Comment ajouter un commentaire

dimanche 7 août 2016

"Le Prédicateur" de Camilla Läckberg

Il est dur d'arriver jusqu'à la fin de ce polar. L'auteure nous encombre de beaucoup trop de  digressions qui ont peu à voir avec l'intrigue et alourdissent le livre. Autant la "Princesse des Glaces" nous a enthousiasmé par la nouveauté de ces crimes "à la suédoise" commandés par un luthéranisme dévoyé fait de magie noire et d'évangélisme sacrificateur, autant "Le Prédicateur" qui donne lui aussi dans le crime rituel est d'un ennui béant.
L'inspecteur Patrik Hedström passe au scanner la famille Hult, dégénérés provinciaux qui se vomissent les uns les autres. Sa femme Erica qui languie chez elle et dont nous suivons l'épuisante grossesse. 
Il fait chaud à Fjällbacka, petit port de villégiature très prisé des touristes suédois. 

Dur d'imiter Millenium !


On est loin de l'esprit du génial Mankell !

mercredi 3 août 2016

"l'Enquête Russe" de Jean François Parot

‟Les hommes qui remplissent de hautes fonctions emploient pour armes les stratagèmes
de l’intention. C’est le jeu, peut-être cynique, des masques et des miroirs. Il n’est pas
toujours opportun d’expliquer sa conduite et ses desseins. L’essentiel demeure de cacher
quelques vérités, sans pour autant les couvrir de mensonges.” propos de Sartine, ancien lieutenant Général de Police

Toute l'énigme de ce roman est contenue dans cette phrase qui ne sera comprise du lecteur qu’au dénouement de l’enquête menée par le sympathique Nicolas Le Floch, marquis de Ranreuil, commissaire de police au Châtelet.



Le Tsarévitch Paul
L'histoire commence lorsque le tsarévitch Paul, fils de l’Impératrice Catherine II, et son épouse veulent incognito visiter le royaume de France sous le nom de comte et comtesse du Nord.

Pour s’attirer les bonnes grâces du futur empereur de toutes les Russies, Sartine, ancien Lieutenant Général de Police et Vergennes, Ministre des Affaires Etrangères du roi Louis XVI, imaginent le subterfuge de voler un bijou précieux appartenant à l’épouse de Paul pour feindre de le retrouver puis leur remettre, prouvant ainsi à Paul la redoutable efficacité de sa police.
Nicolas Le Floch est chargé de cette délicate mission par l’intermédiaire d’un brigand que l’on tire de sa geôle lequel, grimé en valet, se sera fait embaucher par le Ministre de Russie à Paris chez qui logeront le comte et la comtesse du Nord durant leur séjour.

Le bijou, une broche, que toutes les têtes couronnées européennes envient, sera donc volé et retrouvé… dans la cage du perroquet qui loge lui aussi dans les appartements de Paul et de son épouse.

Maintenant que par cet acte délictueux la police du Roi de France est dans la place, l’enquête de Nicolas le Floch peut commencer.

Dans le même temps, un comte russe, Igor Rovski, ancien amant de la Grande Catherine, est assassiné dans un hôtel de la capitale où il réside? Pour quelle raison ?
Qui assassinera d'un atroce manière trois filles galantes Paris et à Chantilly ?

Y a-t'il une relation entre ces crimes ?

Tout un monde apparait petit à petit lié de près ou de loin à cette tragédie dont Nicolas Le Floch dénouera les fils.

Sauf un, que Sartine tirera…à la fin du livre.

La Paulet, célèbre tenancière de la maison galante, le Dauphin Couronné, et officiellement devineresse pour cacher son coupable métier de maquerelle, tire les cartes à Nicolas Le Floch et l’aura bien prévenu, tragédienne, ‟Méfie-toi d’une ombre puissante. Elle est à l’origine de tout cela” en parlant, bien-sûr, de l’affaire sur laquelle enquête le commissaire.

Tous les ingrédients d’un bon polar sont là. Les russes ont les attitudes et les propos que nous avons coutume d'attendre d'eux : ils sont buveurs et joueurs comme le comte Rovski, passionné ou colérique comme le tsarévitch. Les français, ceux de la cour et de l’Etat sont hautains et cyniques. Au milieu d’eux évolue la mystérieuse princesse de Kesseoren, sorte de Mata Hari, assez spectaculaire. Il y a même un américain ‟insurgent”, dirions-nous, un certain M. Smith. Que fait-il dans cette engeance ? Mais oui, en ce temps là le royaume de France se porte au secours de cette Amérique qu'elle délivre de la colonisation anglaise ! 


Comme toujours l’auteur fait danser son style qui combine harmonieusement les élégantes arabesques syntaxiques du XVIIIe avec l'écrit utilitaire et numérisé, du XXIe, employant à propos ces mots plein de saveur qui font la richesse de la langue de ce temps qu’adopteront toutes les cours d’Europe.
Jean-François Parot nous promène dans cet Paris animé et encombré du XVIIIe siècle. Nous 
suivons à Versailles le quotidien de Marie-Antoinette et Louis XVI. Les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos font un tabac. La Comédie Italienne fait salle comble à toutes les représentations. Une nouvelle scène, le Théâtre Français ouvre ses portes. 
Château de Marly
Nous irons à Marly d’où la vue sur Paris est panoramique. Et aussi au château de Chantilly où le Prince de Condé donnera une réception grandiose en l'honneur du futur empereur de Russie.

Enfin la gastronomie est au plus haut des subtilités culinaires chez le magistrat Noblecourt où Nicolas a logis. Léchez vos babines à la pensée d’un menu préparé par Catherine, cuisinière et alsacienne d’origine : asperges à la Pompadour, suivi d’oeufs en crépine et de poulet aux six clous, ceux-çi étant de belles truffes odorantes, et pour terminer un zuckerstrauber aux côtes de rhubarbe accompagné de confiture de coin. Tout ceci accompagné d’un vin de Fronsac provenant des vignes du très libertin Duc de Richelieu.

Ah que ce XVIIIe est beau ! Trop brillant, peut-être !


dimanche 31 juillet 2016

"Winter is coming" de Garry Kasparov

Kasparov n'aime pas Poutine. Mais il ne l'aime pas comme le ferait un politique , un journaliste ou un universitaire, par une étude argumentée du personnage et de son système.
Il ne l'aime pas comme on aime pas la merde. Une sorte de dégoût pour ce Président de Russie dont les pensées et actions puent.
Il n'aime pas non plus Medvedev qui a eu la bonne idée d'être plus petit que Poutine avec cette teinte de libéralisme naïf dont se moquerait celui-çi en secret.
Il n'aime pas non plus Elsine qui a raté sa révolution démocratique.
Même sentiment à l'égard de Gorbatchev et sa perestroika manquée.

Qui Kasparov aime-t'il ? Nemtsov, Politkovskaja et Navalny ! Les 2 premiers ont été assassinés après qu'ils eurent condamné pour l'un l'agression de Poutine en Ukraine, pour l'autre la mise au pas brutale et sanglante des Tchétchènes. Quant au courageux Navalny, il est en sursit.

Selon ce champion d'échec, Poutine n'est rien d'autre qu'un chef mafieux sans idéologie ni politique dont toute l'action est tournée vers l'enrichissement de lui-même et de son cercle d'oligarques par confiscation du pouvoir.

Mais tout n'est pas bien clair dans les développements de Kasparov. Déjà la lecture du livre est difficile car écrit dans une langue, l'anglais, qui n'est pas la sienne. La traduction française de l'anglais chaotique employé par l'écrivain rend définitivement méandreuse l'écriture de Kasparov.

A cette difficulté linguistique s'ajoute que la pratique intense des échecs a formé Kasparov à aller et venir en tous sens, choisir une piste, puis l'abandonner pour en prendre une autre, toujours tortueuse voire mystérieuse. Il nous perd, il nous trompe. Puis soudain son jeu apparaît clair pour un court instant. Puis il disparaît à nouveau dans des circonvolutions littéraires compliquées.

Il est épuisant !

Pas de faits nouveaux dans ce livre. Tout ce que nous connaissons déjà sur Poutine y est relaté : l'enfant voyou chef de bande bagarreur, le terne kgibiste en poste en RDA, le zélé administrateur de Saint-Petersbourg, puis sa propulsion vers le pouvoir à Moscou et soudain la graine d'autocrate qui germe en lui dans les tueries en Tchétchénie, dans la brutalité lors de prise d'otages dans un théâtre moscovite et dans une école à Behslam. Enfin, l'autocrate affirmé qui envahie la Géorgie, flingue sournoisement une après l'autre les avancées démocratiques de l'époque Eltsine, se paie les Jeux Olympiques d'hiver les plus cher de l'histoire, s'empare de la Crimée par un simulacre de référendum, soutient militairement les "séparatistes" des républiques autoproclamées de Doneks et de Lougansk.

Quelles intentions poussent l'action de Poutine ? Voudrait-il protéger puis rassembler tous les russes éparpillés dans l'immense ex-URSS ? Voudrait-il ressusciter un morceau de la défunte URSS ? Point de tout cela : seul un immense égoïsme anime Poutine pour la plus grande fortune de lui-même et de sa bande.

Poutine, super Al Capone qui ne connaît que la force pour négocier et qui, plus les responsables politiques internationaux se montrent conciliant avec lui, plus il a le sentiment que ses décisions et actions sont les bonnes.

Kasparov compare Poutine par certains traits à Hitler. Le président de Russie cacherait son jeu, bernant constamment les puissances occidentales par des promesses jamais tenues. Ainsi, au mépris du droit international, il rattache la Crimée à la Russie comme le führer allemand l'a fait avec les Suèdes. 
En Syrie,il bombarde les opposants à Bachar al Assad comme Hitler l'a fait à Guernica en Espagne contre les Républicains opposés à Franco.
Il augmente son potentiel militaire et fait parader ses troupes en toutes occasions, car, dit-il au peuple de Russie, les puissances occidentales menacent le pays.
Il muselle la presse
L'homosexualité est réprimée. Et il n'est pas bon en Russie être noir ou arabe.

Poutine voudrait-il restaurer la splendeur de l'empire russe du passée ? Tout comme Hitler le Reich allemand ?

Alors si Kasparov compare Poutine à Hitler, le Président de Russie n'est plus un simple chef de bande mais un dictateur avec une stratégie au service d'une idéologie comme le laisse entendre Michel Elchaninoff dans son essai "Dans la tête de Vladimir Poutine"
On pourrait avoir peur n'est-ce pas ?

jeudi 28 juillet 2016

"La fin de ma Russie" par Catherine Sayn-Wittgenstein


Catherine Sayn-Wittgenstein commence un journal le 3 août 1914 à Bronitsa, donc 3 jours avant la déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie et le terminera le 7 janvier 1919 à Czernowitz. Deux villes ukrainiennes, deux vies contraires pour Catherine :  la 1ère heureuse et insouciante dans la grande propriété familiale de Bronitsa, la seconde dure et malheureuse dans un pauvre petit appartement de Czernowitz. L'Ukraine ne sera jamais considérée comme telle par Catherine qui la nomme toujours, comme tous les Russes d’ailleurs, ‟la Petite Russie”.

Ecrit en russe, ce journal a été traduit en allemand puis en français. Les traductions successives ont-elles suivi fidèlement l’esprit du texte, tellement certains passages sont d’une compréhension difficile ? Je penche plutôt pour l’idée que Catherine a tenu ce journal pour elle-même ne jugeant ainsi pas nécessaire de travailler la forme pour rendre le texte lisible par un grand nombre de lecteurs.
Toutefois, l’intéressant d’un journal est qu’il transcrit avec spontanéité les faits et les impressions au jour le jour. Il y a une garantie d’authenticité et de véracité que les Mémoires n’apportent pas.

  
Ce journal traverse le conflit russo-germanique et la révolution bolchevique. Pendant 5 années la famille Sayn-Wittgenstein sera,au gré des évènements tragiques, ballotée d’Ukraine à Saint-Petersbourg/Petrograd puis à Moscou, pour retourner enfin en Ukraine. C’est une famille traquée, comme le seront d’ailleurs tous les aristocrates et possédants dont les bolcheviques veulent l’extermination. ‟Pourquoi ces gens-là nous veulent-ils tant de mal ? Que leurs avons-nous fait ?”Se demande Catherine. Fallait-il être sourd et aveugle pour ne pas sentir que l’éruption était proche ?
Ce qui porte un coup terrible à Catherine est l’ordre du jour n° 1 édicté par Lénine le 26 octobre 1917 : ‟Les terres des propriétaires aux paysans, les soldats sont appelés à arrêter leurs officiers, empêcher par la force les soldats d'aller vers le front, conclusion immédiate de la paix, dévolution de la totalité des pouvoirs aux soviets.”. Ce sont tous les symboles de cette aristocratie qui s’écroulent : la perte de la terre et du service aux Armées qui leur donnent nom et identité.
Les nobles pris sont assassinés et leur maison brûlée et rasée. Aux armées les officiers sont destitués voire tués et les soldats deviennent commandants. La paix avec l’Allemagne est l’obsession de Lénine afin de s’occuper pleinement de la Révolution et mettre en place son gouvernement bolchevique.

Sus aux ‟bourjoui” crient les révolutionnaires en nommant les possédants.

Elle espérait que Kerensky réussirait. Mais ce sont Lénine et le ‟Juif” Bronstein alias Trotsky qui vaincront, le ‟Juif” untel comme elle écrit quand elle parle d'une personne d’origine israélite. 


3 mars 1918 - La paix entre les bolcheviques et l'Allemagne est signée à Brest-Litovsk. Tous les soldats russes décampent et retournent chez eux. L'Ukraine sera occupée par les Autrichiens et se séparera de la Russie.
Mais à l’époque, comme c'est la rumeur qui fait l'information, il est pour Catherine difficile de savoir ce qui ce passe réellement. Les Autrichiens s'installent-ils dans cette zone de l'Ukraine, la Podolie, où elle habite ? L'Ukraine va-t'elle exister ? Les Polonais, ennemis jurés des Ukrainiens vont-ils fondre sur ce pays ? Les bolcheviks sont-ils toujours à la manœuvre ? Nous nous imaginons mal ce qu’est l’information par la rumeur, nous qui pouvons en 2016 suivre le moindre fait d’actualité par l’image le son et le texte;
Au sujet de l'idée d'une Ukraine indépendante, Catherine pense que le peuple, trop russophile à cause de la guerre, ne suivra pas.
Peut-être pourrions-nous nous mettre sous la protection des Autrichiens” pense-t’elle ? Le cosmopolitisme des Sayn-Wittgenstein alliée à toutes les familles princières d’Europe favorise ce genre de pensée.


Fin avril 1918, le droit de propriété est rétabli en Ukraine par les Autrichiens qui nomment, avec le concours des Agrariens, un Hetman d'Ukraine, sorte de gouverneur avec pleins pouvoirs d'administrer le pays.
Mais Catherine ne croit pas que ce rétablissement de ses droits et privilèges soit définitifs. Elle a conscience que sa famille a usé de force et de cruauté pour assoir son pouvoir. Elle a conscience que les choses doivent bouger et que l'ordre ancien doit faire la place à un ordre nouveau qu'elle a peine à imaginer. Belle réflexion pour quelqu’un d’un telle position sociale ! Elle rêve de ferme, d’élevage et d’agriculture qu’elle gèrera, elle-même participant à tous les travaux.
Dans la réalité, au cours de cette vie de traquée itinérante, Catherine s'épuisera dans les travaux au jardin potager, livrant ses douces mains blanches à l’agression de la terre. Mais elle pense comme l'écrit Tolstoï ‟qu'est heureux celui qui se fatigue physiquement qu'il en oublie le malheur de son âme ”


Elle et sa famille s’enfuiront hors d’Ukraine. Elle épousera le comte André Razumovski, autrichien et propriétaire d’un grand domaine dans la Silésie autrichienne. Quand ce territoire deviendra tchèque, elle perdra tout une seconde fois et s’installera à Vienne.

"Nous autres slaves ne sommes bons à rien ! Avant, j'étais furieuse quand quelqu'un le disait, mais maintenant, je découvre en moi-même et dans mon entourage ces traits de paresse et d'inconséquence qui existe chez chaque Slave. Nous sommes très capables 
 d'accomplir tout spontanément; dans l'instant nous pouvons tout faire. Mais dès que l'enthousiasme refroidit et que l'énergie tombe, c'est terminé !" Ecrit-elle à la fin du livre.C'est un jugement sévère d'aristocrates d’Ancien Régime sur un peuple qui, inculte et pauvre, ne peut vivre et penser différemment car trop englué dans son destin de désespérance.
L'auteur fait-elle partie de ce peuple ? Elle le revendique bien que née princesse Sayn-Wittgenstein
. Cette famille allemande de haute noblesse est arrivée en Russie par son arrière-grand-père le Maréchal Sayn-Wittgenstein pour servir dans les armées du tsar
Alexandre 1er contre Napoléon 1er.
Comme toute jeune fille de sa condition, elle ne sait rien faire. L'éducation donnée par son 
milieu lui donne ce vernis de connaitre un peu de chaque sujet sans en connaitre aucun en particulier. Peu importe si elle passe peu de temps à l’école puisque la famille et la caste lui inculqueront ces bonnes manières qui lui permettront d'épouser un autre prince et la vie continuera paisible et mondaine entourée de domestiques.
Catherine parle le russe, l'allemand, sans doute aussi le français et peut-être l'anglais. Elle joue du piano.
Signe particulier : elle aime nourrir souvent ses petits lapins.

La guerre la fera infirmière sans qu’elle ait appris ce métier, mais dans ces familles-là, le don de soi, l’altruisme pallie le manque de connaissances.


Mais paradoxe, au cours des évènements de guerre et de révolution, elle lit "Crimes et Châtiments" de Dostoïevski qui est pour elle "le sang de la terre" et entreprend d'étudier l'arithmétique avec un objectif un peu irréel de rattraper toutes les classes en retard jusqu'au diplôme de fin d'études puis entrer à l'université pour devenir médecin.

Tous ses projets et intentions retomberont comme un soufflet.

L'histoire donnera tort à Catherine. l'épisode bolchevique est là pour nous rappeler la détermination de ses leaders pour le plus grand malheur du peuple.
Catherine aurait du écrire ‟Nous autres princes slaves, nous sommes des bons à rien…


dimanche 31 mai 2015

‟Anne de Kiev″ par Philippe Delorme


Le livre commence mal. Philippe Delorme nous avoue ne pas avoir trouvé beaucoup d'information sur la vie et les actes d’Anne de Kiev. Pas ou peu d'écrits, ni de témoignages.
Il en sera d'ailleurs de même pour tout le XIème siècle. Nous-mêmes, à l’école ou au lycée, nous avons zappé l'époque. 


De quoi va donc parler l'auteur qui justifie le titre de son ouvrage ? 

Il écrira autour et à côté de ce siècle. Il parlera de l’avant et de l'après. D'Anne, très peu !
L'auteur essaiera de reconstituer le puzzle historique de cette reine avec le peu de pièces disponibles. Il grattera la terre de l’histoire à la recherche de restes à recoller. Ce sera de l’archéologie au pinceau et à la truelle.
Et ce n’est qu’à la page 145 (le livre en compte 262) que Philippe Delorme commence à parler d’Anne de Kiev. 
Mais déception, ce ne sont qu’hypothèses tirées de textes poétiques qui décrivent la princesse d'une façon idéalisée.


Venons-en à notre héroïne : qui est Anne de Kiev ? Pourquoi devient-elle reine de France ?
Elle est la fille de Iaroslav et d’Ingegerde, fille d'Olaf, roi de Suède. Son père est le "rex sanctus Gerzlef de Ruzzia", que l’auteur traduit par "le saint roi de Ruthénie". Intéressant, cette traduction ! 

A l'époque, le Ruthénie est une réalité, la Russie n'existe pas encore.
La date de naissance d'Anne Iaroslavna est incertaine. Sans-doute 1027-1028 ! De sang scandinave plus que slave. Elle née dans ce territoire que les peuples slave, suédois, wiking, ruthène, se disputent et qui n'est pas encore l'Ukraine, mais un espace que l'on appelle la Rouss.
Son grand-père paternel est Vladimir, lequel pour appartenir aux peuples européens décide d'embrasser pour lui et son peuple une religion monothéiste. Il est approché par l'Eglise catholique, qui ne le tente pas car elle règne sur un empire dévasté dans une Rome détruite. S’intéressant à la religion musulmane, il la rejette vite, car manger du porc, c'est bon et être circoncis, ça n'a aucun sens.
Donc ce sera la foi byzantine, car cette Eglise d’Orient règne sur un empire brillant. Et les ors et la pompe de cette religion l'impressionnent.
Cet élément de l’histoire ne représente rien pour nous puisque la religion est absente de nos préoccupations. Toutefois, ce choix par Vladimir pour la religion orthodoxe sera une des clés de l’incompréhension pour les siècles futurs entre l’Orient slave et l’Occident. 


Pourquoi se marie-t’elle avec Henri Ier, roi de France ? Pourquoi diable ce prince est-il allé chercher une princesse si lointaine ? Eh bien tout simplement parce que l’Eglise ayant édicté qu’un roi ne pouvait s’unir avec une jeune fille qui pourrait être sa parente jusqu’à la 8ème génération, Henri n’avait pas d’autre choix, étant cousin avec toute l’Europe, que d’aller chercher femme dans les steppes lointaines. 

Nos connaissons la date de son mariage avec Henri Ier : le 19 mai 1051.

Ensuite,comme les témoignages sont rares, l'auteur se contente d'imaginer ce qu'a pu être la vie d'Anne entre prières, gestions domestiques, promenades, broderies et rêveries.
On dit de la Reine des Francs qu’elle est pieuse, dévouée, sans passion ou amour véritable pour le roi Henri Ier, quadragénaire et misogyne. Elle est encore adolescente quand elle s'unit à ce roi à qui elle donnera 3 fils, Philippe, qui régnera sous le nom de Philippe 1er, Robert et Hugues... Et une fille, Emma ou Edigne. Anne sera couronnée à Reims et fera partie de droit de la Curia Régis, et il semble que son avis comptât puisqu'elle assumera une certaine régence durant la jeunesse de son fils Philippe.


Anne, veuve, se remariera avec Raoul IV, comte de Valois et de Crépy qui répudiera sa femme pour la reine des Francs. C'est presque un scandale pour le clergé et les mœurs royales de l'époque car contraire au droit humain et divin. Après tout c'est une veuve de 30 ans qui n'a point envie de prendre le voile comme le voudrait l’usage. Mais paraît-il, avec Raoul IV, se sera le grand amour ! Oh pardon, amour courtois, comme on dit alors ! Quoique sur la peinture çi-dessous, la phase de la simple courtoisie est largement dépassée...!

Elle créera l'abbaye de Senlis, moins par spiritualité profonde, que pour en tirer le droit d'accéder au paradis. C'est d'ailleurs cette relation "matérialiste"de la pratique religieuse qui prévaut à cette époque : tirer quelques bénéfices de la religion.

Elle meurt en 1079. Mais la date n'est pas certaine.


La lecture de ce livre est épuisante. L'auteur se complaît à faire défiler toutes les familles d'Europe et leurs liens entre elles dans un labyrinthe tortueux comme par exemple :
Mathilde, selon les généalogistes, serait la fille du margrave Ludolphe de Frise et de Gertrude d'Eguiheim-Dabo, sœur de l'évêque de Toul, le futur pape Léon IX. Or, ce Ludolphe a pour parents Bruno Ier, comte de Brunswick, et Gisèle de Souabe qui, en troisième noces, épousera l'empereur Conrad II et sera donc la mère de Henri III le Noir. Ainsi, si l'hypothèse est exacte, la seconde Mathilde se trouverait être la nièce de la première…
Ouf, c'est éreintant de lire 150 pages de liens de familles nobles ou royales. Cela me rappelle les conversations des familles bourgeoises dans les années 1950-1960 qui jouaient au Who's Who local, en rêvant de marier leur fils ou leur fille avec un tel ou un tel.

Le roi, au XIème siècle n’est encore que celui des Francs. Il ne sera roi de France qu’un siècle plus tard. La ‟Francie Occidental″ n’est qu’un patchwork de langues et de coutumes différentes. Les nobles se disputent âprement le territoire qui n'est qu'une immense forêt troués de marécages et de clairières habités. 5 000 000 seulement de personnes peuplent ces terres.
Nous sommes dans les années d'après l'an Mil. Cette Francia est peuplée d'hommes aux prénoms inconnus de nous et/ou imprononçables tels que Aimoin, Chrodobertus, Siegebert, Hincmar, Æthelwulf, Odalric, Fulbert, Gerbert, Erlebert, Fumerse, et les femmes telles que Sigetrude, Theodrade, Nanthilde, Ingegerde,...


Il y a un détail qu'il importe de noter : le roi Iaroslav et son entourage sont raffinés. Contrairement à la cour du roi des Francs et Henri Ier lui-même qui sont rustres et querelleurs. Une bonne leçon à ceux qui pensent que l'Est de l'Occident, à l'époque, n'était peuplé que de sauvages sous-développés

Ce temps du XIème siècle est renfermée dans ‟Les Grandes Chroniques de France″ dominées par une Eglise qui réglemente tout.

Mon post est long, certes ! Certains m'accuseront de "spoiler". Si j'ai pris la peine d'écrire cette synthèse, vous en saurez ainsi assez sur Anne de Kiev pour vous éviter de lire ce livre fatiguant




lundi 9 mars 2015

Ecoutons le poète..!





умом Россию не понятъ,
Аршином общин не измерить:

У ней особенная стать -
в Россию можно только веритъ.

"On ne peut comprendre la Russie par la raison
Ni la mesurer en mètres usuels,
Elle a son caractère à elle :
La Russie, on ne peut que croire en elle"

Fiodor Ivanovitch Tiouttchev (Фёдор Иванович Тютчевle ) grand poète russe de l'âge d'or à écrit ces vers qui devraient inspirer nos politiques et économistes contemporains lorsqu'il dialoguent avec la Russie, ou bien la sanctionnent maladroitement à coup de boycott inefficace. 

Ces vers sont simples et justes. Ils pénètrent directement le noyau de l'ADN russe. S'il n'est pas tenu compte de ce caractère quand on aborde l'être russe, il se repliera vers ses territoires immenses, à l'est, vers cet infini de plaines et de toundra où il disparaîtra se confondant avec cette nature qu'il aime tant. Il deviendra alors herbe, lichen, eau, arbre, nuage, vent...
Et là, plus personne ne pourra l'atteindre ! 
Car qui connaît le langage des herbes, du lichen, de l'eau, de l'arbre, des nuage, du vent ?

Alors il deviendra poète pour échapper à la terne et ennuyeuse voix de la raison... 
Et nous devrons l'écouter !

mardi 4 novembre 2014

"Léviathan" de Andreï Zviaguintsev (VO)

Léviathan : monstre colossal à la forme non précisée, marin ou terrestre selon les différentes mythologies. Peut-être serpent ou dragon ! En tout cas, hideux et terrifiant ! Jamais personne ne l'a vu ni entendu. Il est si destructeur qu'il pourrait provoquer le chaos et la fin du monde.

L'horreur totale, donc !

Qu'est ce Léviathan dans ce film ? ?
 Serait-il ce gigantesque squelette de baleine échouée auprès duquel, Roma, le jeune garçon se réfugie. Bien que le Léviathan ait désigné, dans l'imagination populaire, un grand cachalot à l'énorme mâchoire qui mesurait 17,5 mètres, vous n'y êtes pas ! 

Alors, cela pourrait-il être cette grosse tête, brutale, aux dents acérées, au bout d'un long cou qui s'abat sur la maison de Kolia, beau-père de Roma, l'enfant de Lilya, sa femme, tel un tyranosaure cruel détruisant et avalant tout ?
Encore perdu !
Ce n'est qu'une pelle mécanique. Monstrueuse quand même dans sa folie destructrice qui nous renvoie à quelques monstres terrifiants de Jurassic Park.

Il est pourtant présent ce Léviathan ! Omniprésent même !
Ce Leviathan, cette chose immonde, cruelle, gluante, polymorphe, invisible qui s'abat sans bruit, sournoisement sur tous les protagonistes du film, c'est ce sentiment de fatalité russe, cette soumission à une autorité personnalisée, cette angoisse due au vide intellectuel et moral qui emprisonne dans ses tentacules ces personnages des confins russes en bordure
de la mer de Barents en les désarticulants, provoquant chez eux des dommages physiques et mentaux irréparables.
Les personnages n'ont aucun échappatoire. Au nord, la mer ! Au sud, à l'ouest et à l’est, l’infinie de la terre russe. Ils sont dans une cage sans barreaux, obligés de vivre avec d'autres individus aux mœurs et aux destinés différentes. Ils tournent en boucle dans une tragédie qu'accompagne la même musique triste.

Et il y a cette identité russe, floue, trop floue qui se débat dans un questionnement identitaire : la Russie entre Etat-nation et empire. L'image est brouillée et met de la confusion dans le métabolisme de l'âme russe.



Pour conjurer ce Léviathan, les personnages risquent leur vie, jouent leur va-tout, sont prêt à tout perdre avant d'être engloutie dans les entrailles de la bête.

Ne nous arrêtons pas à ne voir que des hommes qui se soûlent, une femme qui trompe son mari, un homme politique qui abuse du pouvoir. Ne cataloguons pas trop vite l'homme ou la femme russe dans un schéma simpliste qui complait aux occidentaux que nous sommes. La réalité est autrement plus complexe.
Egalement ce procès pour meurtre, qui ressemble à tous les procès d'assises à travers le monde. Faute de preuves tangibles, les juges imaginent l'histoire la plus plausible pour la conscience humaine et condamnent l'auteur présumé. Rien là qui soit proprement russe !

L'immensité du pays et la nature ont forgé l'âme russe. Une âme fragile ébranlée par des siècles de dictature tsariste et par le nihilisme communiste. L'écroulement de l'URSS a été un bouleversement dont peu de personne chez nous ont mesuré le niveau insupportable de cette tragédie.

C'est aussi cela le Léviathan !
Film admirable, qui reçoit cette année le Prix du scénario au Festival de Cannes. La Russie le présentera aux Oscars 2015, même si paraît-il "Léviathan" ne plaît pas au ministre russe de la culture, Vladimir Medinski, en raison de la critique de l'Etat qui apparaitrait sous entendue dans ce film, ou bien des trop nombreux jurons proférés par les acteurs.
L'histoire ne le dit pas.