmes et d'hommes ukrainiens ont du ainsi quitter leur pays pour trouver ailleurs une vie meilleure. Ils se sont battus contre vents et marées dans des univers souvent très concurrentiels où personne ne les attendait, ni ne leur a fait de cadeaux. Dans un pays de la Communauté Européenne ou d'Amérique du Nord, zones dans lesquelles il est extrêmement difficile de devenir citoyen. Pauline finira par acquérir la nationalité française par mariage
Ces émigrés ont travaillé comme des "prolétaires" jusqu'à l’épuisement parfois. Ils ont "raboter" comme l'écrit Maryna Uzun, traduisant en français le verbe russe "работать" qui exprime à la fois l'ouvrage bien fait et la peine que demande souvent le travail.

ll y a du caméléon chez Maryna Uzun. Sans doute faut-il l’être beaucoup pour se couler dans la vie française si différente de l'ukrainienne. Et dans le pays où on s'installe, s'intégrer. Disparaître, se fondre, devenir de la couleur des murs. Complètement. Pavlina devient Pauline. Faire oublier qu'on est d'ailleurs. C'est sans doute une des raison pour laquelle l'auteure écrit non dans sa  langue, l’ukrainien, mais en français, langue "très difficile" aux dires d’Anatoli, le père de Pauline. Et elle l'écrit bien, avec de belles tournures de phrases et une connaissance aigüe du sens des mots qui, si on oublie d'être cet expert qui décèle içi ou là quelques légères surprises de langage, font oublier que l'auteure est étrangère. Dans le style aussi qu'elle adapte aux différentes situations du livres. Style théâtral avec beaucoup de dialogues quand Pauline vit au milieu de la troupe de Tom. Style du roman bourgeois quand elle réside dans le Var avec son amie Alexandra, ou bien au cours de ses promenades romantiques avec Augustin, Ou bien encore ce style de grise mélancolie très slave quand elle revient à Kharkov voir sa fille.
Kharkov

Andreï Kourkov a écrit le "Le Caméléon". Ce grand auteur ukrainien est lui-même d'origine russe comme Pauline. Parler russe dans un pays où la langue officielle est l'ukrainien, c'est déjà naître caméléon, n'est-ce-pas ?

En plus de la lutte pour une vie digne et passionnante, c'est l'histoire de la construction d’un amour que Maryna Uzun raconte. Avec talent et réalisme elle dessine le comportement amoureux des héros de son livre, Pauline, Tom, Augustin, Pia, en respectant les tempi dans la naissance des sentiments, les doutes, les hésitations, les illusions, les hauts et les bas, les joies, les coups gueule... Il y a dans la manière de l’auteure quelque chose qui touche à l’universel quand elle parle du sentiment amoureux. Ce sentiment, c’est aussi le mien ! C'est sans doute le vôtre. Elle donne son exacte place au désir et à la sensualité, en réservant le plus grand espace au sublime.
Amour entre deux amants, entre parents et enfants, amour qui n'a aucunement besoin de préceptes religieux "tu aimeras ton prochain..." "Ton père et ta mère, tu honoreras !" "Amour divin entre l'homme et la femme". L'absence d’éducation religieuse chez les parents de Pauline est remplacée par une foi universelle. D’où vient cette foi chez ses parents ? "Une foi nue, sans aucun édifice, sans le besoin d’une assemblée, et même sans extérioriser sa voix"

Pauline, "elle avait souvent chaud d’émotions, et froid d’ennui". Elle luttera encore et encore car on n'épuise pas un besoin d’amour.

Il faut lire Maryna Uzun. J'ai lu son livre d'un trait.


3 commentaires:

  1. Tu parles de ton ukrainienne au nom de tous les immigrés : faire oublier qu'on est d'ailleurs.
    Ton article en dit long, encore une fois, sur ton attachement à ce pays. Percutant, comme à ton habitude.

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    1. Oui, j'aime les pays slaves pour la profondeur et l'intensité des sentiments

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  2. Je ne m'attendais pas à cette analyse profonde du titre du livre qui apparait, au premier regard, comme un simple jeu de mots dont le roman est parsemé : Pauline ne trouve pas la paix, elle se bat à la fois avec son destin, et avec des concurrentes qu'elle rencontre dans son métier de danseuse.
    Les qualités que Parnassius a accentuées dans le personnage de Pauline, son côté "combattant", appuyé sur une panoplie de citations auxquelles je ne pensais plus, montrent une Pauline nouvelle !
    Le voisinage de Fernando Pessoa et d'Andreï Kourkov, mondialement connus, m'a fait évidemment très plaisir !
    J'aime les phrases lapidaires de Parnassius lorsqu'il retrace le parcours de l'héroïne et son "plan d'action", comme dans un combat !
    Le fait qu'il relève le mot "raboter", français et russe à la fois, m'a plu aussi. Tous cela donne une dimension au roman. Sa remarque sur les styles du livre, adaptés aux différentes situations de l'histoire, est amusante.
    Comme c'est bien dit: "Elle donne son exacte place au désir et à la sensualité, en réservant le plus grand espace au sublime." et ça aussi: "Elle luttera encore et encore car on n'épuise pas un besoin d’amour." !
    Merci Parnassius !

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